Nicolas Puech, l’héritier banni d’Hermès, a-t-il vraiment perdu 12 milliards d’euros en actions ?

© getty

Nicolas Puech est le petit-fils du fondateur d’Hermès. Il possède pour des milliards en actions Hermès. Depuis plus d’une décennie, elles sont au cœur d’un singulier combat dans les coulisses de la très feutrée industrie du luxe. Voici une histoire faite de trahisons et de coups de théâtre. Elle vient de connaître un nouveau rebondissement: l’héritier aurait “perdu” pour 12 milliards d’euros d’actions.

Jusqu’à il y a peu, Nicolas Puech, 81 ans, n’était qu’un riche, mais relativement discret héritier qui coulait des jours heureux en Suisse. Ce célibataire sans enfant semblait personnifier l’archétype du rentier qui ne cherchait qu’à profiter de la vie. Mais tout change fin 2023. Il décide alors de chambouler sa succession pour adopter son domestique hispano-marocain et lui léguer sa fortune.

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Une succession atypique qui va attirer l’attention des médias et réveiller une rancœur familiale que l’on pensait apaisée. Car si l’héritage est colossal (selon le magazine Bilan sa fortune est estimée entre 9,4 à 10,4 milliards d’euros), le vrai enjeu n’est pas là. L’héritage de Nicolas Puech, c’est surtout une montagne d’action Hermès héritée en partie par sa mère et par sa sœur. Il détiendrait à lui seul 5,8% des actions. Soit près de six millions d’actions estimées au cours actuel à près de 13.7 milliards d’euros, selon le magazine l’Express qui consacre un large dossier à ce sujet.

L’une des plus riches familles au monde

En février 2024, la famille derrière Hermès est devenue la plus riche d’Europe et la troisième plus riche du monde. Seules deux familles font mieux dans le monde : la dynastie Nahyans qui contrôle Abu Dhabi et les Waltons de la chaîne de supermarchés américaine Walmart. Les trois familles derrière le groupe – soit les Dumasses, les Guerrands, les Puechs et apparentés – posséderaient ensemble une fortune combinée d’environ 151 milliards de dollars selon Bloomberg.

La famille doit sa fortune au fait que le groupe s’est mué en la plus importante machine à profit dans le secteur du luxe. Elle s’est spécialisée dans des produits destinés au segment des ultra-riches en misant sur l’exclusivité, l’artisanat d’exception et une réputation vieille de plus de 180 ans. Un pari osé, mais payant puisque la capitalisation boursière d’Hermès atteint 230 milliards d’euros et la marge bénéficiaire moyenne du groupe atteint désormais 42 %, soit bien plus que les 25 à 26 % de Louis Vuitton Moët Hennessy (LVMH). De quoi faire grincer des dents un certain Bernard Arnault. D’autant plus que les actions Hermès ont un parfum de scandale.

Une guerre feutrée dans l’industrie du luxe

Elles ont même sérieusement fait trembler le petit monde de l’industrie du luxe il y a près de quinze ans. En 2010, Arnault a tenté en vain d’acheter son rival français. La famille refuse fermement, mais Arnault rachète en douce des actions. En octobre de cette même année, LVMH sort du bois et annonce avoir pris le contrôle de 14,2 % du capital. Cela ira même jusqu’à dépasser largement les 20 %. Poussant Patrick Thomas, le PDG de l’époque a déclaré avec colère : “Si vous voulez séduire une belle femme, vous ne la violez pas par derrière. Il n’y a pas d’interaction entre Hermès et LVMH aujourd’hui, et il n’y en aura jamais.” Mais en coulisse, c’est la panique. La famille n’a rien vu venir. La surprise est d’autant plus amère que, rapidement, le groupe apprend que cette attaque a été fomentée avec l’aide d’un membre de son propre clan. Ce serait Nicolas Puech qui aurait entrouvert la porte du groupe pour permettre au rival LVMH de rentrer au capital. La famille se lance ensuite dans une contre-attaque. Avec succès puisque Hermès et LVMH finiront par signer un accord de paix en 2014. Un peu contraint et forcé, Arnault n’aura d’autre choix que de se retirer petit à petit du capital. La trahison ne sera, par contre, jamais oubliée ni pardonnée à Nicolas Puech .

Le mouton noir de la famille Hermès

Un fossé qui se creuse encore quand, à la surprise du clan, il est le seul à ne pas apporter ses actions à l’holding H51. Un holding qui contrôle 66 % du capital et verrouille l’emprise familiale sur Hermès. Une véritable forteresse qui donne un droit de préemption pour les autres membres de la famille, de sorte que les actions sont toujours transmises au sein de la holding familiale.

