Parkings solaires: le coup d’accélérateur?
Deux entreprises wallonnes s’allient pour proposer à la grande distribution des ombrières de parking surmontées de panneaux photovoltaïques. Champions de l’autoconsommation, nos supermarchés sont des clients idéaux. Ils pourraient même devenir de véritables producteurs et vendeurs d’électricité verte. A condition de lever certains freins.
Louis-Philippe Crahay ne peut s’en empêcher. Dès qu’il circule en France, le patron de l’entreprise wallonne Danatel Sport fait quelques détours par les parkings des grandes surfaces. Son objectif? Aller observer les ombrières solaires qui y pullulent depuis quelques années maintenant. “Ce sont des milliers de mètres carrés de panneaux, dit-il. Des installations tout à fait récentes qui poussent comme des champignons. Neuf fois sur dix, ces grands hypermarchés ont déjà placé des panneaux solaires sur leur toit, mais vu la consommation électrique de leurs frigos, il n’y en a pas assez.”
Chez nous, les grandes surfaces sont encore très peu nombreuses à avoir installé des panneaux photovoltaïques sur leur toit. Et ne parlons même pas de leur parking. Le potentiel, pourtant, est énorme. “Les supermarchés disposent de surfaces considérables, insiste Dominique Michel, CEO de Comeos, la fédération du commerce et des services. Mais il y a en Belgique une sous-utilisation absolument aberrante de nos infrastructures en matière solaire.”
Convaincu que ce marché va exploser dans les années à venir, le responsable de Danatel Sport s’est récemment allié avec une autre société wallonne, Reno- Solutions, afin de proposer aux entreprises et à la grande distribution d’installer des carports solaires sur leur parking. Spécialisée dans l’aménagement d’espaces ludiques ou sportifs, de préaux et de couvertures métallo-textiles, Danatel Sport, s’occupe de la structure métallique alors que Reno-Solution prend en charge la partie électrique, soit les études énergétiques, la pose des panneaux et les raccordements.
Pour le patron de cette deuxième société, la grande distribution est en quelque sorte le client rêvé pour ce type de produit. “L’autoconsommation y est toujours présente, souligne Clément Hannequart, CEO de Reno- Solution. Les supermarchés ont peu de fenêtres, donc beaucoup de luminaires, beaucoup de frigos aussi. Ce sont de gros consommateurs d’énergie, mais pas suffisamment pour pouvoir obtenir des prix cassés à l’achat. Bien souvent, lorsqu’une grande surface couvre l’entièreté de sa toiture de panneaux, elle atteint des taux d’autoconsommation de 95%, voire de 100%. Cela veut dire qu’il y a clairement une rentabilité.”
Complémentaire au toit
L’installation d’une ombrière solaire peut constituer une alternative aux panneaux sur le toit lorsque celui-ci se révèle insuffisamment résistant. Mais la plupart du temps, les deux vont de pair. “Quand on a déjà couvert tout son toit et que l’on a encore besoin de placer des panneaux, les carports deviennent intéressants, assure le CEO de Reno-Solutions. Qui relève plusieurs avantages à ce type d’installation. “Bien souvent, on utilise du bifacial, soit des panneaux qui disposent de cellules sur leur surfaces supérieures mais aussi inférieures, explique Clément Hannequart. On peut donc récupérer également la luminosité par le dessous du carport, améliorant le rendement des panneaux uniquement posés sur la toiture.”
Les supermarchés pourraient devenir de véritables plaques tournantes, très efficaces, de la distribution d’énergie.
Dominique Michel (Comeos)
Un carport est par ailleurs beaucoup plus visible par le client. Ce qui n’est pas négligeable en matière d’image. “Le seul désagrément, c’est la nécessité d’un permis, contrairement à une installation sur le toit”, explique notre interlocuteur. Certes, le coût de la structure, des fondations et du génie civil est aussi généralement bien supérieur à celui d’une installation en toiture. “Mais produire sa propre énergie quand on l’autoconsomme, c’est du pain bénit, peu importe le secteur.”
Propriétaire du Carrefour Market d’Oreye, en province de Liège, Alain Cloesen s’est récemment laissé séduire par un carport solaire. Après avoir placé 1.600 m2 de panneaux sur le toit de son magasin en 2017, le franchisé a décidé de couvrir un tiers de son parking à l’aide de la fameuse ombrière commercialisée par Danatel Sport et Reno-Solutions. Au total, il a ainsi pu réduire sa facture d’électricité de 40% en été. “Mon installation sera rentabilisée dans cinq ans, explique le commerçant. Ou peut-être un petit peu plus en raison du coût de la structure. Mais cela reste avantageux. Je dirais même que mon investissement ne me coûte rien puisque je paie en prêt pendant cinq ans ce que je ne dépense plus en électricité. Le tout est de bien faire son calcul pour ne pas produire trop et devoir du coup réinjecter le surplus sur le réseau, ce qui ne rapporte pas grand-chose et n’est donc pas rentable.”
