Pourquoi l’homme le plus riche du Royaume-Uni a investi massivement dans le football français
La plus grande fortune britannique et patron de la société spécialisée dans les produits pétroliers et pétrochimiques Ineos Jim Ratcliffe vient de racheter le club de football français de l’OGC Nice. Impôts, passion pour le sport ou encore “sportwashing” : les raisons de cet investissement sont multiples. Tour d’horizon.
Cent millions. Voilà la somme record déboursée pour le rachat d’un club de football français, en l’occurrence l’OGC Nice. L’heureux nouveau propriétaire se nomme Jim Ratcliffe, 66 ans et première fortune britannique. Le fondateur et PDG de la société Ineos, une compagnie active dans le secteur du pétrole et la pétrochimie, n’est pas à son coup d’essai en termes d’investissements dans le monde sportif : en novembre 2017 déjà, Ineos et Ratcliffe s’offrent le club suisse du FC Lausanne, avant de marquer un grand coup au printemps 2019 en mettant la main sur l’équipe cycliste Sky. Cette dernière, qui a remporté à plusieurs reprises des grands tours, grâce à Bradley Wiggins, Chris Froome ou encore Geraint Thomas notamment, porte aujourd’hui le nom de l’entreprise britannique. Encore récémment, elle s’est distinguée par une nouvelle victoire finale au Tour de France de cette année,avec le triomphe d’Egan Bernal.
La somme de 100 millions se situe bien au-delà des montants de rachats de clubs français plus importants et plus prestigieux que l’OGC Nice, comme l’Olympique de Marseille (racheté par le milliardaire américain Frank McCourt en octobre 2016 pour environ 45 millions d’euros), ou encore le PSG (dont 70% des parts ont été rachetées par un fonds d’investissement du Qatar en 2011 pour une somme avoisinant les 40 millions d’euros).
Investir dans le football, un pari risqué
Investir dans un club de football est généralement peu rentable. Quand les recettes du club augmentent, le prix des transferts et la masse salariale des joueurs se voient également gonfler. De plus, la glorieuse incertitude du sport joue aussi un rôle prépondérant. Le succès n’est pas toujours au rendez-vous. Comme l’expliquait l’économiste Christophe Lepetit, dans une interview accordée à l’Humanité en 2016, “il faut avoir les poches bien pleines pour supporter le train de vie des clubs, être prêt à investir sur la durée car la rentabilité financière directe n’existe quasiment pas, voire jamais. En France, il y a en plus un véritable déficit structurel des clubs qui fait que les actionnaires doivent très souvent remettre au pot”. En France, si le PSG survole littéralement les compétitions nationales, son objectif principal, à savoir remporter la Ligue des Champions, n’a toujours pas été atteint.
Pourquoi l’homme aux 24 milliards d’euros de fortune a-t-il dès lors investi dans un club relativement modeste en France ? Les raisons sont multiples.
Tout d’abord, il faut signaler qu’il demeure plus simple de devenir propriétaire d’un club en France plutôt qu’en Angleterre ou en Allemagne, par exemple. En effet, comme l’expliquait Christophe Lepetit, toujours à l’Humanité, “les entreprises du CAC40 ne sont pas intéressées par le sport, dès lors, les clubs se tournent plus facilement vers les investisseurs étrangers. La Premier League est trop chère. En Allemagne, des mécanismes de régulation les empêchent de devenir majoritaires dans le capital du club. En France, le ticket d’entrée est relativement faible. La plupart des clubs de l’Hexagone ne sont pas propriétaires de leur stade, ils ont peu d’actifs et leur prix est abordable”. Ce qui pourrait donc expliquer la “faiblesse” du montant du rachat d’un monument comme l’est l’OM (entre temps, le club phocéen est devenu le seul gestionnaire de son stade).
Ensuite, si Jim Ratcliffe est un véritable passionné de sport, le riche nouveau propriétaire des Aiglons a élu résidence l’année dernière à Monaco, pour raisons fiscales. La proximité entre la Principauté et Nice pourrait également expliquer pourquoi l’ingénieur et patron britannique a décidé d’investir dans cette région.
Chelsea après Nice ?
Mais investir dans le sport (ou dans une région particulière, comme le Qatar le fait avec Paris sous forme de soft power) peut également ouvrir des portes et permet de rentrer plus facilement dans des cercles de décideurs politiques et économiques importants, susceptibles d’être intéressants pour votre business, favorisant peut-être aussi, à terme, de nouvelles opportunités économiques et éventuellement de nouvelles acquisitions.
Placer ses billes dans le sport permet aussi de se donner une bonne image. Jim Ratcliffe, entrepreneur assez mystérieux (voir son portrait dans l’encadré plus bas), n’est guère apprécié tant par les syndicats de son pays (il a usé de plusieurs plans sociaux) que par les organisations environnementales, car il défend le gaz de schiste. Ces dernières lui reprochent de s’investir dans le monde du sport pour se racheter une virginité et une image positive. Partisan du Brexit, il serait aussi le “champion de l’optimisation fiscale”, et son installation récente, comme dit plus haut, à Monaco, pourrait également le confirmer.
En tout cas, investir dans un club comme Nice peut s’avérer intéressant. D’abord, les droits télé pour l’Hexagone vont augmenter de 60% l’année prochaine, promettant donc de belles rentrées d’argent. Ensuite, Nice évolue dans un stade très moderne (qu’il ne possède certes pas), bâti comme beaucoup d’autres pour l’Euro 2016. Enfin, Nice est une équipe où la pression est bien plus faible qu’à Paris, Marseille ou encore Lyon. Le club ne peut donc que grandir. Bob Ratcliffe, frère de Jim, n’étalait d’ailleurs pas de promesses trop ambitieuses : “Nice se donne 3 à 5 ans pour devenir un club qui se qualifie régulièrement pour les coupes d’Europe”, relaie Sport 24. Un objectif qui se veut réaliste, et pas trop gourmand.
Nice ne serait-elle qu’une étape dans la politique d’investissement dans le football de la part d’Ineos ? Ce n’est pas un secret que Jim Ratcliffe a des vues sur le club londonien de Chelsea, dont il a visité les installations il y a quelques mois. “Je ne dirais jamais non, mais je ne sais pas où ces conversations se termineront”, avait-il expliqué à la BBC, qui l’interrogeait sur son intérêt pour les Blues.
Jim Ratcliffe, 66 ans, a gravi presque tout seul l’ascenseur social britannique. Son père était menuisier, sa mère employée, et il grandit dans un HLM dans la banlieue pauvre de Manchester. Grand partisan du Brexit (c’est un des rares grands patrons britanniques à le soutenir), il milite pour une baisse d’impôts et moins de réglementation, explique Business Insider. Ce n’est dès lors pas une surprise si l’homme-fort d’Ineos a décidé l’année dernière de s’installer à Monaco. Redoutable entrepreneur, “JR” ou “Dr. No”, comme l’ont surnommé plusieurs médias d’outre-Manche, est un personnage plutôt secret. S’il est très peu apprécié par les syndicats de son pays, à force d’avoir multiplié les plans sociaux, le mystère reste tout aussi opaque quant à ses sociétés. Au fil des années, l’homme-fort d’Ineos a construit une nébuleuse juridique, comme l’indique un article de La Croix, à travers un ensemble d’une trentaine de sociétés différentes, avec en son sommet Ineos Limited, enregistré dans le paradis fiscal de l’île de Man.
“Champion de l’optimisation fiscale”, après le déplacement du siège social de son entreprise en Suisse, il revient tout de même à Londres après l’annonce de la baisse de l’impôt des sociétés par le gouvernement Cameron. Anobli par la reine en 2018, il décide tout de même de rallier Monaco pour échapper à l’impôt sur le revenu.
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