Paul Vacca
Netflix: tsunami ou Nouvelle Vague ?
Qui peut résister à Netflix ? Visiblement personne. Pas même les Obama qui viennent de signer un accord de production exclusif avec la firme.
Un chant des sirènes puissant : une valorisation pharaonique flirtant avec les 150 milliards de dollars, dépassant même celle de Disney ; une audience mondiale franchissant désormais la barre des 125 millions d’abonnés ; des investissements à faire pâlir les majors hollywoodiennes… Autant d’arguments-choc qui font dire à certains que Netflix est le futur de la télévision et du cinéma mondial.
Le futur ? Oui mais quel type de futur ? Un tsunami ou une Nouvelle Vague ? Une lame destructrice ou une génération de nouvelles valeurs ? Là est toute la question. Pour l’heure, le scénario que nous voyons se jouer ressemble plutôt à un remake de Uber. Car comme pour le promoteur du VTC, adepte d’une disruption qui se définit comme ” destruction créatrice “, on peine encore à voir quelle est véritablement la part créatrice de cette destruction.
Pour preuve, son bras de fer médiatique avec le Festival de Cannes qui lui a assuré une vitrine pour son lobbying, le faisant passer pour la voie du futur, dans une mise en scène du combat des anciens contre les modernes. L’ironie du sort est que l’avocat de Netflix sur le tapis rouge cannois a été Martin Scorsese dont il produit le prochain film de gangsters The Irishman. Réalisateur, faut-il le rappeler, couronné par une Palme d’Or avec Taxi Driver en 1976. Il a été aussi question de la restauration d’un film d’Orson Welles, chose parfaitement respectable mais pas vraiment avant-gardiste. Car aujourd’hui, la course à l’armement de Netflix se fait pour l’essentiel avec des ” marques ” déjà bien établies ailleurs. A coups de dollars.
Netflix, tout à la poursuite de sa valorisation boursière, n’a pas le temps de développer de la valeur.
Ces derniers temps, outre le couple Obama, Netflix a ouvert son porte-monnaie pour se payer Shonda Rhimes (la créatrice de Grey’s Anatomy, Private Practice, Murder), Ryan Murphy (l’homme derrière Nip/Tuck, Glee ou la collection American Horror History) et Mark Millar, un ancien transfuge de chez Marvel ( Kick Ass, Kingsman, etc.). Reste à savoir si Netflix – ou les autres acteurs du streaming comme Amazon – a la capacité à donner naissance à de nouvelles têtes. On attend toujours. Ce qui caractérisait les ” destructeurs créateurs “, c’est aussi leur force de générer de nouvelles têtes et de nouveaux formats… Dans les années 1950, La Nouvelle Vague disrupta le cinéma ” qualité française ” tout en faisant émerger une nouvelle génération de réalisateurs et d’acteurs avec une vision originale et renouvelée. Même chose, pour le Nouvel Hollywood qui révolutionna la manière de faire du cinéma tant dans ses thèmes que dans sa production. Et plus proche de nous, les chaînes câblées HBO, FX ou AMC, ont disrupté le monde de la série des networks classiques avec des séries telles que Les Soprano, The Wire, Mad Men et Breaking Bad, apportant à la fois une nouvelle grammaire et mettant au devant de la scène de nouveaux auteurs – les showrunners – et de nouveaux acteurs. Avec Netflix ou Amazon, rien de comparable pour l’instant. On est plutôt en train de capter la valeur d’un marché plutôt que de la créer. Comme Uber avec les taxis.
” La Casa de Papel “, un succès signé Netflix ? Sauf que ce n’est pas une production maison mais une production d’une chaîne espagnole (que Netflix a toutefois eu le flair de transformer en succès international). Amazon s’achète Woody Allen ou, pour répondre à Game of Thrones, est en train de produire une série d’après le Seigneur des anneaux. La disruption attendra. Il faut dire que leur modèle économique ne repose pas sur la création de valeur. Là où l’acte créatif de HBO répondait à une stratégie de fidélisation, la croissance des acteurs du streaming repose sur une politique d’acquisition massive. Partout, tout de suite. D’où la course à l’armement et l’achat de ” marques ” pour attirer en masse. Netflix, tout à la poursuite de sa valorisation boursière, n’a pas le temps de développer de la valeur.
Pour Amazon, c’est encore plus clair. Toute sa stratégie en direction d’Hollywood doit avant tout aider à développer les souscriptions de Prime, son programme de fidélisation d’achat sur le site de vente en ligne. Comme Jeff Bezos l’a reconnu lui-même : ” Amazon est la première entreprise au monde à se servir des Golden Globes pour vendre du papier-toilette “. Cela a le mérite d’être clair.
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