Pourquoi Booking restructure malgré sa forte rentabilité
Booking, le champion de la réservation d’hôtels, annonce vouloir réduire ses effectifs, bien qu’il soit très rentable et batte les prévisions.
Qui ne connaît pas Booking.com ? Il s’agit du plus grand service de réservation d’hôtels en Europe, avec plus de 60% de parts de marché. Cette entreprise d’origine néerlandaise, qui fait partie du géant américain Booking Holding, a développé une plateforme qui agglomère l’offre hôtelière du Vieux Continent et au-delà. Elle facture autour de 15% du montant des réservations aux hôtels, a étendu son offre à des logements de vacances, se diversifie dans les réservations de billets d’avion, de restaurants, et ce sous diverses marques, comme Kayak, OpenTable ou Priceline, pour la vente de séjours.
On parle donc de l’une des plus grandes plateformes mondiales de réservation du marché du voyage, une OTA (Online Travel Agency) avec une rentabilité confortable : plus de 30% de marge nette sur les ventes du dernier trimestre, autour de 20% en base annuelle pour 2023, soit 4,289 milliards de dollars pour un revenu total, en forte hausse, de 21,365 milliards de dollars. En outre, Booking Holding a largement dépassé ses revenus pré-covid.
Booking est à la fois appréciée et crainte par les hôteliers, une sorte de guichet unique pour le grand public qui cherche un hébergement en voyage, n’importe où.
Améliorer “l’agilité organisationnelle”
“Nous pensons que ces efforts amélioreront l’efficacité des dépenses d’exploitation, augmenteront l’agilité organisationnelle, libéreront des ressources qui peuvent être réinvesties afin d’améliorer encore notre offre aux voyageurs et aux partenaires”, a indiqué la société mère Booking Holding. Le groupe occupe plus de 23.000 personnes, dont plus de 10.000 en Europe, notamment à Amsterdam.
Booking n’est pas confronté aux mêmes soucis que certains constructeurs automobiles en surcapacité, à l’instar du groupe Volkswagen, ou d’une chaîne de distribution comme Auchan, dont le concept d’hypermarché n’est plus gagnant, qui veulent réduire leurs effectifs et fermer des sites. Au contraire : tout va très bien pour le groupe Booking, qui espère une croissance des revenus de près des 10% pour 2024 et une progression des bénéfices, lui qui jouit d’un niveau de taxation très faible, de 12,3%, grâce à l’Innovation Box Tax néerlandaise. Celle-ci taxe à 9% les bénéfices des activités innovantes au lieu de 25,8%. La majorité des revenus du groupe Booking sont, en effet, déclarés aux Pays-Bas.
Valorisation supérieure à celle d’Airbus
Le groupe a le souci d’une entreprise à forte capitalisation, plus de 160 milliards de dollars, soit davantage qu’Airbus ou TotalEnergies, et dont l’action atteint un niveau élevé (plus de 5.000 dollars). Il entend rester attractif pour les investisseurs, faire plus avec moins, grâce, notamment, à l’intelligence artificielle, et en espérant l’utiliser pour mieux vendre plusieurs services au même client (voyages et hôtels, par exemple).
Le service Booking a été fondé à Amsterdam en 2000. Il a ensuite été racheté par une entreprise américaine, Priceline, une agence de voyage discount en ligne, en 2005. Le business de Booking, la réservation d’hôtels, a par la suite pris pris tant d’ampleur qu’il est devenu la première activité de Priceline, qui a pris le nom de Booking Holding.
Booking, intégrée dans un groupe américain, a très vite intéressé les hôteliers de tous formats, grandes chaînes comme petits établissements familiaux. Elle remplit les chambres en attirant des clients du monde entier, moyennant une commission d’environ 15%. Le succès a été assuré par une plateforme en ligne sophistiquée, très populaire, et par le fait que les établissements ne payent aucun abonnement, juste des commissions. Booking avance les frais de publicité, beaucoup sur Google, et n’est payée que si les chambres sont louées. Moyennant des conditions draconiennes, comme celle de la parité des tarifs, qui interdisait de proposer un tarif moins cher en direct aux clients (sur place ou sur le site de l’hôtel). Face à l’explosion d’Airbnb, l’offre de Booking s’est étendue à toutes sortes d’hébergements : gîtes, villas, chambre chez l’habitant, bed & breakfast, logement singulier (tente, bateau, etc.).
La rude travail de la vente directe
La plateforme néerlandaise a pris un tel poids qu’elle a attiré des revendications d’hôteliers sur les commissions et les conditions, et l’attention de la Commission européenne. Laquelle a interdit la parité des tarifs depuis juillet dernier dans l’UE. Certains pays l’avait déjà prohibée, comme la France ou la Belgique, depuis au moins trois ans. “La Belgique a été l’un des premiers pays à prendre cette décision”, relève Rodolphe Van Weyenbergh, secrétaire général de la Brussels Hotel Association.
“Beaucoup d’hôtels vendent 75% de leurs chambres via des plateformes, principalement Booking, et le reste en direct. Je fais l’inverse”, explique l’entrepreneur hôtelier Martin Duchateau, qui dirige deux “boutique” hôtels à l’ambiance chaleureuse : Made in Louise, à Bruxelles, près de la place du Châtelain, un hôtel de 48 chambres et Made in Catherine, ouvert il y a peu, un hôtel de 19 chambres, place Sainte-Catherine.
Martin Duchateau ne voit nullement Booking d’un mauvais oeil, au contraire. “J’ai de bonnes relations avec ce service”, dit-il, lui qui en apprécie l’efficacité. Mais il a aussi envie de vendre en direct, fort d’une expérience passée dans de grands groupes hôteliers. “Il faut un bon site, un bon moteur de réservation, cela peut être complexe.” Beaucoup de petits hôteliers préfèrent donc passer par Booking pour la majeure partie des réservations.
La pression des autorités de la concurrence
La position forte de Booking a inquiété la Commission européenne, au point qu’elle a refusé, en septembre 2023, l’acquisition du suédois eTraveli, qui vend des tickets d’avion en ligne. Didier Reynders, alors commissaire en charge de la Concurrence, expliquait : “Dans notre décision, nous avons conclu que Booking était déjà dominant dans l’Espace économique européen, avec une part de marché proche des 70%, en constante croissance depuis 10 ans, et que cette fusion aurait renforcé cette position dominante.” L’été dernier, l’autorité de la concurrence espagnole a annoncé une amende de plus de 400 millions d’euros pour sanctionner un abus de position dominante, contesté par Booking.
En définitive, Booking est à la fois appréciée et crainte par les hôteliers. La plateforme, accessible dans 43 langues, est devenue un canal habituel imbattable. Une sorte de guichet unique pour le grand public qui cherche un hébergement en voyage, n’importe où. Elle est de plus en plus sophistiquée et cherche à se rendre de plus en plus indispensable. Sa position demeure considérable, et la fin de la parité des tarifs n’y a rien changé.
Une machine à bénéfices
Les chiffres du dernier trimestre, le meilleur, sont flatteurs pour Booking Holding : plus de 30% de marge nette pour la saison estivale (20% sur l’année 2023, toutes saisons confondues). Ses principaux concurrents sont Expedia et Airbnb, qui est surtout actif dans le marché du logement chez l’habitant, mais s’intéresse aussi au marché hôtelier. Booking.com fait le chemin inverse.
Trimestre clôturé le 30 septembre 2024, en millions de dollars
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici