PME et grandes entreprises: ce n’est pas David contre Goliath
Il y a parfois de l’incompréhension entre petites et grandes entreprises. Mais quand elles collaborent, elles se renforcent mutuellement et dégagent une valeur supérieure, pointe une étude de la FEB.
C’est parti d’une “frustration”. D’une irritation face à ces clichés récurrents de la gentille PME proche de ses clients confrontée à la “dangereuse grande entreprise” qui ne penserait qu’à ses propres intérêts. “Cela s’est accentué ces dernières années, peut-être avec toutes les discussions autour des Gafa, pointe Edward Roosens, chief economist à la Fédération des entreprises de Belgique (FEB). Nous avons voulu explorer les relations entre les entreprises de différentes tailles, car nous sommes convaincus qu’en réalité, elles agissent dans une symbiose importante et même très fructueuse pour notre économie.”
La PME n’est pas un acteur parmi d’autres mais un vrai partenaire de la grande entreprise.”
Amélie Wuillaume, conseillère adjointe à la FEB et auteure de l’étude
La FEB a donc lancé une enquête en ligne auprès de chefs d’entreprise et les résultats ont été interprétés avec une dizaine d’interviews. Premier constat: cette symbiose entre petites et grandes entreprises existe bel et bien. On peut même la chiffrer à… 110 milliards d’euros, soit 40% des ventes et achats intermédiaires réalisés par les entreprises belges, selon une étude du Bureau du Plan, citée par la FEB. Les entreprises sont conscientes de cette importance puisque 93% d’entre elles estiment “nécessaire” de travailler avec des acteurs de tailles différentes. C’est même vital pour 6% des répondants. “Environ 75% des entreprises se considèrent comme assez dépendantes de ces relations, précise Amélie Wuillaume, conseillère adjointe à la FEB et auteure de l’étude. Mais c’est à prendre dans le sens positif du terme: 68% estiment que ces relations avec des entreprises plus grandes ou plus petites les rendent plus fortes.”
Le triple dividende d’une bonne collaboration
En bonne logique, la première motivation de ces relations commerciales est le besoin d’un produit ou service fourni par l’autre (80%). Mais viennent ensuite une série d’éléments plus diffus comme l’accès à des compétences spécifiques (62%), la facilité de développement (40%), l’effet de levier pour l’innovation (38%), des gains de productivité (31%), l’accès à des canaux de distribution (30%), etc. Le maître-mot est ici la complémentarité entre les atouts des uns et des autres, afin de générer de la valeur ajoutée. “On utilise souvent l’image de David contre Goliath. A tort à mon avis car il n’est pas question ici d’un combat mais d’une collaboration, poursuit Amélie Wuillaume. Cette collaboration va permettre de dégager plus de valeur que la somme de ce que chaque entreprise pourrait faire individuellement. Et cette valeur n’est pas seulement économique au sens strict.”
110 milliards
En euros, la somme des achats et ventes effectués entre PME et grandes entreprises belges. Un montant réparti de manière globalement équilibrée entre les deux types de société.
L’auteure de l’étude pointe le triple dividende d’une bonne collaboration entre petites et grandes entreprises. D’abord la collaboration booste l’innovation. Les PME apportent l’agilité, l’audace ou la réactivité qui manquent parfois aux grands groupes, lesquels ont en revanche la capacité de dégager plus de moyens pour la R&D ou de profiter d’économies d’échelle. C’est d’ailleurs bien dans cette perspective que les pôles de compétitivité wallons, dédiés à l’innovation, avaient imposé la participation d’au moins une PME dans les projets de recherche subsidiés. Ensuite, la collaboration améliorera l’image de marque de deux bords: une partie de la légitimité et de la visibilité de la grande entreprise rejaillira sur la PME (de quoi, peut-être, susciter l’intérêt d’un partenaire bancaire ou des articles de presse) tandis qu’à l’inverse, le label “innovant” de la PME pourra aussi profiter à la grande entreprise. “Ce n’est pas un hasard si les grandes entreprises s’intéressent beaucoup aux start-up”, abonde Edward Roosens. Enfin, une bonne collaboration est aussi un gage d’amélioration continue. Les entreprises doivent en effet souvent adapter leurs habitudes pour collaborer avec une société beaucoup plus grande ou beaucoup plus petite. “Quand elles le font, c’est bénéfique pour toutes leurs relations, dit Amélie Wuillaume. Leurs autres clients et partenaires économiques en bénéficient aussi, c’est un cercle vertueux.”
Un message pour le plan de relance
A la FEB, on est manifestement convaincu qu’une collaboration entre les entreprises de différentes tailles contribuerait à dynamiser utilement l’économie belge. Et c’est particulièrement vrai à l’heure de ces plans de relance qui insistent sur l’importance des filières, des écosystèmes ou des chaînes de valeurs. “Nous allons avoir 5,9 milliards d’euros de fonds européens pour financer des investissements, reprend Edward mise en place de consortiums, la réunion d’acteurs, pour faire des offres innovantes et efficaces.”
Le chief economist songe en particulier aux domaines de la mobilité intelligente ou de la formation, où la combinaison entre les apports des grandes et des petites entreprises pourrait s’avérer particulièrement fructueuse. “Dans ces matières, il faut vraiment penser en termes d’écosystème, assure-t-il. L’innovation dans la mobilité exige beaucoup de données, beaucoup de technologies mais aussi beaucoup d’acteurs différents. Il me semble donc utile de miser au maximum sur la collaboration entre les entreprises, petites et grandes, dans de tels projets d’investissement.” En revanche, la filière hydrogène, dont on parle très souvent, lui paraît moins propice à de telles solutions, vu l’ampleur des investissements nécessaires et la spécificité des technologies. A priori, on est sans doute là dans des secteurs plus propices aux très grosses entreprises.
La peur du vol de savoir-faire
Pour intensifier les collaborations entre entreprises, il est évidemment également utile d’en détecter les freins et de chercher comment les desserrer. D’après les résultats de l’étude, la principale entrave aux relations entre une PME et une grande entreprise est la crainte de cette dernière de devenir trop dépendante de son partenaire, en subissant un pouvoir de négociation déséquilibré. Elle redoute également une forme de “vol” de son savoir-faire, obligée qu’elle est de dévoiler une série d’informations à son puissant partenaire. Le troisième frein, c’est la peur des conflits liés aux différences de fonctionnement et de prise de décision entre une PME, où le patron décide souvent tout seul, et une grande entreprise corsetée dans des procédures et des rigidités hiérarchiques.
Amélie Wuillaume avance une série de pistes pour dépasser ces écueils et intensifier les relations efficaces. Il est ainsi précieux qu’au-delà de la discussion économie ou commerciale, les entreprises s’entendent d’emblée sur un système de valeurs, sur les objectifs respectifs et qu’elles fassent preuve de respect. “La PME n’est pas un acteur parmi d’autres mais un vrai partenaire de la grande entreprise”, dit l’auteure de l’étude, qui insiste également sur la nécessité d’entretenir une communication régulière, d’accompagner la relation pour anticiper les problèmes. “Et si cela se complique, il existe des mécanismes de médiation, comme le Cepani ou Belmed, pour résoudre les conflits sans entrer dans une procédure judiciaire, conclut Amélie Wuillaume. Toutes les disputes ne doivent pas mener au divorce.”
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