Aidants proches: comment accompagner des salariés aidants ?

Les coûts cachés de l’aidance sont la démission, le recrutement et la formation d’un remplaçant, des retards dans des projets, une baisse de la performance de l’entreprise, etc. © Getty Images

En Belgique, il est estimé qu’un million de personnes remplissent le rôle d’aidants proches. Ils prennent donc soin d’un ou plusieurs membres de leur entourage. Comme en France, 20% des salariés combinent donc leur travail avec ce soutien particulier. Si des structures d’accueil sont très dynamiques, il manque une véritable approche systémique dans nos entreprises et services publics. La semaine des aidants proches se déroule du 29 septembre au 5 octobre.

Nous avons tous des connaissances qui prennent soin d’un parent en détresse sanitaire. Que ce soit un conjoint atteint d’un cancer, un papa atteint d’une maladie neurodégénérative ou un enfant en situation de handicap. La plupart du temps, cette aide s’avère informelle et passe sous les radars. Cette aide peut faire l’objet d’une reconnaissance officielle et l’aidant rentre ainsi dans les statistiques officielles.

Il n’est donc pas aisé d’évaluer l’importance de cette aide en Belgique. Il est estimé qu’environ un million de Belges remplissent le rôle d’aidants proches. Si on se rappelle que la population active s’élève à environ quatre millions de personnes, il faut donc admettre qu’entre 20 et 25% des salariés et fonctionnaires belges rentrent dans la catégorie. Autant dire que, dans une entreprise, c’est une fraction du personnel qui est tout sauf négligeable.

Un statut reconnu


Être aidant proche est un statut dont la reconnaissance officielle est possible depuis le 1er septembre 2020. Cette demande de reconnaissance doit être introduite auprès de votre mutuelle. Elle s’obtient via une déclaration sur l’honneur et le respect d’un certain nombre de critères dont :
• Soutien, continu ou régulier et gratuit, à un ou plusieurs membres de son entourage, peu importe la nature de ce soutien, quel que soit l’âge, le milieu de vie et le lien.
• La personne aidée doit présenter une incapacité temporaire ou permanente de nature physique, psychologique, psychosociale ou autre.

Pour s’ouvrir des droits sociaux, il faut respecter un critère supplémentaire : apporter du soutien au minimum pendant 50 heures par mois ou 600 heures par an, en collaboration avec un professionnel de santé. La loi stipule aussi qu’au maximum trois personnes peuvent être considérées comme aidants proches d’une personne aidée. Par exemple : un conjoint et ses deux enfants. Cette seconde reconnaissance, qui s’obtient aussi auprès de sa mutuelle, est un prérequis obligatoire pour s’ouvrir le droit à un congé aidant proche auprès de l’Onem.


Comme les autres congés thématiques, cette interruption d’activité est très codifiée :
• Tout travailleur peut suspendre totalement l’exécution de son contrat de travail durant une période de trois mois par personne en situation de dépendance. L’interruption complète doit être prise par mois.
• Tout travailleur occupé à temps plein peut réduire ses prestations à concurrence d’1/5e ou de moitié durant une période de six mois par personne en situation de dépendance. La réduction des prestations de travail doit être prise par période de deux mois.
• Tout travailleur occupé à temps plein peut combiner les deux formes de congé.
• Sur l’ensemble de la carrière professionnelle, le droit à l’interruption complète est de maximum six mois et le droit à la réduction des prestations de travail est de maximum 12 mois.

Les allocations d’interruption de l’Onem, soumises à un précompte de 10,13% en cas d’arrêt complet et de 17,15% si partiel, sont, pour les aidants proches, les mêmes que celles du congé parental. Soit de 932,95 euros à temps-plein (1.589,41 euros pour un isolé avec enfant à charge) à 145,89 euros pour un 1/5e temps (ou 293 euros). Ces montants sont équivalents dans les secteurs privé et public.

