Pourquoi Carrefour veut ouvrir des magasins bios
Dans la lignée du plan d’investissement annoncé en début d’année par son nouveau CEO Alexandre Bompard, le distributeur français a décidé de mettre le paquet sur le bio. Chez nous, il devrait ouvrir des magasins bios “à court ou moyen terme”, attiré par des marges alléchantes et pour éviter qu’une partie de la clientèle ne lui passe sous le nez.
C’est une tendance déjà bien ancrée dans l’Hexagone. Chez nos voisins, plusieurs grands groupes de distribution ont en effet ouvert, à côté de leurs formats traditionnels, des concepts exclusivement centrés sur l’alimentation bio. Soit en créant une chaîne en partant de rien, soit en rachetant une enseigne pré-existante. On pense notamment au rachat de Naturalia par le groupe Monoprix (Casino) en 2008. Ou encore au lancement en 2012 par Auchan de Coeur de Nature et, plus récemment, d’Auchanbio. Enfin, le géant Carrefour est en train de multiplier ses magasins Carrefour Bio.
Chez nous, seul le groupe Colruyt, avec Bio-Planet, dispose d’une enseigne dédiée à l’alimentation bio. Mais le détaillant de Hal pourrait bientôt être rejoint par Carrefour. Le distributeur français s’apprête-t-il à ouvrir des points de vente Carrefour Bio dans nos contrées ? Le secrétaire général de Carrefour Belgique, Geoffroy Gersdorff, a récemment confié au magazine spécialisé Gondola qu’il s’agissait là d’un projet ” sur le court à moyen terme “.
Quels sont les plans de Carrefour ?
Il ne s’agit pour l’instant que d’un projet, dont les détails pratiques ne sont pas encore fixés. ” Nous ne savons pas encore si nous lancerons ce projet sous nos enseignes existantes ou si nous créerons une nouvelle enseigne, affirme Baptiste van Outryve, porte-parole de Carrefour Belgique. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que notre intention est d’ouvrir à court ou moyen terme ce type de magasin. Combien ? Sous quel nom ? Avec quel assortiment ? Nous ne le savons pas. Nous nous disons simplement que dans certains quartiers, nous pourrions avoir des magasins dans lesquels la gamme de produits est centrée sur le bio et le bien-être. ”
Rien ne dit, donc, que Carrefour lancera une chaîne baptisée Carrefour Bio chez nous. Il se pourrait très bien, par exemple, que l’assortiment soit adapté dans certains Carrefour Express existants (le format de proximité du groupe). ” Nous comptons ouvrir environ 30 magasins Express et Market cette année dans des endroits où nous ne sommes pas encore présents. Cela pourrait être des magasins à l’assortiment adapté “, explique le porte-parole. Car l’idée n’est pas d’ouvrir des magasins bios à proximité de points de vente Carrefour Market ou de magasins de proximité Express. Il s’agit de conquérir de nouveaux territoires.
” Dans nos magasins existants, nous comptons élargir la gamme bio et la rendre plus accessible, assure par ailleurs le responsable. Aujourd’hui, nous disposons d’une gamme de 4.000 produits bios et bien-être, à la fois sous marque propre et marques nationales. C’est une largeur de gamme inédite en Belgique, et nous parvenons à offrir des articles Carrefour Bio moins chers que les produits de marques nationales correspondants. L’ouverture de magasins bios ne doit pas forcément nous permettre d’élargir l’offre de produits bios. Nous comptons déjà l’élargir dans nos magasins traditionnels. ”
Comment expliquer ce mouvement stratégique ?
Il y a tout d’abord le succès rencontré par des magasins spécialisés comme Färm, Bio c’ Bon, Séquoia, etc. ” En situation normale, les chaînes spécialisées sont sous pression une fois que le marché grandit, car l’offre des généralistes devient compétitive, explique Gino Van Ossel, professeur de retail marketing à la Vlerick Business School. C’est le cas des boulangeries, charcuteries, fromageries, etc., qui souffrent de la concurrence de la grande distribution. Avec le bio, la situation est plus ambiguë. Les magasins spécialisés continuent à avoir beaucoup de succès. Il est donc logique que les joueurs traditionnels souhaitent créer leur chaîne dédiée. ”
Si la grande distribution traditionnelle reste le canal de distribution principal des produits bios, son importance décline au profit des magasins spécilisés et du hard discount (voir nos graphiques). ” Le consommateur bio veut pouvoir faire ses courses dans un seul lieu, affirme Bénédicte Henrotte, chargée de mission développement de filière et réglementation bio au sein de l’association Biowallonie. Or, dans la grande distribution classique, vous ne trouvez pas tout. Vous n’avez pas beaucoup de grandes marques bios, vous n’avez pas plusieurs marques par catégorie, etc. ” La grande distribution se prive donc de toute une série de consommateurs adeptes des magasins spécialisés.
