Netflix fait trembler les géants du divertissement, mais son “business model” va-t-il causer sa perte ?
Comptant plus de 130 millions d’abonnés et étendant chaque jour davantage son empire, Netflix est devenu une sorte de Godzilla faisant trembler tous les géants mondiaux du divertissement. Cinéma et télévision peuvent-ils encore résister à cette arme de disruption massive ?
C’est un script parfait pour un blockbuster d’été à la sauce Marvel, façon Avengers. Une lutte titanesque entre superpuissances financières à coups de prises de participations, d’attaques, de contre-attaques, d’alliances secrètes, d’effets spéciaux… et de milliards de dollars. L’enjeu : devenir ” maître du monde “. Sauf que là, ce n’est pas du cinéma. L’action se passe dans le monde réel aujourd’hui en Californie. Avec deux camps qui s’affrontent : le puissant Hollywood face aux assauts des fougueux mercenaires de la Silicon Valley. Et parmi eux, un super-vilain devenu soudain tout-puissant : Netflix. Un rebondissement dans un affrontement qui ne date pas d’aujourd’hui. Petit rappel des épisodes précédents.
La Silicon Valley à l’attaque d’Hollywood
Les membres du premier camp sont arrivés en 1910 dans le sud de l’Etat de Californie, à Los Angeles, une contrée ensoleillée 350 jours par an, le lieu idéal pour leurs tournages. Leurs rêves en celluloïd sont d’abord muets et en noir et blanc, puis parlants et chantants, en technicolor et bientôt en 3D, projetés sur d’immenses toiles blanches partout dans le monde. Sur la colline à l’ouest de la ville, ils s’approprient un grand panneau visible à des miles portant fièrement le nom de Hollywood. En quelques années à peine, ils deviennent les ” maîtres du monde “.
En 2018, Netflix a dépensé 8 milliards de dollars dans ses contenus et il prévoit de dépenser encore 11 à 13 milliards de dollars cette année.
Soixante ans plus tard, les membres du second camp élisent domicile dans le nord de la Californie, face à la baie de San Francisco. Dans cette région qui n’abritait que des vergers, ils profitèrent du rayonnement de l’Université de Stanford et du Mental Research Institute de Palo Alto (ce concentré hors pair de neurones) et de l’accès à l’eau permettant de purifier leurs composants électroniques à base de silicium. Ils appellent cet endroit la Silicon Valley. Partant de rien, parfois même dans le garage de leurs parents, une nouvelle génération rêve de codes, de mémoires vives, de logiciels et d’algorithmes dans des machines toujours plus petites mais toujours plus puissantes, ne tardant pas à tisser leur Toile sur la planète. Ils deviennent eux aussi les ” maîtres du monde “.
Distants d’un peu plus de 500 km, ces deux maîtres du monde s’ignorent superbement pendant de longues années, se toisant dans un mépris mutuel. Hollywood snobe le manque absolu de chic de ces geeks en jeans et t-shirt ou sweat à capuche. Et la Valley regarde avec dédain ces tycoons paradant en smoking sur les tapis rouges, dinosaures inconscients de leur extinction prochaine.
Les deux camps se seraient ignorés encore longtemps si le monde, soudain, n’était pas devenu trop petit pour leurs appétits respectifs. Les rêves de celluloïd et les fantasmes de codes numériques se mirent à fusionner dans un grand ” tout ” : les contenus. Les geeks, devenus entre-temps ” géants d’Internet “, voulurent tout absorber textes, sons, images, jeux, informations, etc. dans leur grande Toile via leurs plateformes, leurs réseaux ou leurs bouquets. Et puis fatalement, alors que leurs tuyaux devenaient toujours plus voraces, ils trouvèrent Hollywood et le monde de l’ entertainment sur leur chemin, avec leurs contenus mythiques : les séries et les films.
