Paul Tulkens (professeur à l’UCLouvain): “Pas certain que Medi-Market puisse maintenir ses prix bas”
Alors que l’Ordre des pharmaciens vient d’être condamné par l’Autorité de la concurrence pour avoir tenté d’entraver le développement de la chaîne de (para)pharmacie, Paul Tulkens, professeur émérite de pharmaco-économie à l’UCLouvain, met en garde contre la politique des prix bas.
Le secteur des pharmacies est-il, comme l’affirme Medi-Market, le “cartel sur les prix le mieux organisé” ? Tous les pharmaciens s’entendraient pour s’aligner sur le prix maximum autorisé…
Le prix des médicaments en vente libre et sous prescription est en principe fixe.
Il est décidé par le ministère des Affaires économiques et les pharmaciens ne peuvent afficher un prix supérieur. Par ce système, on veut éviter que ne se mettent en place des concurrences sauvages entre pharmaciens. Ce que les pharmaciens peuvent en revanche accorder, ce sont certaines ristournes. Dans les faits cependant, peu de pharmaciens le font, pour éviter les pertes économiques. Car la question est de savoir si les pharmaciens parviennent à gagner leur vie uniquement avec les médicaments sous prescription ou en vente libre. La plupart disent que non. Ils doivent aussi vendre d’autres articles de parapharmacie. Et en la matière, les prix ne sont pas fixés. Il y a du coup des pressions très importantes venant de la concurrence.
Pour les patients, c’est une bonne chose si la concurrence s’ouvre…
Bien sûr ! Maintenant, le fait de casser les prix pourrait aussi avoir pour conséquence un risque non négligeable de voir diminuer la qualité des soins apportés aux patients pour les médicaments sous prescription parce que vous réduisez l’apport économique global de la pharmacie. Il faut éviter que la multiplication des Medi-Market n’assèche un système qui fonctionne et que, pour finir, les officines elles-mêmes ne tiennent plus le coup. Par ailleurs, si Medi-Market devait arriver à une situation de monopole et faire disparaître les pharmacies indépendantes, il n’est pas certain que le groupe puisse maintenir ses prix bas. Les firmes pharmaceutiques pourraient cesser de produire certains médicaments car cela ne rapporterait plus assez. Le seul produit qui resterait sur le marché augmenterait alors considérablement de prix.
L’Ordre des pharmaciens a-t-il parfois tendance à défendre le bien-être économique de la profession au détriment de l’intérêt des patients ?
Publiquement, l’Ordre défend l’éthique, la règle, la déontologie, etc. Ceci étant dit, il est vrai que les pharmaciens ont toujours été caractérisés par un certain sens corporatiste. Dans le cas présent, je pense que l’Ordre a peut-être pris parti pour les pharmaciens contre Medi- Market de manière un peu exagérée. Les pharmaciens soutiennent que s’ils perdent la parapharmacie, cela va appauvrir la profession. Ils ne seront plus capables, disent-ils, de continuer à délivrer les médicaments de façon éthique et en suivant les règles déontologiques. Est-ce vrai ou pas ? On peut considérer que, peut-être, la pharmacie en Belgique devrait se moderniser et que la défense corporatiste du secteur à des tarifs un petit peu élevés ne se justifie pas.
Dès sa création en 2014, le groupe belge Medicare Market s’attire les foudres des pharmaciens en raison d’un business model innovant en Belgique mais déjà largement développé à l’étranger : une vaste parapharmacie adossée à une pharmacie, deux entrées distinctes, une paroi vitrée en guise de séparation et la possibilité de passer de l’une à l’autre par l’intérieur. Pour l’entreprise, cette disposition revêt un double intérêt : la partie “parapharmacie” ne doit pas être sous la responsabilité d’un pharmacien (ce qui est le cas dans les pharmacies traditionnelles) et la publicité y est autorisée.
Le groupe peut ainsi multiplier les références, jouer sur les volumes et casser les prix… y compris dans sa pharmacie, où il se targue de ne pas appliquer le prix maximum légal autorisé sur les médicaments non remboursés. Dans ses pharmacies, Medi Market adopte en effet les codes du discount. Des étagères entières de Dafalgan, Rinospray ou encore Nurofen arborent l’indication du prix maximal légalement autorisé suivie du prix pratiqué par le groupe. L’Ordre des pharmaciens et l’Association pharmaceutique belge – “un des cartels les mieux organisés de Belgique”, précise Yvan Verougstraete, CEO de Medi-Market – attaqueront la chaîne en justice à plusieurs reprises, l’accusant tantôt de créer la confusion entre les deux zones, tantôt de ne pas fournir le même niveau de conseil. Ils seront à chaque fois déboutés.
Début juin, le Collège de la concurrence de l’Autorité belge de la concurrence a même infligé à l’Ordre des pharmaciens une amende de 1 million d’euros pour avoir “tenté d’entraver le développement du groupe MediCare-Market”. Il estime que les décisions du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens de saisir, en octobre 2015, tous les conseils disciplinaires alors concernés par l’ouverture d’une enseigne MediCare-Market et d’intenter, parallèlement, une action judiciaire en cessation en invoquant pour l’essentiel l’existence d’une confusion entre les pharmacies et les parapharmacies du groupe, en particulier lorsqu’elles sont contiguës, que ces décisions sont “à ce point nocives au bien-être du consommateur, et notamment à la concurrence tarifaire et non tarifaire, qu’elles constituent des infractions graves au droit de la concurrence.”
De son côté, l’ordre des pharmaciens conteste le reproche qui lui est fait d’avoir excédé le cadre de sa mission. “L’Ordre a été créé à l’initiative des autorités, qui lui ont assigné l’objectif de s’occuper de l’intérêt public dans le domaine de la santé, peut-on lire sur son site. Il continue à accomplir cette tâche, toujours nécessaire aujourd’hui, pour garantir la qualité des soins pharmaceutiques dans l’intérêt du patient. Ce faisant, il ne remet pas en cause la libre concurrence et la libre circulation des services, mais offre aux citoyens la protection nécessaire en préservant la sécurité et la qualité des soins dans lesquels le rôle du pharmacien prévaut.”L’organe précise en outre que la décision de l’Autorité de la concurrence “intervient dans le cadre d’une procédure pour violation alléguée du droit de la concurrence à l’égard du groupe MediCare-Market qui a été ouverte à l’encontre de l’Ordre des pharmaciens début 2016. Il lui était reproché de s’être adonné à des pratiques visant à évincer du marché des services délivrés par les pharmaciens ou à empêcher le développement du modèle MediCare-Market et à imposer indirectement à MediCare-Market un prix minimum de vente des médicaments.”
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