C’est précisément pour cette raison que l’indépendant n’a couvert qu’un tiers de son parking. “Le compteur ne tourne pas à l’envers comme pour les particuliers, dit-il. Ce que nous produisons doit être consommé, tout l’enjeu étant de réinjecter le moins possible sur le réseau. En ce qui nous concerne, nous avons atteint, grâce à notre installation, le maximum de ce qui était intéressant.”
Dépasser l’autoconsommation
Comeos, la fédération du commerce et des services, n’est absolument pas étonnée par cette manière de procéder… “Chez nous, quand vous commencez à produire des surplus d’énergie, vous tombez dans un système absolument épouvantable sur le plan administratif, cela vous coûte cher, etc., déplore Dominique Michel. Que font du coup les grandes surfaces? Elles n’installent que ce dont elles ont besoin… L’enjeu, pour la grande distribution, est pourtant de dépasser l’autoconsommation pour aller vers la production.”
Persuadé que le commerce peut jouer un rôle clé dans la couverture d’une partie des besoins énergétiques du pays, le patron de Comeos estime que la production d’énergie durable sur les toits et parkings des grandes surfaces devrait être encouragée de différentes façons. “Cela ne doit pas passer par des subsides ad vitam æternam, argue-t-il. Mais par un petit coup de pouce au départ. Il faut inciter la grande distribution pendant une période limitée afin de lui permettre d’effectuer les investissements nécessaires et d’amorcer la pompe. Cela pourrait passer par exemple par une déduction plus importante, durant une période limitée, des investissements consentis pour l’installation d’infrastructures dans des zones publiques comme les parkings.”
Une autre solution serait de favoriser la création de communautés locales d’énergie. “Lorsqu’une grande surface, des particuliers, des entreprises et une usine, par exemple, se trouvent dans une même zone, ceux qui produisent trop pourraient fournir ceux qui en ont besoin, explique notre interlocuteur. Mais aujourd’hui, les tarifs ne sont pas du tout intéressants, ce qui ne motive pas le garagiste du coin ou le particulier à acheter le surplus d’énergie du supermarché local.” Et le CEO de Comeos de plaider pour l’organisation d’ “une grande discussion triangulaire entre la grande distribution, les gestionnaires de réseau et les pouvoir publics. Augmentation de la rémunération pour l’injection sur le réseau, mise en place d’un plan ambitieux destiné à permettre de stocker dans des batteries l’électricité produite, etc. Les solutions sont potentiellement nombreuses.
Inciter les propriétaires
Mais il est un autre verrou – et non des moindres – qu’il faudra d’abord faire sauter. Beaucoup de commerçants ne sont en effet pas les propriétaires de leur bâtiment et de leur parking. Pour installer des panneaux photovoltaïques, ils doivent donc obtenir l’autorisation de ceux-ci, ce qui se révèle très compliqué, assure Dominique Michel. “Il faudrait imaginer un système par lequel les propriétaires seraient incités à réaliser ces investissements, dit-il. Certains disent qu’il faudrait les y obliger, d’autre plaident plutôt pour un incitant qui ferait qu’une partie leur reviendrait.”
Notre franchisé d’Oreye le reconnaît d’ailleurs volontiers: il ne se serait jamais lancé dans l’aventure s’il n’avait pas été propriétaire de son magasin. “Pour un locataire qui a signé un bail de neuf ans, c’est très compliqué, assure Alain Cloesen. Il ne va pas investir pour son successeur. Beaucoup de confrères me posent des questions sur mon installation, mais comme la plupart sont locataires, cela ne les intéresse pas trop.”
“Tant que l’on n’aura pas fait sauter ce bouchon-là, ce sera très compliqué, admet Dominique Michel. C’est regrettable car la grande distribution pourrait avoir un effet d’impact conséquent si l’on réglait cette question. Nous pourrions produire de l’énergie pour des centaines de ménages.” D’après le patron de Comeos, les supermarchés pourraient constituer, avec d’autres, les centrales de production photovoltaïques et les stations-services électriques de demain. “Les gens pourraient venir s’approvisionner chez nous, ou nous approvisionner avec leur propre énergie, lance-t-il. Nous pourrions devenir une véritable plaque tournante, très efficace. Rien qu’en couvrant les toits de nos grands magasins en panneaux solaires, nous estimons que nous pourrions créer 40.000 bornes de recharge pour voitures électriques de plus sur nos parkings, alimentées grâce à l’énergie produite par nos propres panneaux.” Et une solution de plus pour rentabiliser les surplus de production, histoire de ne plus devoir se cantonner à un tiers du parking…
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