La faillite de la biotech liégeoise n’est toujours pas bouclée, parce que certains investisseurs, dont François Fornieri, lui réclament 200 millions d’euros. Pourtant, son médicament connaît un succès commercial. Trop tard pour les actionnaires.
Voici quelques jours, nos confrères de L-Post rappelaient que le dossier de la faillite de Mithra n’était toujours pas bouclé. En cause, le litige qui sera porté vraisemblablement l’an prochain devant le tribunal de l’entreprise de Liège. Un conflit qui oppose les curateurs de Mithra aux “Uteron Sellers”, un groupe d’investisseurs, parmi lesquels on trouve des actionnaires historiques de la biotech liégeoise (François Fornieri et Jean-Michel Foidart), qui détenaient les droits sur la pilule Estelle et les ont cédés à Mithra. Les “Uteron Sellers” réclament aujourd’hui, en raison de cette cession, environ 200 millions à Mithra. Mais les curateurs de la société contestent cette facture qui représente presque la moitié du total des créances sur l’ancienne biotech liégeoise.
D’où vient ce contentieux, et où en sont Mithra et sa pilule Estelle, laquelle continue de procurer de l’activité à Liège ? Ce sont les questions que nous nous sommes posées. Et les réponses, on le verra, ne sont pas toutes négatives.
Que s’est-il passé juste avant la faillite?
D’abord, un peu d’histoire : Mithra et certaines de ses sociétés satellites sont tombées en faillite voici un peu plus d’un an, en juin 2024. Le dépôt de bilan laissait environ 150 personnes sans emploi.
Quand on parle de Mithra, on parle en fait de plusieurs sociétés, aux activités diverses. “Il y a quatre dossiers dans cette faillite, précise l’un des deux curateurs, François Minon, du cabinet Henry & Mersch. Il y a Mithra Pharma, Mithra CDMO, Mithra Recherche et Développement, et Novalon.”
Mithra Pharma était la société qui commercialisait la pilule contraceptive Estelle, le produit phare de Mithra. Novalon, de son côté, développait l’anneau contraceptif MyRing. Mithra R&D abritait diverses activités en développement. Et Mithra CDMO offrait, à Flémalle, un centre de production flambant neuf pour des sociétés pharmaceutiques tierces. Le bâtiment ayant fait l’objet d’un leasing, ce sont ING et la société Monument qui sont chargées de cet actif, qui n’a toujours pas trouvé preneur.
Revente d’une partie importante des actifs
Peu avant la faillite, Mithra avait revendu au laboratoire hongrois Gedeon Richter une partie importante de ses actifs. Gedeon Richter avait racheté la commercialisation d’Estelle et les licences autour de l’estetrol, l’œstrogène que l’on retrouve dans la pilule Estelle et dans le Donesta, un produit en développement devant servir à combattre les effets de la ménopause. Ce savoir-faire et ces licences étaient disséminés dans plusieurs sociétés du groupe liégeois, ce qui explique que Gedeon Richter ait racheté à Mithra, pour 175 millions d’euros, ses filiales Neuralis et Estetra, ainsi que certains actifs spécifiques logés dans Mithra R&D.
Qu’a fait Mithra de cet argent ? La société l’a versé “aux créanciers dans l’ordre des privilèges”, expliquait alors Mithra. Les créanciers privilégiés étaient les fonds Highbridge Capital Management et Whitebox Advisors, qui avaient refinancé Mithra en échange d’un gage sur ces actifs, ainsi que les banques Belfius et ING, qui avaient octroyé plusieurs dizaines de millions de crédit.
Que reste-t-il de la pilule Estelle?
Pourquoi est-ce finalement un laboratoire hongrois qui a racheté les principaux actifs de Mithra ? “Il était assez normal que Gedeon Richter ait racheté les brevets, note un proche observateur du dossier, car c’était elle qui avait le plus à perdre. Elle avait en effet payé le plus cher pour pouvoir commercialiser les produits de Mithra.” Un an avant la faillite, Gedeon Richter avait effectivement signé avec Mithra un contrat portant sur 35 millions d’euros de paiement initial pour commercialiser Estelle sur le marché européen et 55 millions pour développer le Donesta en Europe, en Amérique latine et en Océanie.
Mais Gedeon Richter n’a pas nécessairement fait une mauvaise affaire. Aujourd’hui, Estetra est une société bien active, qui emploie environ 90 personnes dans le LégiaPark de Liège. Et tout aussi important, dans les comptes de Gedeon Richter, la pilule Estelle, rebaptisée Drovelis, connaît un succès commercial. Gedeon Richter ne détaille ses objectifs que pour le continent européen, et nos demandes d’informations sont restées sans réponse, mais les chiffres sont significatifs : l’objectif en Europe est de dépasser 50 millions d’euros de ventes cette année, et d’atteindre, d’ici 2030, des revenus de 100 millions d’euros par an. Ces objectifs sont déjà dépassés : Gedeon Richter a affiché sur la pilule Drovelis 31,8 millions d’euros de revenus au premier semestre de cette année (+ 66% sur un an), et se réjouit de ce que les ventes connaissent un “strong momentum” (un fort élan).
Que sont devenus les employés?
Lors de la faillite de Mithra, il restait environ 150 personnes sur le payroll de la société liégeoise. La bonne nouvelle est que la plupart ont retrouvé du travail. La cellule de reconversion, qui devait aider 127 personnes à retrouver un nouvel emploi, peut se réjouir : près d’une centaine ont décroché un job, beaucoup dans l’écosystème pharmaceutique liégeois. Et certains même chez Estetra.
