Pourquoi bpost se livre-t-il à la nuit ?

© Belgaimage

Bpost cherche un nouveau souffle avec Night Delivery, son nouveau service dédié au monde professionnel. Avec une garantie de livraison avant 7 heures du matin, l’objectif est de séduire les entreprises techniques et s’imposer comme un partenaire logistique à part entière. Reste à convaincre des secteurs qui n’ont pas attendu bpost pour s’organiser.

L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt. Chez bpost, on a pris l’adage au pied de la lettre, ou plutôt du colis. Mi-octobre, l’entreprise postale a dévoilé son nouveau service Night Delivery, avec une promesse : distribuer ses colis dans les distributeurs bbox avant 7 heures du matin, partout en Belgique. Ce nouveau service est adressé uniquement au monde professionnel. Une première pour le premier opérateur postal du pays. “Notre stratégie évolue, décode Elie Van Looveren, responsable du projet. La stratégie de bpost pour le futur est de construire ses capacités B to B. Cela passe par ce nouveau service Night Delivery, mais c’est aussi plus large. Nous voulons devenir un vrai partenaire logistique.”

“La stratégie de bpost pour le futur est de construire ses capacités B to B. Nous voulons devenir un vrai partenaire logistique.” – Elie Van Looveren (bpost)

Pour cela, bpost s’appuie sur son expertise dans le secteur privé. “Nous utilisons les infrastructures et les transports que nous avons déjà mis en place dans le passé”, dit-il. Concrètement, les colis sont collectés chez un premier client avant 18 heures, acheminés au dépôt, triés et redistribués le lendemain, avec la garantie, dans “99,5 % des cas”, d’une livraison avant 7 heures. Une centaine de points bbox sont pour l’instant connectés au service. Deux cents supplémentaires devraient s’y greffer dans les semaines à venir.

“Pour les techniciens, cela veut dire qu’ils doivent conduire 5, 10, 15 minutes maximum, contre une ou deux heures auparavant pour aller à un dépôt centralisé”, promet Elie Van Looveren. Night Delivery permet également la livraison dans les camionnettes des techniciens, voire sur site. Tout cela sans prévoir d’embauches supplémentaires. “Chez bpost, nous travaillons presque 24h/24. D’ailleurs, à l’époque où nous nous occupions de la livraison des journaux, il fallait les distribuer avant 7h30 dans les boîtes aux lettres. Nous avons déjà une capacité à intervenir très tôt sur le terrain.”

Un client n’est pas un autre

Livrer une paire de chaussures à un particulier diffère d’une carte mère à un technicien ou un kit médical à une infirmière en soins à domicile. “Pour être pertinent dans le secteur B to B, il faut assurer une certaine qualité, reconnaît volontiers Elie Van Looveren. Les colis B to B sont priorisés. Cela veut dire qu’ils passent avant tous les autres dans le processus de distribution. Nous avons aussi mis une série de mesures en place.” Entendez prévoir des coups d’avance. “S’il y a une erreur quelque part – un locker qui ne s’ouvre pas, cela peut arriver – nous avons prévu des plans B”, assure le responsable des projets B to B.

Bpost a également testé son dispositif auprès de trois entreprises pilotes : Signpost, active dans les solutions informatiques du secteur de l’éducation ; Alertis, spécialisée dans la sécurité incendie et la protection des entreprises ; et Kone, l’expert ascensoriste européen. “Nous avons commencé avec quelques techniciens à Bruxelles, sur Anderlecht, détaille David Vander Elst, directeur régional de Kone Belgique et Luxembourg. Les retours sont positifs. Les techniciens nous disent qu’ils gagnent du temps, rien qu’au niveau du trafic routier.” Via une application dédiée, les travailleurs choisissent le point de collecte. “Ils sont livrés à côté de chez eux ou sur leur itinéraire de tournée. C’est du win-win pour les techniciens et pour Kone.” L’entreprise s’apprête déjà à étendre le système à l’ensemble de ses techniciens en Belgique.

Depuis octobre, Night Delivery est opérationnel dans tout le pays. Bpost ne se refuse aucun secteur, mais demande tout de même un certain volume de livraisons. “En réalité, notre ‘business case’ (étude d’opportunité, ndlr) montre que nous nous adressons à tous les clients qui ont une notion d’urgence : ils ont besoin de tel matériel, tel outil, très tôt le matin.”

Le marché observe

Entre l’opportunité et la signature d’un contrat, il n’y a pas toujours qu’un pas. La Centrale de services à domicile (CSD) propose une série d’interventions de santé en Belgique. Un cas typique que bpost pourrait vouloir convaincre. Laurent Wenric, directeur de la CSD Liège, refroidit les ardeurs : “Nous sommes déjà organisés pour pouvoir fonctionner sans, puisque ce service n’existait pas auparavant”.

Autrement dit, sa centrale n’y fera pas appel en l’état. “Ça ne veut pas dire qu’on ne pourra pas y recourir demain. On va voir comment le service se développe et les perspectives que cela peut amener. À l’avenir, cela pourrait nous permettre de proposer des services plus complexes ou de faire des soins qu’on ne fait pas aujourd’hui.”

