Les Mousquetaires (le groupe propriétaire notamment des enseignes Intermarché et Netto) ont annoncé être entrés en négociations exclusives pour l’acquisition de 81 des 104 supermarchés Colruyt situés en France. Avec cette opération, l’enseigne belge arrête les frais d’une activité non rentable alors qu’Intermarché gagne des parts de marché.
Fin du suspense : le groupe Colruyt a annoncé la fin de ses activités françaises. Et c’est le groupement des Mousquetaires qui devrait récupérer une grande majorité des supermarchés. Désormais actée, l’information n’est pas surprenante puisque l’enseigne belge avait fait part, début avril, de son intention de céder ce pan d’activité, à la suite de difficultés récurrentes à le rentabiliser. “Les magasins contribuent positivement, mais les activités sont sous-dimensionnées pour pouvoir bénéficier des meilleures conditions d’achat et pour pouvoir couvrir les frais généraux et logistiques”, explique l’entreprise dans un communiqué.
Contrairement à la Belgique, où Colruyt possède de nombreuses enseignes (comme OKay, Bio-Planet, etc.), en France, il opérait sous une seule marque pour le grand public à savoir “Colruyt Prix-Qualité” et non pas “Meilleurs prix”, comme c’est le cas chez nous. L’unique enseigne de supermarchés était connue pour une politique de prix bas permanents, une offre essentielle et fonctionnelle et une implantation, souvent, dans des zones périurbaines ou rurales. Mais, malgré une présence depuis 1996, Colruyt n’aura jamais vraiment réussi à s’imposer comme un acteur majeur en France. “Le modèle Colruyt n’est tout simplement pas exportable, affirme Pierre-Alexandre Billiet, CEO de Gondola. Si en Belgique, le concept fonctionne, il est en fait une faiblesse à l’international, car les relations clients et la logistique sont différentes. C’est un discounter qui n’est par essence pas très flexible.”
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En près de 30 ans, le groupe n’a développé qu’une centaine de magasins – 104 pour être précis et 45 stations-services DATS24, pour un chiffre d’affaires d’environ 700 millions d’euros, un chiffre bien en deçà de ses ambitions initiales. “C’est bien vu de la part du nouveau CEO d’assumer que l’activité ne fonctionne tout simplement pas”, poursuit le CEO de Gondola. Le groupe avait pourtant continué de s’étendre au cours des dernières années, mais les conditions sur le marché français, ont eu raison de l’aventure française. “Malgré d’importants efforts, les résultats escomptés n’ont pas été atteints et les activités ne sont toujours pas rentables”, explique Stefan Goethaert, CEO de Colruyt.
La preuve : l’enseigne a accusé de sérieuses pertes au cours des dernières années pour sa filiale française. Dix-huit millions d’euros en 2023, 32 millions d’euros en 2024 et 20 millions d’euros pour l’exercice décalé, clos fin mars 2025. Dans ce contexte, l’enseigne a préféré se retirer plutôt que d’investir davantage. “Avec ce retrait, Colruyt se concentre sur ce qu’il sait faire et remet l’accent sur la Belgique et le Luxembourg”, pointe Pierre-Alexandre Billiet.
E.Leclerc, coupable désigné
Colruyt a dû surtout composer avec E.Leclerc, qui en poussant les prix vers le bas, a mis une pression énorme sur les marges des autres enseignes, et notamment celles de taille plus modeste comme Colruyt. “Colruyt n’a jamais atteint la taille critique pour être compétitif et cette guerre des prix limite les possibilités de marge suffisante”, ajoute le CEO de Gondola. En misant sur une image de prix bas et de simplicité, mais sans la notoriété ni la puissance logistique d’E.Leclerc, Colruyt a éprouvé des difficultés à se différencier auprès des consommateurs français, qui ont souvent préféré l’enseigne la plus connue et la plus implantée.
Si E.Leclerc se trouvait également dans la course à la reprise, c’est finalement le Groupement des Mousquetaires, la structure des adhérents propriétaires d’Intermarché, qui rafle la mise. Il met ainsi la main sur 81 magasins, 44 stations-services et 1.300 salariés pour un montant de 215 millions d’euros, soit environ 30% du chiffre d’affaires de Colruyt France (716 millions d’euros à fin mars 2025).
“Je ne suis pas dans le secret des négociations, mais cette reprise par Intermarché me semble être un pied de nez à Leclerc, dont l’arrivée au Luxembourg est difficile à digérer pour Colruyt, avance Pierre-Alexandre Billiet. D’autant que la politique des prix bas menée par E.Leclerc commence sérieusement à agacer les acteurs du marché.”
Reste que la promesse d’achat ne couvre pas la totalité des activités. Les fonctions support du siège de Rochefort-sur-Nenon, les 23 autres magasins Colruyt Prix Qualité, une station-service DATS 24 et les entrepôts de Dole Choisey, Rochefort-sur-Nenon et Gondreville-Fontenoy ne figurent pas dans l’offre ferme du Groupement, car “non compatibles avec le réseau actuel des Mousquetaires”.
Un coup de maître d’Intermarché
Cette reprise est une belle opération pour Les Mousquetaires, le marché français se trouvant en pleine restructuration, avec de nombreuses fusions et acquisitions. Carrefour a, par exemple, absorbé Cora et Match, renforçant sa position dans le nord et le sud-est. E.Leclerc reste dominant dans l’ouest et l’est, alors qu’Auchan et Système U cherchent à se repositionner via des alliances ou des rachats. “Après cette vague de consolidation, le marché se dirige vers des acquisitions de titan. Il faudra donc peser lourd pour s’en sortir, analyse le CEO de Gondola. Les magasins Colruyt constituaient le dernier gros morceau du gâteau à prendre sans risquer l’indigestion.”
“Les magasins Colruyt constituaient le dernier gros morceau du gâteau à prendre sans risquer l’indigestion.” Pierre-Alexandre Billiet, CEO de Gondola
Ce nouvel investissement permet au Français de consolider sa position dans le top 3 et ainsi renforcer son poids face à Carrefour, E.Leclerc et Auchan. Cet effet de taille est également un avantage pour négocier avec les fournisseurs et permet de réduire les coûts logistiques grâce à une meilleure couverture. Et, avantage considérable, le groupe n’a pas eu à sortir son portefeuille puisque ce sont les adhérents eux-mêmes qui ont formulé des offres pour racheter les points de vente. Selon les calculs des médias français, il faut dépenser entre 2,5 et 3 millions d’euros pour s’offrir un magasin Colruyt, et y rajouter le montant lié aux travaux de rénovation, soit quelques centaines de milliers d’euros.
Le groupe français poursuit ainsi sa stratégie de grignotage intensif afin d’atteindre 20% de parts de marché d’ici 2028. Le réseau de magasins Colruyt, d’une surface d’environ 1.000 m², vient ainsi compléter les 300 hypermarchés et supermarchés rachetés à Casino fin 2023. Outre le gain de parts de marché, l’acquisition permet au groupement Les Mousquetaires de consolider leur présence, notamment dans des zones où leur couverture était plus faible, principalement dans l’est et le centre de la France, mais aussi d’écouler sa surproduction de private labels. “Il y a de véritables similitudes entre les deux entreprises qui ont pour habitude de faire les choses par elles-mêmes, que ce soit au niveau de l’immobilier, de la production ou de la communication, ajoute Pierre-Alexandre Billiet. La seule différence est que l’une est une coopérative et l’autre une société familiale.