Ce mouvement de la grande distribution vers des enseignes spécialisées dans l’alimentation biologique s’explique aussi par la volonté de s’assurer des marges plus confortables. ” La marge brute est plus élevée lorsqu’on ne vend que des articles bios, confirme Gino Van Ossel. Quand un article coûte 30 % plus cher, j’ai tout simplement 30 % de marge en plus. La grande distribution devrait en profiter étant donné que la concurrence joue moins. On se rend dans un magasin spécialisé pour la qualité, pas pour les prix. ”
Pour cet expert, il ne serait d’ailleurs pas étonnant que les prix des articles vendus par les grands groupes de distribution dans leurs magasins bios soient plus élevés que les prix des mêmes produits vendus dans leurs magasins traditionnels. ” Les marques de distributeur peuvent y être plus chères, dit-il. On pourrait imaginer des prix inférieurs aux autres magasins spécialisés mais supérieurs aux Carrefour traditionnels. ” ” Notre objectif est de rendre les produits bios plus accessibles, répond Baptiste van Outryve. Nous n’allons pas augmenter les prix. ”
Quels défis pour Carrefour ?
Confronté à des difficultés au niveau de ses hypermarchés, Carrefour est visiblement en quête de nouveaux vecteurs de croissance. Mais lancer des magasins bios doit se faire de manière bien réfléchie. Le groupe français sera tout d’abord confronté au défi de la crédibilité. Ses magasins bios seront-ils crédibles face aux autres magasins spécialisés ? ” Si les magasins spécialisés rencontrent un tel succès, c’est parce qu’ils proposent une offre que l’on ne retrouve pas en grande surface, explique Gino Van Ossel. Il est clair que vendre le même assortiment que celui disponible en supermarché ne sera pas suffisant. Par ailleurs, il faudra tenir compte du fait que les clients bios sont des clients impliqués et convaincus, qui cherchent une expérience un peu spéciale. Leur démarche n’est pas du tout la même qu’en grande surface, où les consommateurs achètent parfois du bio parce qu’il n’y a pas d’alternative. ”
Pour garantir la crédibilité du concept, le choix du nom sera primordial. Si le fait d’employer l’appellation ” Carrefour Bio ” permet de faire directement référence à la marque, un autre nom pourrait aussi permettre à l’enseigne de se profiler comme un véritable spécialiste. C’est ce qu’a fait Colruyt avec Bio- Planet.
Autre défi de taille : la rentabilité. Il est vrai que ces magasins permettent de s’assurer des marges plus confortables, mais leurs coûts d’exploitation sont aussi plus importants. C’est un tout autre modèle. ” Le panier moyen est plus petit et la productivité du personnel moindre, explique notre expert. Pour compenser leurs coûts fixes, ces points de vente doivent enregistrer un chiffre d’affaires suffisamment élevé et donc, avoir un trafic important. ” Une rotation trop faible peut en effet être catastrophique dans l’ultra-frais, en engendrant pas mal de gaspillage. Gaspillage qui, d’après notre interlocuteur, peut être réduit en emballant les fruits et légumes dans du plastique pour permettre de les conserver plus longtemps. Or, le plastique n’a pas vraiment sa place dans un magasin bio…
Ouvrir une enseigne 100 % bio n’est donc pas une sinécure. L’année dernière, Colruyt avait dû injecter 30 millions d’euros dans sa filiale Bio-Planet afin d’effacer sa perte nette de 4,9 millions d’euros. Le groupe de Hal avait alors expliqué que l’ouverture de nouveaux magasins pesait sur la rentabilité. ” Pour s’assurer un trafic suffisant, la localisation est primordiale, dit Gino Van Ossel. Le bio est surtout un concept urbain. ” Ce n’est pas pour rien si Colruyt réoriente sa stratégie et décide aujourd’hui d’ouvrir des Bio-Planet en centre-ville.
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