“No-show” au resto : quand les réservations fantômes plombent l’horeca

Caroline Lallemand

Le « no-show », ou quand les clients qui ont réservé une table n’arrivent jamais, est un fléau discret mais coûteux pour l’horeca. Il mine la rentabilité des restaurants. Entre nouveau mode de réservation et relations clients à soigner, les restaurateurs cherchent leur équilibre.

« La table de 28 personnes réservée jeudi passé ? Ils ne se sont jamais pointés ! Aucun appel. Juste un SMS, la veille, pour me dire que la personne qui fêtait son anniversaire était hospitalisée. Et moi, j’avais prévu toute la nourriture, mon personnel, mes desserts artisanaux. Résultat : des pertes sèches et une sacrée désorganisation », déplore Jérémy Schwachhofer gérant du restaurant Le Petit Savoyard à Jodoigne, dans le Brabant wallon. En une scène, il résume ce que beaucoup de ses collègues vivent chaque semaine : des clients qui réservent… mais ne viennent pas, ce qu’on appelle le « no-show » dans le milieu.

Impact sur le personnel

Des pratiques peu respectueuses qui ont un impact économique mais aussi organisationnel. « Même si j’annule le contrat d’intérim et que la personne ne vient pas travailler, je devrai la payer. Et puis, avec les annulations de dernière minute, je dois parfois décommander du personnel supplémentaire. Résultat : la personne a bloqué son samedi soir, a peut-être refusé une autre mission… et elle ne veut plus venir bosser chez moi », commente le restaurateur brabançon.

Une situation compliquée par la forte pénurie de main-d’œuvre qui sévit dans le milieu. « C’est déjà très difficile de trouver des gens fiables. Même des gens qui ont simplement envie de travailler, c’est compliqué. Et ce n’est pas spécifique à la restauration, c’est pareil dans d’autres secteurs. Dans mon restaurant, je ne demande même pas des compétences compliquées : il suffit d’être organisé et de savoir travailler de bons produits. Pourtant, c’est devenu un casse-tête partout, à Bruxelles, à Louvain-la-Neuve, à Jodoigne… », expose le gérant. 

Manque de respect

Jérémy Schwachhofer gérant du restaurant Le Petit Savoyard à Jodoigne.

La numérisation a beau faciliter les réservations, elle semble aussi favoriser un comportement désinvolte de la part des clients. Heureusement, ils sont minoritaires. Dans ce contexte, neuf restaurateurs sur dix en Belgique ne demandent pas d’acompte lors des réservations en ligne, ressort-il d’une étude réalisée auprès de 250 établissements par Lightspeed, une plateforme de gestion tout-en-un dédiée au secteur horeca et Zenchef, une solution spécialisée dans la gestion des réservations. Pourtant, les pertes liées aux « no-shows » s’accumulent, en particulier dans la haute gastronomie, où le ticket moyen et le coût des matières premières sont plus élevés.

« Ce qui a vraiment changé ces cinq dernières années, c’est le manque d’éducation et de respect des clients »

Des solutions, mais à quel prix ?

Face à la répétition de ces absences non signalées, certains restaurateurs durcissent le ton. Le gérant du Petit Savoyard en fait partie. « Je vais imposer une empreinte bancaire de 25 euros par personne pour toute réservation en ligne, et une garantie obligatoire de 20 euros par personne pour les groupes de plus de 15 personnes », explique-t-il. Un tel système de réservation plus sophistiqué a cependant un coût. « Pour l’instant, le coût est nul puisque  je gère moi-même les appels téléphoniques. La solution en ligne que je voudrais  mettre en place, c’est 2.700 euros. » 

Un autre restaurant de la région, Aux Petits Onions, demande déjà une garantie de 50 euros pour effectuer une réservation en ligne. L’établissement stipule qu’il est possible d’annuler sans frais jusqu’à 24H avant la date de réservation. En cas de non-présentation au restaurant, le client s’expose au prélèvement de 25 euros par personne via son empreinte bancaire.

Peur de faire fuir le client

Une décision difficile pour le gérant du Petit Savoyard qui se bat pour préserver un accueil humain et chaleureux depuis ses débuts dans la profession il y a plus de 30 ans. Le quadra a notamment été directeur food & beverage du domaine Thermal de Mondorf au Luxembourg. « Je tiens quand même à rester disponible par téléphone pour les personnes, comme ma grand-mère, qui n’ont pas accès à Internet », stipule-t-il. Il n’est pas le seul à vivre ce tiraillement. L’étude de Lightspeed et Zenchef révèle que 53 % des restaurateurs craignent de faire fuir les clients avec ce type de dispositif de réservation. 40 % estiment que les clients comprennent la nécessité d’un acompte, mais 39 % jugent que cela nuit à l’hospitalité tandis que 34 % y voient une protection indispensable, mais pas une garantie.

Incivilité croissante

L’équilibre entre hospitalité et sécurité financière est devenu un enjeu-clé dans l’horeca. « Dans d’autres secteurs, le prépaiement est devenu la norme. Les restaurateurs peuvent s’en inspirer », avance Edgar Rouwenhorst Chief Marketing Officer de Zenchef. Emine Youssef Regional, Director Benelux Hospitality de Lightspeed, insiste de son côté: « Il faut de la transparence dans les conditions de réservation, des outils adaptés, et une communication pédagogique. »

Les réservations fantômes ne sont que la partie visible de l’iceberg d’une transformation à l’œuvre dans l’horeca. « Ce qui a vraiment changé ces cinq dernières années, c’est le manque d’éducation et de respect des clients », observe encore Jérémy Schwachhofer du Petit Savoyard. Il évoque des clients déjà éméchés à leur arrivée parce qu’ils préfèrent économiser en prenant l’apéro chez eux, des comportements déplacés envers son personnel, et un climat de plus en plus tendu. «Même les étudiants ne veulent plus venir. Quand ils se font insulter deux fois en une semaine, ils ne rempilent pas », regrette-il, avec cette passion de satisfaire le client malgré les conditions difficiles.

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