Nicolas Puech préfère faire cavalier seul en créant, en août 2011, une fondation dans le Valais et à laquelle il s’engage à léguer ses actions. Cela lui permet de contourner les 60% de droits de succession, mais aussi de mettre les actions définitivement hors de portée de sa famille.

Si depuis le calme semblait revenu, la réalité serait nettement plus trouble au regard des derniers développements de l’affaire. Autrefois relativement mondain, l’homme s’est replié sur un très petit cercle composé de son ancien jardinier et sa compagne qu’il appelle ses enfants. Et depuis le départ forcé en septembre 2022 de l’ancien gestionnaire de fortune, Eric Freymond, tout s’accélère. Aujourd’hui c’est l’avocat Jörn-Albert Bostelmann qui est aux affaires et, semble-t-il, avec des pouvoirs illimités. Ainsi, en juillet 2023, il chamboule le premier pacte successoral. Dans la foulée Nicolas Puech annonce qu’il souhaitait faire de son ancien jardinier de 51 ans son unique héritier. Cet hispano-marocain et sa femme auraient pourtant déjà reçu des biens immobiliers estimés à 60 millions. Une somme rondelette, mais rien d’extravagant au regard des avoirs de l’héritier. Selon Jörn-Albert Bostelmann interviewé par l’Express, «ce ne serait là qu’1% de la fortune de Nicolas Puech ». Le magazine précise tout même que ledit avocat est aussi actif dans le même club de pêche que l’ancien jardinier.

Le mystère des actions

Si la procédure aboutit, le domestique devrait hériter d’au minimum la moitié des actions. De quoi signer la fin de la fondation, mais aussi donner des sueurs froides aux membres de la famille Hermès qui compte désormais plus de 100 membres. Car rien n’empêcherait alors de voir partir les si fameuses actions au plus offrant. En sachant, selon Bloomberg, qu’Hermès a versé pas moins de 852 millions d’euros à ses actionnaires en 2022, les parts du plus grand actionnaire individuel d’Hermès attirent les vautours de tous bords. Le danger peut littéralement venir de partout. Cela peut aussi donner des idées à d’autres membres. Selon le magazine économique français Challenges, seule une partie des membres de la famille mettrait son argent dans le nouveau family-office Krefeld créé début 2024. Le risque d’une division de l’empire familial reste donc toujours latent.

Un autre point qui taraude les autres membres de la famille, c’est qu’il existe un doute sur le lieu où sont conservées les actions historiques et même si elles sont toujours bel et bien en sa possession. En gros, personne ne sait officiellement avec certitude où se trouvent ces actions et qui en a le contrôle. « Et ceux qui le savent se taisent », précise encore l’Express. Nicolas Puech aurait même affirmé être « totalement désargenté » et « ne plus détenir ses titres Hermès international ».

12 milliards d’euros d’actions “disparues” partent en fumée

Nicolas Puech prétend en effet que ses actions lui ont été subtilisées. Nicolas Puech avait poursuivi son gestionnaire de fortune Eric Freymond (qui gérait ses actions depuis 1998) en justice. Mais la justice genevoise vient de balayer ses plaintes. Un juge suisse vient d’estimer en appel qu’aucune fraude n’avait été commise. La « fraude gigantesque » dont parle la victime est indétectable pour un simple mortel », peut-on lire dans les documents du tribunal, selon Bloomberg. Le juge a en outre estimé que la plainte n’était pas claire et mal étayée. M. Puech avait signé des documents donnant à son gestionnaire de fortune toute latitude pour gérer ses comptes et son portefeuille d’actions. Il s’agissait d’une « confiance aveugle », a déclaré le juge. Les documents montrent que Freymond a vendu des actions depuis 2001. « Il n’est pas clair qui a empêché le plaignant de s’intéresser à l’évolution de son patrimoine », peut-on lire dans les documents du tribunal. Pour le juge, M. Puech aurait donc perdu ses actions et sa fortune pour de bon.

Du côté de la famille Hermès la question de la disparition de ces actifs reste ouverte. Il est possible que Puech ai perdu la trace de ses investissements ou qu’il ait été victime d’une manipulation de la part d’un membre de son entourage. Ces actions devraient néanmoins forcément réapparaître un jour. Tout indique donc de nouveaux rebondissements à venir.

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