Laurent Wenric le reconnaît également, lorsqu’elle est internalisée, la logistique demande des ressources. “Il y a une telle complexité d’organisation et de contraintes humaines qu’il est très compliqué d’externaliser.” S’il venait à étudier l’offre proposée par bpost un jour, le président pose une série de conditions. “Il faudra déjà s’assurer d’avoir le bon matériel, à la bonne heure et au bon endroit. On verra ensuite au cas par cas, parce que la plupart des gens commencent leur tournée à 7 heures. Il faudrait peut-être livrer un peu plus tôt, ou qu’on organise autrement.” On comprend aisément qu’il s’agit d’un secteur sensible. “Il faut s’assurer que le matériel puisse être transféré dans de bonnes conditions. Certains médicaments doivent être gardés au frigo, par exemple. On parle de produits de santé, pas de pièces mécaniques.”

Coût et organisation

Le coût aura également son importance. Les services infirmiers sont réglementés. En Belgique, l’Inami intervient pour chaque prestation. “Je ne peux pas augmenter les tarifs de 3% parce que je m’organise autrement, fait remarquer Laurent Wenric. Il ne faudrait pas que cela impacte nos marges.”

Enfin, l’organisation actuelle permet un certain contrôle des équipes, pointe-t-il. “Un passage au bureau une fois de temps en temps a du sens d’un point de vue esprit d’entreprise.”

Les infirmières ont généralement toutes un véhicule de fonction. “Elles reviennent au moins une fois par mois dans nos bureaux pour stériliser des instruments, reprendre du matériel, etc. Venir un jour toutes les deux semaines, ce n’est pas de trop pour garder un lien avec les collègues.”

Autre secteur, mêmes freins

Le secteur des soins à domicile sera plus difficile à convaincre, soit. Après tout, le responsable des projets B to B au sein de bpost, Elie Van Looveren, parie dans un premier temps sur les techniciens purs et durs. Proximus, premier opérateur de télécommunications de Belgique, est un client sérieux. Un nouvel espoir ?

La taille des bbox actuelles pourrait être un problème, mais bpost serait prête à les agrandir. © Belgaimage

Là aussi, le constat est le même que pour la CSD : “On est déjà couvert sur ce point-là”, indique logiquement Hans Schurmans, directeur logistique et responsable de la chaîne d’approvisionnement chez Proximus. Le groupe possède un centre de distribution central à Courcelles. “La marchandise part quotidiennement, soit vers un technicien, soit vers l’un de nos warehouses locaux (Proximus possède une trentaine d’entrepôts en Belgique, ndlr). On commence à livrer vers 5 heures, avant que les travailleurs ne commencent leur tournée.”

Dans la même configuration qu’une infirmière à domicile, un technicien Proximus passe le plus clair de son temps en itinérance. “On fait toujours en sorte qu’il ait suffisamment de stock pour travailler durant deux, trois jours. Mais il y a un aspect social qui n’est pas négligeable”, partage également Hans Schurmans.

Bbox trop petites

Autre point qui pourrait coincer : les fameuses bbox, qui font la force du service Night Delivery, seraient obsolètes. “Un colis représente souvent 10 décodeurs et 10 modems. C’est trop volumineux pour rentrer dans une bbox. Mais bpost nous a déjà indiqué qu’ils étaient prêts à les agrandir.”

Pour le reste, le directeur logistique n’est pas fermé à une collaboration future : “Nous travaillons déjà avec bpost pour la livraison B to C (soit la livraison chez les particuliers, ndlr). On voit bien qu’ils ont une empreinte qui fonctionne et qu’ils sont capables de livrer à des tarifs attrayants”. À l’heure actuelle, la distribution du complexe de Courcelles vers les techniciens est externalisée à l’entreprise H.Essers, pour laquelle le groupe n’a rien à redire. “On a déjà un contractant, mais si on venait à revoir ce business-là, bpost ferait partie de l’appel d’offres comme les autres.”

S’insérer dans le marché

Bpost est conscient de tous ces challenges, assure Elie Van Looveren. “Il y a évidemment une question de volumes à traiter, de revenus à dégager. Mais ici, nous sommes surtout dans un plan de durabilité.” Le service Night Delivery est un premier pas vers le secteur B to B.

“Pour essayer de compenser ce qu’ils peuvent perdre avec le courrier et les journaux, c’est malin.” – Hans Schurmans (Proximus)

“Ce n’est pas le seul dans le ‘pipeline’. On est en train d’élargir notre menu”, promet le responsable des projets B to B. Plutôt qu’une révolution logistique, bpost tente de s’insérer comme nouvel acteur. Avec les stratégies commerciales et les parts de marché à récupérer que cela implique. “Dans leur stratégie de diversification pour essayer de compenser ce qu’ils peuvent perdre avec le courrier et les journaux, c’est malin, décode Hans Schurmans, directeur logistique chez Proximus. Est-ce que cela va fonctionner ? C’est le marché qui parlera.” Les dés sont lancés.

Pol Lecointe

Suivez Trends-Tendances sur Facebook, Instagram, LinkedIn et Bluesky pour rester informé(e) des dernières tendances économiques, financières et entrepreneuriales.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire