Quelle explication à l’augmentation du prix des tickets de concert?
La flambée des prix concerne aussi les concerts. Exemple: des tickets vendus à des tarifs allant jusqu’à 489 euros pour la prochaine soirée des Rolling Stones au stade Roi Baudouin, le 11 juillet prochain.
Le 7 mai 1976, on déboursait 300 francs belges pour assister au concert des Rolling Stones à Forest National. Soit 7,5 euros (36 euros en valeur actuelle). A l’époque, cette somme correspondait au prix d’un 33 tours. Pas d’un week-end à Ibiza… Et si l’évolution du coût d’un concert live était analysée à l’aune des prestations scéniques de la bande à Mick Jagger en Belgique? Entre le premier concert des Anglais donné au Palais des Sports de Schaerbeek le 27 mars 1966 et leur prochain passage au stade Roi Baudouin en juillet, le prix des places a en effet considérablement gonflé, bien au-delà du simple jeu de l’inflation.
Business, enjeux, merchandising: en un demi-siècle, tout a follement changé dans l’univers de la pop. Une explosion tarifaire qui ne peut s’expliquer par le seul succès de ce type de musique. Exemple aux Etats-Unis. Après le festival de Woodstock (1969), les groupes stars du moment, et notamment les Anglais de Led Zeppelin, Rolling Stones ou The Who, profitent déjà à plein d’une infrastructure américaine nettement plus étoffée que celle disponible en Europe. Les temples dédiés au basket ou au hockey sur glace, parfois d’une capacité de 15.000 à 20.000 spectateurs, n’ont guère d’équivalents de ce côté-ci de l’Atlantique. Une offre d’ailleurs complétée par un aussi vaste ensemble de stades à ciel ouvert, normalement dédiés au baseball et au football local, mais disponibles à la location. Ainsi, le 5 mai 1973, Led Zeppelin établit un record pour un simple concert , rameutant 56.000 spectateurs/payeurs à Tampa, Floride. Prix de base: 5 dollars… Un peu moins de 40 dollars d’aujourd’hui… à comparer avec les 489 euros (prix maximal) pour la prochaine soirée des Rolling Stones à Bruxelles.
On est passé de l’ère des promoteurs à celle des ‘corporates’. Le marché a complètement changé.
Curieuse disparité
Alors que s’est-il passé pour que les prix décollent ainsi? Contacté début juin par téléphone, l’organisateur du concert au Roi Baudouin, Pascal Van De Velde, de Greenhouse Talent commente: “J’ai reçu énormément de demandes de justification sur le prix des tickets à Bruxelles et, franchement, j’en ai assez. D’ailleurs, je suis tenu par une clause de confidentialité”. Le ton est à l’agacement, provoqué notamment par plusieurs articles parus dans la presse belge qui ont dénoncé ces tarifs dès l’annonce de l’événement. Le promoteur met ensuite rapidement fin à la conversation, consentant néanmoins à répondre à quelques questions posées par e-mail. Deux semaines plus tard, aucune nouvelle…
La raison de ce silence est peut-être à chercher dans l’info suivante: à l’heure où nous écrivions ces lignes, et contrairement à plusieurs étapes de l’actuelle tournée européenne des Stones (14 dates dans 10 pays), le stade Roi Baudouin n’affichait pas encore complet. A Bruxelles, ce sont toutefois les places les plus chères qui semblent être parties le plus vite. Le 11 juillet, le Diamond Pit à 489 euros, juste au pied de la scène, devrait ainsi être sold-out. Mais comment expliquer la disparité du coût du ticket? Pour le concert au Ernst Happel Stadion de Vienne, le 15 juillet, le sommet du panier a été fixé à 359 euros. A Stockholm, 15 jours plus tard, c’est pratiquement le double. On est pourtant ici encore loin d’une dernières tendances du marché, celle du meet & greet : par exemple, les Anglo-Américains de Fleetwood Mac qui proposent à leurs fans les plus dévoués une (brève) rencontre avant le concert, puis une place proche de la scène. Prix de la poignée de main non virtuelle voire du selfie avec les vedettes: aux alentours des 1.000 dollars.
On se souvient néanmoins qu’au dernier concert en date des Stones en Belgique (à Werchter TW Classic, en 2014), les 60.000 tickets s’étaient vendus en quelques heures au prix presque démocratique de 55 euros. D’ailleurs, cet été 2022, toujours au Roi Baudouin, Coldplay va remplir quatre stades et Ed Sheeran, pas moins de deux mais à un coût nettement moins flambé que celui demandé pour les Stones: de 52 à 138 euros.
Un million de dollars
Aujourd’hui retraité, l’Anversois Paul Ambach a été la moitié de la société Make It Happen, avec son comparse Michel Perl, qui a notamment organisé les trois soirées belges des Stones de 1973 à Bruxelles et Anvers (*) ainsi que les deux prestations des mêmes, à Forest National, trois ans plus tard. A l’époque, hormis quelques miroirs suspendus, un (ridicule) pénis géant gonflable enfourché par Mick Jagger et quelques seaux de confettis, le visuel, en dehors de la musique, est inexistant. Rien de comparable avec la monstruosité scénique actuelle. “Les choses n’étaient pas les mêmes, on parle d’une autre histoire géopolitique (sic), d’une autre façon de faire, admet Paul Ambach. Dans les années 1970, les grands groupes comme les Rolling Stones fonctionnaient avec une garantie. Si Forest National pouvait accueillir 8.000 personnes, ils demandaient une garantie sur 6.000 spectateurs. Après déduction de tous les frais – la location de la salle, les taxes communales, la TVA, etc. – le groupe repartait avec environ 45% de la recette, soit environ un million de francs belges. Mais depuis, on est passé de l’ère des promoteurs à celle des corporates. Après que Live Nation (alors encore appelée Clear Channel) a racheté la société américaine SFX, elle-même ayant récupéré tous les promoteurs locaux, le marché a complètement changé.”
Depuis les années 2000, il fonctionne en effet sur un modèle d’offres globales internationales, disputées notamment aussi par l’autre géant de l’ entertainment, le Californien AEG Presents. “Ces boîtes peuvent aussi acheter le merchandising, offrir des avances faramineuses, gigantesques, d’où l’inflation du prix des billets, poursuit Paul Ambach. D’après moi, les Stones au Roi Baudouin, c’est au minimum un million de dollars de cachet… On ne peut pas non plus sous-estimer le fait que pour certains groupes légendaires, les fans peuvent avoir l’impression qu’il s’agit chaque fois de ‘the final’, la dernière tournée.” D’où la facilité avec laquelle le public, d’ailleurs lui-même souvent plus âgé et fortuné qu’autrefois, accepte de piocher généreusement dans son portefeuille…
(*) Dont une date réservée aux Français, Keith Richards étant à l’époque interdit de séjour en France.
L’autre modèle
Il y a les rendez-vous musicaux toujours plus chers, comme les concerts des Rolling Stones. Et puis les autres… En Belgique, on le sait, les festivals de musique gratuits ne manquent pas: Brussels Jazz Weekend, Feeërieën et autres Fête de la Musique. Mais le Sfinks anversois semble être la seule manifestation musicale d’envergure, passée de l’entrée payante… à la gratuité. Créé en 1976, dans une option musiques du monde, le festival a changé de cap en 2013. “Cette année-là, nous avons perdu nos subventions parce qu’on a refusé de suivre l’administration flamande de la Culture, qui voulait qu’on augmente le prix des tickets – alors 50 euros pour le week-end – afin de moins dépendre de l’argent public, explique le directeur Patrick De Groote. On a donc proposé la gratuité, en gérant nous-mêmes, sans intermédiaires, bars, restos, camping, parkings et recherche de sponsors, ces derniers représentant 10% d’un budget de 1,5 million d’euros par édition. Même si celle de 2022 est un peu plus restreinte – à cause des incertitudes liées au covid – on attend quand même 60.000 visiteurs…”.
Sfinks Mixed, du 28 au 31 juillet à Boechout www.sfinks.be
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