Entrer dans les entreprises

Depuis 2006, sous l’impulsion de la Fondation Roi Baudouin, l’ASBL Aidants proches, qui couvre la Wallonie, et son ASBL sœur à Bruxelles font un travail considérable de soutien, de sensibilisation et de remontée vers les décideurs des besoins spécifiques des aidants. Elles sont soutenues par l’Aviq, Iriscare, la Région wallonne, la Loterie nationale et l’Union européenne. Chaque année, elles organisent une semaine des aidants proches avec plusieurs dizaines d’activités pour se ressourcer, partager et découvrir des ressources adaptées. Elle se déroulera, cette année, du 29 septembre au 5 octobre.

Parallèlement, il existe de nombreuses structures d’accueil privées qui permettent aux parents et aux aidants de venir souffler et se ressourcer. Mais, paradoxalement, il existe peu de relais dans les entreprises. La problématique ne fait pas l’objet, dans une vaste majorité des cas, d’une politique spécifique. C’est à ce niveau qu’intervient MyTeamily, une entreprise fondée en 2018 par Caroline Mac Naughton. Cette avocate et directrice fiscaliste, qui a enchaîné des postes à très haute responsabilité dans le nucléaire français (Areva, Orano, etc.) s’est retrouvée bien dépourvue quand, en 2010, sa maman a été atteinte par une maladie neurodégénérative. Son histoire, qu’elle a racontée sur de nombreuses chaînes de télévision française, a conduit à mettre en place une structure axée sur une approche managériale de l’aidance.

“Cela m’aurait bien aidée lors de la maladie de ma maman, dit-elle. MyTeamily fonde son action sur l’intégration dans les parcours professionnels des temps de vie consacrés à aider nos proches. Une démarche universelle. Avant MyTeamily, l’aide se trouvait en dehors des murs de l’entreprise : soutien psychologique, congés, etc. Quand on vient au travail, on ne laisse pas au vestiaire son uniforme d’aidant. Les inquiétudes et les soucis passent la porte d’entrée avec l’aidant. J’œuvre, avec mon équipe, pour que les entreprises reconnaissent ce temps de vie, intègrent son impact et trouvent des solutions.”

“Quand on vient au travail, on ne laisse pas au vestiaire son uniforme d’aidant. J’œuvre, avec mon équipe, pour que les entreprises reconnaissent ce temps de vie et trouvent des solutions.” – Caroline Mac Naughton (MyTeamily)

Impact jugé durement

Plus en avance que la Belgique sur le sujet, la France dispose de statistiques précises. Entre autres via l’Ocirp, l’Organisme commun des institutions de rente et de prévoyance. Ces chiffres, vu la proximité des cultures, sont facilement transposables dans la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ainsi, l’âge moyen des aidants en France est de 42 ans. Et leur âge moyen d’entrée dans l’aidance est de 33 ans. Il est estimé que 61% des quelque 10 millions d’aidants français sont des salariés. La moyenne du temps d’aide déclaré s’élève à 8,6 heures (soit l’équivalent d’une journée de travail). Et ce sont les femmes qui y sont largement majoritaires.

Trente pour cent des aidants actifs se sentent mis en difficulté professionnelle par leur situation. Enfin, la moitié des salariés aidants du privé et du public estiment que leur situation d’aidant les impacte dans différents aspects de leur vie professionnelle, un ressenti qui est encore amplifié chez les managers et les DRH (entre 72 et 75% !).

“Cet impact est la porte d’entrée dans les entreprises, souligne Caroline Mac Naughton. On m’écoute attentivement quand je parle des coûts cachés de l’aidance : démission, recrutement et formation d’un remplaçant, retard dans les projets, baisse de la performance de l’entreprise, ambiance dégradée dans les équipes, etc. Ces coûts ne sont pas listés aujourd’hui. En France, il n’y a pas un DRH qui n’a pas la problématique sur son bureau. En Belgique, où je réside désormais, je trouve, vu les contacts établis, que l’accompagnement des entreprises est surtout axé sur le social. Ce n’est pas suffisant, même si des exceptions existent.”

