Benjamin Wayenberg et Pierre-Louis d’Argenlieu ont créé une structure pour racheter des PME à transmettre, afin de les confier ensuite à leurs salariés. Un modèle original, qui permet de préserver un tissu vital pour notre économie. Rencontre.
Benjamin Wayenberg a 40 ans et une carrière déjà bien remplie dans des start-up ou le private equity. Depuis 18 mois, ce Bruxellois préside aux destinées d’un nouveau bébé, PurpleShares, créé avec son associé français Pierre-Louis d’Argenlieu. Objectif ? Reprendre des PME pour les pérenniser aux mains de leurs salariés.
“Nous sommes très humbles dans notre démarche, insiste-t-il. Nous ne nous prenons pas pour des chevaliers blancs.” Pourtant, la démarche est singulière.
La mémoire d’un père
Le projet de PurpleShares est le prolongement d’une histoire familiale qui tient fort à cœur à Benjamin Wayenberg. “Mon père, qui était à la tête d’une PME dans le textile, a toujours été une figure importante pour moi, nous confie-t-il. Après mes études à Solvay, j’ai eu l’occasion de travailler à l’étranger, mais lorsqu’il est tombé gravement malade, je suis rentré à Bruxelles.” Benjamin Wayenberg investit alors dans l’immobilier et créé deux start-up, Shelterr et Byebyerent. “Le dernier projet misait déjà sur la finance avec un impact social important : permettre à des particuliers d’acheter un bien immobilier sans fonds propres.”
Lorsque son père décède à 94 ans, sans avoir jamais quitté sa PME, ce jeune entrepreneur se trouve face à un choix cornélien. “J’ai finalement dû la liquider complètement en reprenant ses arriérés. Il faut savoir que mon père avait tenté de revendre son entreprise quand il avait 65 ans, 75 ans, 85 ans… Mais il n’a jamais pu lâcher, il travaillait pour eux. J’ai même essayé de leur retrouver un emploi, je me sentais responsable.”
“Cet épisode m’a fortement touché, cela m’a donné envie de faire quelque chose et je me suis rendu compte que mon père était loin d’être seul dans le cas, prolonge ce jeune quadragénaire. Septante pour cent des patrons de PME sont dans la même situation, ils n’ont pas de solution de transmission parce que leurs enfants veulent travailler dans des start-up ou de grands groupes. Les PME sont souvent trop petites pour des fonds d’investissement, et trop onéreuses pour les employés qui n’ont même pas l’idée de la reprendre.” Bref, trop souvent, c’est l’impasse…
68% du PIB européen
“Or, on ne se rend pas compte de l’importance de l’enjeu, appuie le cofondateur de PurpleShares. Les PME représentent 68% du PIB européen. Elles sont vitales pour faire vivre l’économie locale. Généralement, quand un fonds rachète une entreprise, il consolide, et souvent supprime des emplois. Nous pensons qu’il y a une autre manière de faire l’économie, et c’est ce que nous tentons de faire.”
Après des mois de réflexion, de nombreux tests pour valider les hypothèses, Benjamin Wayenberg et Pierre-Louis d’Argenlieu se sont lancés dans la grande aventure et comptent déjà une bonne dizaine de transactions à leur actif. “Dans une transmission, il y a potentiellement les enfants de la famille, mais il y a aussi des enfants adoptifs qui ne sont autres que les employés, explique le premier. Dans ces PME, certains veulent rester employés ou ne pas prendre de risques, mais dans 50% des sociétés que l’on regarde, il y a quelqu’un ayant les épaules en interne pour pérenniser cette transmission. La beauté de notre modèle, c’est qu’il ne doit pas payer ses parts.”
La mécanique est celle de l’actionnariat salarié : “Nous rachetons la PME. Progressivement, nous la transférons aux employés et nous utilisons l’excédent de trésorerie de cette PME pour nous racheter nos parts et donner ces actions aux employés.” Tout le monde y trouve son compte !
Comment trouver ces PME ? “Nous avons un outil qui référence toutes les PME actuellement à vendre en France et en Belgique. Il y en a énormément. En Europe, nous attendons sur le marché quelque 450.000 PME chaque année, éligibles à la reprise. C’est un marché considérable. Jamais nous ne pourrions évidemment faire un tel nombre de rachats, notre but est aussi d’évangéliser ce modèle. Pour les sourcer, il y a des courtiers spécialisés qui présentent ces entreprises, mais aussi des sources froides : des PME dont le CEO atteint l’âge de la retraite, que l’on doit convaincre de vendre.” Et à vrai dire, confie l’entrepreneur, cela fonctionne plutôt bien.
Perpétuer, pas restructurer
“Pour la sélection, nous avons des critères de base qui sont assez simples, prolonge Benjamin Wayenberg. Nous ne voulons pas racheter de start-up, nous ne regardons que des PME qui ont au minimum 10 ans d’existence, avec un minimum d’employés et d’Ebitda… Et nous ne reprenons pas des entreprises à la barre du tribunal, de même que nous ne reprenons pas des sociétés en décroissance et qui vendent en panique. Nous voulons des entreprises saines, pas trop endettées, avec une petite croissance et des cycles économiques naturels. Nous ne couvrons pas certains secteurs – l’horeca, l’événementiel… –, nous visons surtout des sociétés de services.”
“Nous visons des entreprises saines, pas trop endettées, avec une petite croissance et des cycles économiques naturels.” – Benjamin Wayenberg et Pierre-Louis d’Argenlieu
Une fois l’entreprise sélectionnée, place à la négociation. “Pour déterminer les clauses précises, c’est tout un art et notre modèle facilite cette opération, explique notre interlocuteur. Nous rachetons pour vendre aux employés, cela diminue les prétentions sur le prix et les conditions de sortie du cédant. Il n’y a pas 20 pages de clauses juridiques, c’est plus simple, nous proposons une autre manière de faire du transactionnel. Nous ne reprenons pas une entreprise pour lui retirer son nom, la restructurer et l’intégrer, ce n’est pas du tout notre volonté. Dans notre approche, il n’y a pas de désengagement social.” C’est simple : il s’agit de perpétuer les PME.
Dans le document présentant leur approche, les cofondateurs de PurpleShares évoquent la volonté d’intervenir auprès de “1.000 PME”. Est-ce possible ? “Certains acteurs qui consolident le marché font 50 à 100 acquisitions par an, sourit Benjamin Wayenberg. Dans 30 ans, je travaillerai encore, c’est dans notre ADN. Je pense que ce chiffre de 1.000 est atteignable. C’est un choix du cœur. J’ai trouvé ma voie avec ce projet. C’est important pour ma génération d’avoir une forme d’impact. Il ne s’agit pas de faire de l’argent pour de l’argent ou de conquérir des titres.”
Quant aux investisseurs? “Nous avions besoin de gens alignés à notre vision. Nous avons été ultra sélectifs. Mais nous préférons rester discrets à ce sujet.”
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