Cependant, si beaucoup ne sont pas restés au chômage, les anciens employés de Mithra attendent toujours une partie de leurs indemnités de licenciement. “Dans cette affaire, ce sont les travailleurs qui sont les grands perdants, explique le curateur François Minon. Certains créanciers veulent que leur créance passe avant celle des travailleurs. Ces derniers ont donc reçu les indemnités du fonds de fermeture des entreprises (202,93 euros par année d’ancienneté, ndlr), mais rien au-delà”, ajoute-t-il.
“Dans cette affaire, ce sont les travailleurs qui sont les grands perdants.” – François Minon, curateur de Mithra
Pourquoi le dossier de la faillite est bloqué?
Le dossier Mithra est en effet bloqué en raison du conflit qui existe entre certains créanciers et les curateurs, François Minon et Yves Godfroid, du cabinet Henry & Mersch. Ce conflit tourne autour des droits de la pilule Estelle. Ceux-ci avaient été logés historiquement dans la société Uteron Pharma, dont les actionnaires étaient, entre autres, François Fornieri et Jean-Michel Foidart, auxquels étaient venus s’ajouter un groupe d’investisseurs privés.

En 2012, le groupe américain Actavis s’intéresse aux activités d’Uteron Pharma et fait une offre sur certains projets de la société liégeoise, parmi lesquels celui de la pilule Estelle, qui à l’époque est encore en développement. Une offre que l’on peut difficilement refuser : Actavis est prêt à payer 50 millions de dollars et, si les projets se développent comme prévu, des milestones (paiements d’étape) pouvant totaliser 155 millions de plus. Le deal est signé en janvier 2013.
Mais rapidement, Actavis se rend compte que le développement de ces projets va lui coûter très cher. Et comme la société a entre-temps racheté, pour 24 milliards de dollars, un autre laboratoire, sa stratégie se recentre et Actavis abandonne Estelle. Les anciens actionnaires d’Uteron flairent la bonne affaire : ils avaient prévu de pouvoir racheter Estelle pour un euro symbolique si Actavis abandonnait le projet.
Les “Uteron Sellers”
Au début de l’année 2015, Mithra, dont le CEO François Fornieri est actionnaire à plus de 41%, veut se faire belle avant d’entrer en Bourse. La société signe donc avec Actavis un accord dans lequel la société liégeoise reprend pour un euro symbolique, mais avec les dettes et le personnel, le projet Estelle abandonné par le groupe américain. Même si Mithra est désormais propriétaire des droits d’Estelle, l’entreprise va toutefois conclure un accord avec les actionnaires de la société Uteron, parmi lesquels on retrouve François Fornieri, pour les rémunérer sur cet apport.
L’accord va faire jaser : la société liégeoise accepte en effet de payer 57,5 millions d’euros aux actionnaires d’Uteron – les “Uteron Sellers” –, à quoi s’ajoutent des redevances pouvant aller jusqu’à 7% des recettes des ventes et des partenariats relatifs à Estelle. Si les ventes d’Estelle se passent comme prévu, les “Uteron Sellers” (François Fornieri, la famille van Rompay, Jean-Michel Foidart…) pourraient recevoir plus de 660 millions d’euros. Apprenant cela, Marc Coucke, qui est entré au conseil de Mithra, veut renégocier ce deal. L’accord est donc revu et Mithra consent à désormais payer, quelles que soient les recettes d’Estelle, une somme fixe d’environ 250 millions d’euros, dont 40 millions peuvent être payés en actions.
Un montant “déraisonnable”
Les affaires de Mithra ne se développent cependant pas comme la société l’avait espéré. François Fornieri doit faire un pas de côté et, en 2023, un nouveau conseil d’administration est nommé. Il découvre l’accord, et aussi que Mithra doit encore payer à l’époque 185 millions aux “Uteron Sellers”. Le conseil, présidé par Christian Homsy, l’ancien CEO de Celyad, trouve le montant “déraisonnable”, d’autant plus que les “Uteron Sellers” ont déjà perçu des sommes considérables sur ces brevets liés à Estelle : 150 millions de dollars ont été payés par Actavis, auxquels s’ajoutent 79 millions d’euros qui leur ont déjà été versés, entre 2015 et 2023, par Mithra.
Mais les “Uteron Sellers” n’en démordent pas. Ils veulent aujourd’hui encore que la curatelle de Mithra leur verse ce à quoi ils estiment avoir droit. Cette créance représente 40% du passif de Mithra Pharma, qui dépasse les 500 millions d’euros, soit un montant d’environ 200 millions d’euros pour les “Uteron Sellers”.
Pas de procès avant l’an prochain
“Les Uteron Sellers ont effectivement déposé des déclarations de créances importantes, en faisant valoir certaines qualités de leurs créances que nous avons contestées, explique François Minon. Certains créanciers ont été désintéressés, notamment les créanciers américains (les fonds Highbridge et Whitebox, ndlr) qui avaient pris les garanties nécessaires et ont accepté de refinancer la procédure de cession pour que nous puissions avoir des banques d’affaires qui recherchent un repreneur. Mais les Uteron Sellers réclament des montants exorbitants. Ils estiment être des créanciers privilégiés, passant devant les autres. Nous contestons la qualité et le montant de ces créances.”
“Les ‘Uteron Sellers’ réclament des montants exorbitants.” – François Minon, curateur de Mithra
Le dossier n’en est encore qu’à ses débuts. “Nous attendons de recevoir les pièces étayant les arguments des Uteron Sellers”, avant de pouvoir fixer un calendrier, ajoute François Minon. Le procès, qui risque d’être retentissant, ne devrait donc pas avoir lieu avant l’an prochain…
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