Il y a un an et demi, le papa de Laure-Emmanuelle Nonnenmacher, strategy & partnership leadership chez Proximus, a été victime d’un lourd AVC qui l’a laissé totalement paralysé du côté droit. Du jour au lendemain, elle a dû réaménager sa vie. Et concilier l’aide d’un papa qui vit en France avec sa carrière de top manager auprès de notre opérateur national.

“L’aidance nous fait ressentir un sentiment de vulnérabilité, confie-t-elle. Je suis maman solo. La France, je l’ai quittée il y a 25 ans. J’étais incapable de gérer les impôts ou la sécurité sociale de mon papa. Mais je me suis adaptée, j’ai trouvé de l’aide, et grâce à des plannings hyper-stricts avec mon frère, nous avons géré. Je vais en France tous les 15 jours. Qu’on ne s’y trompe pas, professionnellement, je n’ai jamais été aussi performante. Bosser me permet de sortir d’un quotidien qui peut être très morose et d’accomplir des choses : c’est une bouffée d’oxygène qui me permet de créer des liens et me donne de l’énergie. J’ai coutume de dire que je suis comme un roseau. Je plie pour retrouver une nouvelle stabilité avant la prochaine bourrasque. Garder cette élasticité est fondamental.”

Trouver un modus vivendi

Top manager, Laure-Emmanuelle Nonnenmacher a trouvé un modus vivendi avec Proximus. Au départ des trois jours autorisés de télétravail par semaine, elle a pu bénéficier d’une adaptation temporaire de son horaire et d’une augmentation des jours de télétravail à l’étranger (attestation médicale du parent en détresse à l’appui). L’opérateur national offre aussi la possibilité de prendre des congés supplémentaires (payés ou non) et la mise à disposition d’une cellule d’aide indépendante.

“Ma situation me permet de casser les idées reçues auprès des autres managers du groupe, dit-elle. Mon message porte sur la confiance et la mise en place d’une communication ouverte. Ce partage horizontal est crucial pour faire rentrer l’aidance dans une entreprise. Il faut oser libérer la parole et partager. L’aidance frappe tout le monde dans une entreprise : de la direction à l’ouvrier en production. C’est un phénomène universel qui nécessite d’oser en parler pour avoir la confiance de ses collègues et managers afin qu’ils comprennent la situation et puissent l’adapter. Tous les cas et les impacts sur la performance sont différents. J’avais déjà instauré un climat de confiance dans mes équipes. Mais parler de mon problème a délié les langues. J’ai un employé dont l’épouse souffre de sclérose en plaque, un autre dont la fille est épileptique profonde, etc. Personne n’est à l’abri.”

“C’est un phénomène universel qui nécessite d’oser en parler pour avoir la confiance de ses collègues et managers afin qu’ils comprennent la situation et puissent l’adapter.” – Laure-Emmanuelle Nonnenmacher (aidante)

MyTeamily débarque en Belgique

Active jusqu’ici uniquement en France, MyTeamily s’ouvre désormais à la Belgique. Avec le recul de sept années d’expérience, son approche managériale repose sur plusieurs piliers.

“Laure-Emmanuelle a parlé de la première étape essentielle : la communication, conclut Caroline Mac Naughton. Le deuxième pilier repose sur des ateliers spécifiques de formation à destination des managers. Comment repérer les situations, comment amorcer la discussion, etc. Il y a aussi des ateliers à destination des salariés. Via l’employeur, nous mettons aussi en place de l’accompagnement personnalisé pour un salarié (ou un groupe) et des managers. Enfin, nous animons aussi des communautés internes. Elles sont cruciales pour partager les ressources et les bonnes pratiques et faire remonter des solutions. Nous posons aussi des diagnostics indépendants qui garantissent l’anonymat des participants. La France est un grand pays et pourtant, notre approche est rare voire inédite à un tel niveau.”

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