Plus de 1.200 médicaments en pénurie en Belgique
Le principal grossiste pharmaceutique belge, Febelco, s’inquiète de l’augmentation du nombre de médicaments indisponibles en Belgique. Il dépose un plan en huit axes pour y répondre.
Il exerce le métier méconnu de grossiste-répartiteur. Cela consiste d’une part à stocker les produits pharmaceutiques provenant des différentes firmes et, d’autre part, à les expédier vers les officines indépendantes du pays, afin qu’elles soient toujours bien achalandées. « C’est un maillon crucial du trajet du médicament entre le fabricant et le patient », résume Olivier Delaere, CEO de Febelco, le principal grossiste-répartiteur du pays. Cette entreprise dispose de plus de 40.000 références dans ses stocks, répartis dans huit dépôts et qui alimentent quelque 3.300 pharmacies à travers le pays.
Ce « maillon crucial » se sent aujourd’hui dans le viseur du ministre de la Santé Frank Vandenbroucke (Vooruit), qui doit réagir face à la pénurie de médicaments. Elle concerne, selon le site officiel pharmastatut, 387 produits (au 15 février). Un chiffre largement sous-estimé, selon les grossistes-répartiteurs, qui avancent, eux, le chiffre impressionnant de 1.239 médicaments en pénurie sur le marché belge. Face à cette situation, le ministre Vandenbroucke a publié en janvier dernier un arrêté-royal qui réglemente l’importation et l’exportation de médicaments, et peut aller jusqu’à les interdire en cas de pénurie. Sous-entendu : les grossistes créent eux-mêmes la pénurie en exportant certains médicaments vers les pays où ils se vendent plus cher.
Olivier Delaere rejette catégoriquement l’accusation. « Ce serait se couper un bras, explique-t-il. Febelco est une coopérative qui réunit 2000 pharmaciens indépendants, notre priorité est évidemment de les approvisionner eux et tout le marché belge. La disponibilité des produits et leur livraison rapide constituent notre principal argument commercial. Chaque jour, nous recevons jusqu’à 10.000 appels de pharmaciens en détresse, qui affrontent parfois l’agressivité de patients qui ont besoin de leurs médicaments. Nous n’allons quand même pas créer volontairement les pénuries qui les mettent dans de telles situations. »
Pour lui, il faudrait plutôt regarder un échelon plus haut, du côté d’une industrie pharmaceutique qui « essaie de cadenasser le marché tant à l’importation qu’à l’exportation ». Il ne nie pas le fait que les grossistes exportent certains produits –« sans cela, nous ne pourrions pas vivre »- mais il assure que cela ne se pratique qu’après avoir approvisionné les pharmacies belges. « L’inverse n’aurait commercialement aucun sens pour nous », dit-il.
Une solution en huit volets
Le patron de Febelco ne se contente heureusement pas de rejeter la responsabilité des pénuries sur d’autres, il formule aussi des solutions pour éviter ou, à tout le moins, limiter ces pénuries :
1. Obligation de transparence. Les grossistes-répartiteurs transmettent chaque mois leurs ventes et leurs stocks à l’agence du médicament. Olivier Delaere aimerait que l’industrie fasse de même, afin de pouvoir prévenir les pénuries. Mais évidemment cela revient à fournir des infos aux concurrents, lesquels peuvent alors réagir et tenter de gagner des parts de marché quand une rupture de stock menace chez un autre fabricant. Officiellement, ces informations sont déjà transmises aux autorités Mais de manière parcellaire ou incorrecte, ce qui explique l’énorme écart entre les estimations du nombre de produits en pénurie. « Les pharmaciens ont déposé 400 plaintes l’an dernier pour des produits indisponibles mais qui n’étaient pas recensés comme tels, poursuit Olivier Delaere. Cela n’a suscité aucune réaction des autorités. »
2. Obligation de stocks. Les grossistes-répartiteurs sont légalement obligés de constituer des stocks de médicaments. Febelco affiche ainsi 40.000 références en stock, pour une valeur totale de 120 millions d’euros. L’ensemble du secteur gère un stock de 250 millions d’euros, stock qui a d’ailleurs été revu à la hausse récemment pour anticiper d’éventuelles pénuries. « C’est très bien mais si, en amont, il n’y a pas de stock chez le fabricant belge », dit Olivier Delaere
3. La défense du métier de grossiste-répartiteur. En dix ans, le secteur des grossistes-répartiteurs est passé de 20 à… 3 entreprises. « Nous sommes à la fin de ce qui est possible en terme de rationalisation et d’économies d’échelle, assure le patron du plus gros des trois survivants. Et nous devons supporter la hausse des prix énergétiques. Si ce maillon tombe, ce sera une catastrophe pour l’approvisionnement des pharmacies en Belgique. »
Olivier Delaere réclame une indexation des marges des grossistes-répartiteurs (elles n’ont plus été indexées depuis vingt ans) afin de pouvoir assumer à la fois l’augmentation des coûts et l’élargissement des stocks, destiné justement à prévenir les pénuries. « En nous ne donnant plus suffisamment les moyens de faire notre travail, les autorités organisent elles-mêmes les conditions d’une pénurie », assène-t-il.
4. Le rôle du pharmacien. Quand un médicament manque, le pharmacien peu le substituer par des équivalents dans la même classe thérapeutique. Cette possibilité est toutefois limitée par une série de modalités pratiques. Certaines de ces limitations pourraient être adaptées, voire supprimées, pour éviter les pénuries, estime le patron de Febelco qui souligne par ailleurs « la formidable solidarité des pharmaciens » qui s’entraident pour limiter l’impact des pénuries de médicaments sur leurs patients.
5. Revoir le contingentement. C’est peut-être l’élément central dans l’argumentaire de Febelco qui affirme que certaines pénuries sont « créées artificiellement par l’industrie pour des raisons commerciales ». Quand elles ont produit leurs lots, les firmes pharmaceutiques doivent les acheminer dans les différents pays. La priorité est alors souvent accordée aux grands pays (qui commandent de plus grandes quantités) et à ceux qui pratiquent les tarifs les plus élevés. Les grossistes-répartiteurs tentent alors des importations parallèles (faire venir en Belgique le médicament livré en Allemagne ou en France) pour éviter la pénurie. « En Europe, il faut en moyenne un à deux mois pour avoir l’autorisation de faire ces importations parallèles, dit notre interlocuteur. En Belgique, il faut attendre jusqu’à neuf mois. »
6. Arrêter les contrats secrets. Pour des raisons de concurrence, les conditions précises des accords passés entre l’INAMI et les firmes pharmaceutiques restent souvent secrètes. « Cela a explosé ces dernières années, dénonce Olivier Delaere. Aujourd’hui, 35% du budget « remboursement » de l’Inami concerne des contrats secrets. C’est la voie royale pour permettre à l’industrie de protéger son marché. Dans ces 35%, aucune importation parallèle n’est permise. »
7. Relocaliser les chaînes de fabrication. C’est une solution plus de long terme. La Belgique jouit d’un know-how indéniable tant dans la production de médicaments que dans la logistique spécifique pour les produits de santé. « Nous pouvons être le pivot européen du secteur, estime Olivier Delaere. La production a été largement délocalisée vers des pays où la main d’œuvre coûte moins cher. Mais aujourd’hui, l’automatisation des processus a considérablement réduit la part des salaires dans les coûts de production, alors que les coûts logistiques ont explosé. Le contexte est donc favorable à la relocalisation de la production. »
8. L’obligation de livraison. Elle existe dans les textes mais, affirme Olivier Delaere, elle est loin d’être toujours respectée.
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