Non, les hôpitaux ne sont pas des dinosaures
Nos hôpitaux emploient 25.000 personnes qui ne prodiguent pas de soins mais sont aussi durement éprouvées que le personnel soignant depuis 18 mois. Quelles conclusions tirer de leurs expériences?
Les soins non urgents doivent une fois de plus être reportés du fait de la nouvelle vague épidémique et de la pénurie de personnel soignant. Mais l’hôpital d’aujourd’hui est bien plus qu’un regroupement de médecins et de soignants. L’institution fait aussi appel à de nombreux profils administratifs et de soutien. Or, la communication relative à la crise sanitaire de ces derniers mois fait rarement référence aux 25.000 employés actifs en milieu hospitalier mais non affectés aux soins proprement dits. En collaboration avec le fournisseur de services informatiques Zorgi, le Journal du médecin a enquêté auprès de ces non-soignants.
L’optimisation du fonctionnement général doit permettre l’amélioration des soins.”
Melchior Wathelet, CEO de Zorgi
Numérisation indispensable
Né de la fusion d’Infohos et de Xperthis, Zorgi est un des leaders belges d’informatique hospitalière. Des résultats de l’enquête, son CEO Melchior Wathelet conclut que les hôpitaux sont parfaitement capables de s’adapter. “Les hôpitaux sont souvent considérés comme des dinosaures qui ont du mal à évoluer, dit-il. Cela fait 15 ans qu’on parle de la révision de la nomenclature, sans grand changement. L’administration hospitalière est souvent accusée d’inertie en matière d’innovation. Mais en ces temps de crise, les hôpitaux ont montré que le changement pouvait se faire rapidement et que les non-soignants sont plus flexibles qu’on ne le croit. C’est une bonne chose. Dommage qu’il ait fallu une crise pour y arriver.”
Un exemple parmi d’autres: depuis le coronavirus, le télétravail est devenu la norme y compris dans les hôpitaux. D’après l’enquête du portail spécialisé AK-Hospitals, 79% des 849 personnes interrogées disent travailler régulièrement de l’extérieur, contre 55% seulement avant la crise sanitaire. De toute évidence, les hôpitaux ont mis la pandémie à profit pour revoir leurs procédures internes. Toute l’administration des téléconsultations, y compris les numéros Inami, a été réorganisée en un rien de temps, alors que le concept n’avait jamais dépassé le stade de pourparlers difficiles. “La crise a accéléré le changement et le rôle décisif de l’informatique dans le processus de changement a enfin été reconnu, assure Melchior Wathelet. L’essentiel n’est pas de faire table rase de ce qui existe mais de contribuer à la solution. Par exemple, Zorgi a proposé une solution pour résoudre le problème des files d’attente, une aide appréciable en temps de crise sanitaire vu la limitation du nombre de personnes autorisées dans chaque local. Le système de prise de rendez-vous et de gestion des files d’attente devait être parfaitement opérationnel. L’informatique y a contribué. La numérisation permet de disposer d’outils indispensables dans un hôpital moderne, surtout en période de pandémie.”
L’argent ne suffit pas
Le gouvernement fédéral a tout mis en oeuvre pour accélérer la numérisation au sein des hôpitaux. Le ministre des Affaires sociales et de la Santé publique Frank Vandenbroucke (Vooruit) peut compter sur un budget supplémentaire de 126 millions d’euros dans le cadre du plan de relance européen. Mais l’argent ne suffit pas, prévient Melchior Wathelet. “Ce budget n’est pas extensible, il faut le savoir. Or, d’autres investissements s’avèrent nécessaires et il ne faut pas croire que rien ne change. Par ailleurs, investir de l’argent quand il n’y a pas de solution n’a aucun sens. Autrement dit, du point de vue du fournisseur, si les procédures de l’hôpital ne sont pas adaptées à ce que les solutions informatiques peuvent réaliser, il ne sert à rien d’investir davantage. Adapter les procédures et les normes en vue de leur informatisation est tout aussi important que prévoir un budget supplémentaire.”
Malgré cela, Melchior Wathelet estime l’investissement de 126 millions insuffisant vu le défi à relever. “J’admets que 126 millions, c’est mieux que rien mais il faudrait nettement plus. C’est l’éternelle histoire du verre à moitié vide ou à moitié plein.”
Selon Zorgi, la nécessité de numériser les cliniques n’est plus à démontrer. “Que les choses soient claires, ajoute Melchior Wathelet. Les hôpitaux n’ont d’autre choix que d’investir massivement dans l’informatique et la numérisation. Mais en tant que fournisseur, nous avons aussi l’obligation de faire toujours mieux. Toutes les solutions d’informatique hospitalière ne sont pas encore rentables. Le but à long terme est cependant de permettre l’utilisation des applications IT par les patients même en dehors des murs de l’hôpital. Les logiciels des médecins de famille, des kinésithérapeutes, des pharmaciens et des infirmiers à domicile doivent être interconnectés. Il est donc urgent de prévoir le cadre et les moyens indispensables à cette numérisation.”
Entre-temps, les hôpitaux belges sont en pleine restructuration des réseaux, une procédure initiée par l’ex-ministre de la Santé, Maggie De Block (Open Vld) visant à plus de consolidation à terme. Pour le moment, les hôpitaux relevant du même réseau se font concurrence en termes de financement. Une situation qui, paradoxalement, devrait favoriser les fusions à plus long terme. En fait, le gouvernement précédent a confié la rationalisation du secteur hospitalier aux hôpitaux.
Logique commerciale
Les fournisseurs d’informatique hospitalière connaissent, eux aussi, une vague de consolidation. Pour Melchior Wathelet, la compétition entre acteurs innovants est indispensable. Il appartient aux autorités de fixer les normes pour permettre l’échange des données entre applications. “Ce ne sera pas simple mais c’est un pas de plus dans la bonne direction.”
Les fournisseurs de logiciels peuvent aussi faciliter les choses. En fin de compte, c’est le personnel administratif qui doit constamment surfer entre les applications IT, ce qui freine l’innovation et la numérisation des hôpitaux. “L’essentiel est de canaliser correctement le changement, conclut Melchior Wathelet. Nous n’avons pas assez insisté sur l’adaptation à nos applications IT. Les hôpitaux doivent investir davantage mais, de leur côté, les sociétés d’informatique doivent aussi avoir l’ambition d’être plus que des fournisseurs de manuels auxquels le client doit s’adapter. Il nous faut mieux cerner les besoins des non-soignants et encadrer l’utilisation appropriée de nos applications. Notre contribution à l’optimisation du fonctionnement général doit permettre l’amélioration des soins.”
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici