Pour BeBlue Cryotech, la cryogénie est un marché très chaud

BeBlue se développe rapidement, et se sent déjà à l’étroit dans sur son site historique. © PG
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

En trois ans seulement, l’expertise de BeBlue, une PME liégeoise fondée à partir du laboratoire d’essais cryogéniques de l’Université de Liège a déjà séduit de grands noms de l’industrie : Avio, Safran, ArianeGroup…

L’histoire de BeBlue Cryotech débute en février 2022, lorsque trois acteurs – Jérôme d’Agruma, Daniel Simon et l’Université de Liège – décident de transformer un centre de recherche universitaire en une entreprise innovante. En trois ans seulement, la société est passée de 3 à 16 collaborateurs, affiche un chiffre d’affaires de plus de 3 millions d’euros, un compte de résultat dans le vert depuis ses débuts, et elle cherche encore à s’agrandir. Un départ très chaud, donc, dans un domaine d’activité glacial.

L’histoire de BeBlue prend sa source dans le centre de recherche cryotechnique de l’ULiège, créé voici une quarantaine d’années par le professeur Albert Germain. Dirigé depuis la fin des années 1990 par le professeur Jean-Luc Bozet, il avait acquis une solide réputation auprès de l’industrie spatiale grâce à ses travaux sur les tests cryogéniques.

De l’université à l’industrie

“Jean-Luc Bozet a apporté énormément. Il a mis beaucoup d’énergie à développer le site. Il a réussi à faire de son département presqu’un acteur industriel, dans la réalisation d’essais avec ArianeGroup notamment, rappelle Jérôme d’Agruma, cofondateur et CEO de BeBlue. Il s’est battu pour avoir des financements et maintenir à flot le centre toutes ces années. Mais après le covid et le départ à la retraite du professeur Bozet, l’Université peinait à donner un second souffle au centre. Nous nous sommes alors dit que c’était peut-être le moment d’en faire quelque chose de plus large.”

Jérôme d’Agruma, fort de son expérience de 17 ans chez Safran, et Daniel Simon, fondateur de V2i, société spécialisée dans l’expertise vibratoire, décident de relever le défi. BeBlue voit donc le jour au début de l’année 2022. Une naissance avec la bénédiction de l’Université de Liège qui signe avec la start-up un bail emphytéotique pour exploiter le site du Sart Tilman. L’université entre aussi au capital de BeBlue, en apportant l’infrastructure du site.

La PME liégeoise se spécialise donc dans les essais cryogéniques, un domaine technique impliquant des tests souvent réalisés avec des fluides comme l’hydrogène ou l’azote liquide. Ces tests servent à comprendre comment les matériaux résistent à la friction, aux chocs, à la chaleur, à la pression et à l’étirement dans des conditions variées et parfois extrêmes.

“Nous sommes également renommés pour notre expertise dans la conception, la construction et l’exploitation de bancs d’essai complexes cryogéniques sur mesure”, ajoute Jérôme d’Agruma. “Aujourd’hui, nous sommes sur un terrain de 5.500 m² situé à proximité de l’Université de Liège, au Sart Tilman, poursuit le patron de BeBlue. Nous avons obtenu les permis d’environnement spécifiques afin de pouvoir réaliser des essais toujours plus polyvalents. Ce qui n’était pas simple : l’université effectuait des essais une ou deux fois par an. Nous, notre objectif est d’en faire plus de 200, 140 jours par an.”

Des défis techniques et humains

Initialement axée sur le spatial, BeBlue a trouvé sa place aux côtés des deux grands centres d’essais qui existent en Europe. “ArianeGroup possède un centre d’essais pour les grosses propulsions à Vernon, en Normandie. Il en existe un autre, à peu près équivalent, en Allemagne au DLR, près de Stuttgart, à Lampoldshausen. Mais ce sont des centres taillés pour réaliser des essais de grande ampleur. Nous avons de plus petites capacités, mais qui sont davantage adaptées à certains types d’essais.”

BeBlue s’est donc dès le départ tournée vers le secteur aéronautique et spatial, avec des clients – Safran, Avio, ArianeGroup… – dont les exigences sont très élevées. “Avec Safran, nous réalisons plusieurs types de tests, notamment sur les vannes spatiales, que ce soient les vannes actuelles ou les futures, poursuit le CEO de BeBlue. Safran a une belle croissance dans ce secteur. Et cela nous permet, tout en aidant Safran, de nous améliorer. Nous sommes en cours de qualification ISO 9001. C’est un gros défi. Mais Safran joue le jeu parce que le groupe savait que si nous obtenions ces qualifications, nous serions encore plus à même de répondre à ses besoins.”

“Mais le principal défi auquel nous sommes confrontés est celui de la gestion des compétences dans un domaine aussi pointu, qui ne s’apprend pas à l’école, ajoute Jérôme d’Agruma. Former des ingénieurs, qu’ils soient jeunes ou expérimentés, demande énormément de temps.”

“Notre principal défi est la gestion des compétences dans un domaine aussi pointu, qui ne s’apprend pas à l’école.” – Jérôme d’Agruma

Ce n’est pas facile, en effet, d’aligner le volume d’affaires avec les compétences disponibles, dans un secteur où la visibilité dépasse rarement un an. “Pour y répondre, l’équipe est polyvalente, avec une vision globale de l’entreprise, de la conception à la relation client, explique Jérôme d’Agruma. Cette approche favorise la responsabilisation et la confiance, et nous évitons autant que faire se peut les réunions inutiles. Nous avons un modèle typique de start-up.”

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Un appel d’air dans l’hydrogène

L’aéronautique et le spatial sont cependant des activités très cycliques. “Dans l’aéronautique, il y a de nouveaux développements, de nouveaux moteurs, mais une fois qu’ils sont développés, les bancs d’essais fonctionnent moins. Dès le départ, ma grande préoccupation a été de veiller à ’charger’ les bancs d’essais, de développer de nouveaux bancs et de nouvelles capacités”, explique Jérôme d’Agruma.
BeBlue explore donc d’autres champs d’activité. Dans le domaine maritime, par exemple, où la PME peut apporter son expertise dans la fabrication de méthaniers, ou dans les applications pour les réservoirs d’hydrogène liquide utilisés dans les camions ou les navires.

L’un des projets les plus ambitieux de l’entreprise liégeoise dans la transition énergétique concerne le développement de piles à combustible. L’entreprise participe, en effet, à un projet du centre spatial guyanais, qui vise à produire de l’hydrogène vert pour alimenter non seulement les lanceurs spatiaux, mais aussi des camions, bus et pipelines locaux.

Ce projet de pile à combustible, mené par le Centre Spatial Guyanais, vise à décarboner les activités du centre en utilisant, comme c’est le cas aujourd’hui, de l’hydrogène vert produit localement, plutôt que de l’hydrogène gris produit à partir de gaz fossile importé de Trinidad et Tobago.

L’idée est de remplacer les 7.000 batteries du site et les groupes électrogènes utilisés lors des tirs de fusée par des piles à combustible. Le projet est porté par un consortium composé de deux agences spatiales (ESA et CNES), quatre entreprises (ALSG, SARA, MT-Aerospace et BeBlue) et trois universités (Université de Guyane, Université de Liège, Université Libre de Bruxelles).

BeBlue se développe donc, et se sent déjà à l’étroit dans sur son site historique. “Nous regardons d’autres terrains pour nous étendre, conclut Jérôme d’Agruma. Nous sommes en discussion avec la Ville de Liège et le GRE-Liège (Groupement de Redéploiement Économique de la Province de Liège, ndlr)”.

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