Les invasions numériques
Le premier assaut est donné au tournant des années 2000 lors la première explosion d’Internet : ce sont les raids financiers. On se souvient qu’à cette époque, les entreprises cherchaient à forcer leur voie vers la ” convergence ” annoncée entre les industries technologiques et les médias en mettant la main sur les fleurons de Hollywood. Il y aura, dès 1998, la prise de contrôle du mythique Universal par Vivendi, un conglomérat industrialo-technologique français, donnant Vivendi Universal avec, à sa tête, Jean-Marie Messier qui se rêve en Napoléon de la convergence. Plus spectaculaire encore l’attaque d’AOL (America Online), une société de services internet sur le groupe Time Warner, le conglomérat des médias (avec CNN) et de l’ entertainment (avec Warner Bros et HBO). Rien ne peut plus les arrêter… Si ce n’est le krach boursier consécutif à l’éclatement de la bulle internet, qui ruine tous les rêves de convergence. Les greffes entre les deux mondes ne prennent pas, débouchant sur des catastrophes industrielles.
Une nouvelle attaque a lieu ensuite. Plus souterraine et diffuse, menée par des guerriers masqués : les hackers. Elle correspond à la montée de l’équipement dans les foyers et du haut débit. Le piratage numérique se met en place et menace directement le modèle économique de tous les producteurs de contenus de l’ensemble de la chaîne du divertissement (musique, jeux vidéo, séries et films). Via les plateformes de téléchargement illégal – en peer-to-peer puis en streaming -, les contenus sont directement accessibles gratuitement dans le monde entier dans un effet viral affolant. Napster à ses débuts, Kazaa, Megaupload : des noms menaçant de tout absorber dans un trou noir sans fin. Mais l’apocalypse de la gratuité universelle n’a pas lieu. Les invasions numériques ne parviennent pas à anéantir les marchés culturels.
Une troisième attaque est lancée vers les années 2010. Cette fois-ci les acteurs numériques repartent à l’assaut de la forteresse Hollywood avec la ferme intention de s’attaquer à son coeur de métier : la production . Pourquoi la Silicon Valley ne réussirait-elle pas à disrupter Hollywood ? N’ont-ils pas réussi à attirer des millions – voire des milliards – de fans devant leurs applications, logiciels et écrans ? Et puis, ne bénéficient-ils pas d’une trésorerie que les studios rêveraient d’avoir ? A ce moment-là, ils ont évidemment en tête les succès des laboratoires du câble qui, à l’abri des grands networks, ont révolutionné l’art des séries : HBO en tête avec The Sopranos, Sex & the City et Game of Thrones, AMC avec Mad Men, Breaking Bad et The Walking Dead ou Showtime avec Dexter et Homeland. ” Pourquoi pas nous ? “, se disent les membres de la Silicon Valley avec l’arrogance de la jeune génération.
La menace Netflix
Sur le moment, cela fait évidemment sourire à Hollywood. La ” machine à rêves ” n’est pas une industrie comme les autres. Elle est un mythe. Un phénix centenaire dont on a plusieurs fois annoncé la mort. Leur métier est le fruit d’un savoir-faire ancestral. Ils se croient indisruptibles. Comme le remarque alors John Landgraf, directeur exécutif de FX, la chaîne câblée de Fox à l’origine de séries comme The Shield, Nip/Tuck ou The Americans : ” Je leur souhaite bonne chance ! Penser que produire des contenus est simple, c’est typiquement une arrogance de nouveau riche. Pour s’imposer dans notre art, il faut faire preuve d’une expertise à tous les stades du storytelling. Et puis, il y a tellement de façons d’échouer. ”
Aujourd’hui en revanche, plus personne à Hollywood et dans l’industrie du divertissement ne songe à sourire. Car cette troisième menace semble bien plus sérieuse. D’autant que, chose surprenante, elle ne vient pas cette fois de là où on l’attendait. Elle n’est ni le fait des géants d’Internet – Yahoo ! , par exemple, qui clame un temps son ambition de produire des ” séries de qualité ” pour animer sa plateforme aux 700 millions de visiteurs/mois – ni même des pirates, mais d’une entreprise de livraison à domicile via le Net créée en 1997 par Reed Hastings et qui, au lieu de livrer des pizzas, propose des DVD ! Un vidéoclub en ligne qui s’était déjà distingué sur un marché en perdition par sa capacité à générer des recommandations personnalisées à partir du traitement des données de ses clients, offrant une meilleure rotation à son catalogue et lui assurant de bien meilleures marges.
Sentant l’obsolescence du DVD s’accélérer, Netflix (c’est son nom), décide de migrer vers le SVoD ( subscription video on demand) en proposant les films en streaming par abonnement . Ce qui semble au départ n’être qu’un changement de support, transforme en fait radicalement son business model. Certes l’entreprise peut compter sur une baisse de ses coûts de logistique mais un problème de taille ne tarde pas à émerger. Ne pouvant plus se contenter d’acheter des DVD et de les louer à ses clients, Netflix se voit contraint de négocier des droits de licence avec les studios et les chaînes de télévision. Et ça, c’est une autre paire de manches. Les tycoons d’Hollywood, échaudés par deux précédentes attaques numériques, saisissent immédiatement l’opportunité de revoir fortement à la hausse leurs prétentions financières. Ils ne considèrent plus Netflix comme un partenaire leur apportant un plus, mais une vache-à-lait pouvant contribuer à l’amortissement de leurs films et, aussi, à combler ” le manque à gagner ” issu du piratage via le peer-to-peer ou le streaming illégal.
A force de jouer sur la nouveauté permanente, Netflix accélère l’obsolescence de ses programmes. Un piège redoutable….
Du coup, Netflix se retrouve dans la même situation que HBO avant lui : à la merci des studios hollywoodiens toujours plus gourmands, menaçant à terme son modèle économique et même sa survie. Comme HBO, Netflix décide alors de produire ses propres contenus originaux pour ne plus être dépendant de l’inflation des droits des studios. Une façon de fidéliser ses abonnés et de les attacher à l’exclusivité. A l’origine, une pure stratégie de défense. Ironie du sort : c’est donc Hollywood qui a armé Netflix contre lui. Un schéma narratif pourtant très connu des scénaristes hollywoodiens notamment dans les films de mafia : celui de l’underdog humilié qui finit par se venger.
Course à l’armement et montée des périls
C’est ainsi qu’en février 2013, Netflix fait une entrée remarquée avec House of Cards, un remake d’une série anglaise greffée à la Maison Blanche. Suivront d’autres séries comme Orange Is The New Black, Marco Polo, Daredevil, Narcos, etc. dont les droits sont ensuite vendus dans le monde entier puisque la société Netflix n’est pour l’heure qu’américano-américaine. Libéré de la contrainte de la linéarité des programmes – on peut tout regarder à n’importe quelle heure -, Netflix invente un nouveau modelè de programmation des séries en diffusant tous les épisodes d’une saison en une seule fois. Cela consacre la naissance d’un nouveau mode de consommation : le binge-watching, un mode de visionnage intensif et addictif particulièrement adapté à Internet.
Puis en 2016, Netflix lance une offensive hors de ses frontières en s’attaquant frontalement à tous les câblodistributeurs dans chaque pays avec un nouveau modèle d’abonnement moins contraignant et moins cher… Faisant émerger partout une nouvelle race de spectateurs, car Netflix arrive avec des prix bien inférieurs aux câblo-opérateurs présents dans chaque pays. Mais l’ambition de la société ne s’arrête pas là. Elle vise plus haut. Beaucoup plus haut…
On connaît la suite : la montée en puissance phénoménale de Netflix devenu le grand disrupteur. L’hebdomadaire The Economist ne s’y trompe pas en lui consacrant sa couverture début juillet dernier, avec une image montrant les sept lettres N-E-T-F-L-I-X à la place des célèbres Hollywood Signs de Los Angeles. Voilà où nous en sommes en seulement cinq ans. Mais la course à l’armement continue de plus belle. En 2018, la firme a dépensé 8 milliards de dollars pour ses contenus soit plus que les trois premières majors réunies et elle prévoit de dépenser encore 11 à 13 milliards de dollars. Soit 82 films en un an, un tous les cinq jours, là où Warner Bros n’en sortira que 23 ; et Disney, seulement 10. Netflix, c’est aussi 700 émissions, des talk-shows, des documentaires, des spectacles de stand-up mais aussi des émissions de téléréalité et, évidemment, plus d’une centaine de séries. Et ce dans une approche multi-locale ou glocale en produisant des programmes sur place au Brésil, en Allemagne, en Inde, en Corée du Sud. Et en France, où de nombreuses productions sont lancées. On a appris mi-juillet, par exemple, que la firme compte lancer une série autour du personnage d’Arsène Lupin avec Omar Sy dans le rôle-titre. Une stratégie renforcée par le succès récent de La Casa de Papel, deux saisons d’une série achetée par Netflix à un producteur espagnol et qui a obtenu un incroyable succès d’audience mondial (17 millions de vues rien qu’en France en 2018). Au point qu’une saison 3, produite directement par Netflix, sera diffusée dès 2019.
Disrupter la planète “entertainment”
Mais que cherche Netflix ? La réponse est simple : tout. Dans sa soif de conquêtes, la firme californienne veut tout produire. Le prestige avec des réalisateurs de premier plan comme Martin Scorsese, les Wachowski, Spike Lee ou les frères Coen, les stars du petit écran comme Ryan Murphy (créateur de Glee) ou Shonda Rhimes (productrice de Grey’s Anatomy et Murder), David Letterman, etc. Mais aussi des contenus de série B, des comédies romantiques au kilomètre, etc. Bref, Netflix veut disrupter la planète entertainment dans son entièreté : le câble, les chaînes de télé et Hollywood. Avec une stratégie claire expliquée par Ted Sarandos, son directeur exécutif, en charge des programmes : ” Plus de contenus produits, ce sont plus de programmes à regarder ; plus de programmes à regarder, ce sont plus d’abonnements ; plus d’abonnements, ce sont plus de revenus ; plus de revenus, ce sont plus de contenus “. Un programme en forme de cercle vertueux. Avec un petit air de chaîne de Ponzi, tout de même…
De fait, aujourd’hui, Netflix est devenu un trou noir qui absorbe toute la planète entertainment. Les souscriptions se multiplient à la vitesse de l’éclair, faisant grimper la valorisation du groupe à des sommets toujours plus élevés (170 milliards de dollars), dépassant ainsi celle de Disney, le studio le plus rentable. Autre victoire : pour la première fois, la plateforme a raflé plus de nominations pour ses séries aux prochains Emmy Awards que HBO qui occupait cette place incontestée depuis 18 ans. Un nouveau monde chasse l’ancien.
La domination mondiale ou rien
Du coup, on voit fleurir partout des fronts de résistance, soudés par la panique de l’ubérisation comme, par exemple, la création d’un ” Netflix à la française ” regroupant les offres VOD des chaînes TF1, France Télévisions et M6. Cela fait sourire bon nombre d’observateurs qui y voient des barouds d’honneur face à une invasion inéluctable.
Reste que cette peur n’est pas irrationnelle : le modèle de Netflix est clairement une menace. Car, malgré les déclarations pacifiques du CEO Reed Hastings, son modèle repose comme tous les disrupteurs sur un remplacement des autres acteurs. Pas seulement du fait de sa volonté de puissance personnelle , mais parce qu’il en va de sa propre survie économique. Netflix ne peut se permettre d’être simplement leader, une préférence parmi d’autres: il doit devenir incontournable. Son modèle économique de ” course à l’armement ” ne tient que s’il devient LE passage obligé. Etre le winner takes all ou disparaître .
C’est seulement en atteignant une taille critique quasi monopolistique comme celle de ses congénères des Gafa qu’il pourra jouer sur les deux leviers essentiels à sa croissance : augmenter le prix de ses abonnements mais aussi réduire le coût de ses programmes grâce à sa position dominante. C’est seulement à cette double condition que son modèle économique pourra se pérenniser.
Car pour l’heure, Netflix se trouve toujours en mode attaque, à la prise de parts de marché, en phase de dumping : souscriptions à prix cassés pour attirer les abonnements et prix d’acquisition élevés pour débaucher les talents. Un effort de guerre très coûteux, financé opportunément par les actionnaires (et accessoirement par les banques et un argent pas cher). Comme pour Uber, les investisseurs veulent croire à son plan de domination et misent sur un scénario de disruption et une rentabilité promise à l’horizon 2022. D’où cette valorisation disproportionnée par rapport à sa valeur actuelle. Là aussi, un refrain connu dans la nouvelle économie. Il semble d’ailleurs que personne, aujourd’hui, ne puisse résister à Netflix. Pas même le couple Obama qui vient de signer un accord-cadre de production avec lui. Vers l’infini et au-delà…
Premiers signes de fébrilité ?
Pourtant, en juillet dernier, lors de la présentation des résultats du deuxième trimestre, un premier signe de fébrilité s’est manifesté. Rien de catastrophique: au lieu d’un gain prévu de six millions d’abonnés, ils ne furent que cinq millions. La Bourse sanctionna immédiatement ce résultat par un plongeon de 14 % de l’action. On peut trouver cela trop sévère : un différentiel d’un million alors qu’on a passé le cap de 130 millions d’abonnés dans le monde, c’est en effet une bagatelle. Reste que cela témoigne de la fragilité de la confiance accordée par la Bourse. Ce chiffre pourrait en effet peut-être traduire le début d’un essoufflement du côté du marché américain. Car en raison de la multi-utilisation par foyer (un même abonnement peut servir à quatre personnes), avec ces 60 millions d’abonnements américains, on pourrait friser le stade de saturation du marché.
Et puis, règle d’airain dans la nouvelle économie : ce qui intéresse les investisseurs, c’est la dynamique de la courbe plus que la courbe elle-même. Netflix est donc condamné à la surperformance au risque de se voir sanctionner durement pour tout fléchissement futur.
L’arroseur arrosé ?
D’autres analystes – notamment Steven Zeitchik du Washington Post – font valoir le fait qu’aujourd’hui le grand disrupteur qu’est Netflix pourrait être disrupté à son tour. En effet, depuis le lancement de son offensive, le contexte s’est transformé. Ne serait-ce que par le fait que Netflix lui-même a ouvert une nouvelle voie. Et de nouveaux appétits.
De fait, des concurrents de la Silicon Valley aux poches très profondes s’engouffrent dans ce modèle. Amazon représente une menace, d’autant qu’il détient une trésorerie quasi illimitée, notamment grâce à Netflix (c’est en effet AWS, la filiale big data d’Amazon, qui gère son cloud). Apple aussi veut entrer activement dans la course aux contenus. L’arrivée de Facebook dans ce secteur est également évoquée. Et les acteurs du câble se réinventent également sous la pression. HBO, par exemple, envisage clairement une stratégie anti-Netflix faite de contenus comme ils savent en concocter mais avec une politique d’engagement numérique plus forte. Et puis, last but not least, Disney prévoit de lancer en 2019 sa propre offre de SVoD, notamment grâce à l’achat de Hulu – une plateforme présente dans le package Fox et disponible uniquement aux Etats-Unis pour l’instant – que certains appellent déjà ” Disneyflix “. Cette plateforme bénéficierait déjà de tous les contenus de la galaxie Disney-Marvel-Star Wars-Fox. Des programmes qui ne seront dès lors plus disponibles sur Netflix, créant un sacré trou dans le catalogue.
C’est qu’à force de s’attaquer à tous ses concurents, Netflix est condamné à vivre en quasi-autarcie, dans l’obligation d’assurer son propre fonds de catalogue de A à Z via des investissements toujours plus importants. Avec un talon d’Achille : il est le seul acteur à n’espérer tirer des revenus que de sa seule activité, là où les autres (Amazon, Apple, Facebook, etc.) ont des sources de revenus indépendantes.
Et si le pire concurrent de Netflix était lui-même ? Scénario très connu également que celui du pire ennemi qui sommeille en soi. Car les pires effets à long terme pourraient découler de la stratégie inflationniste qu’elle a engagée. Selon certains analystes, sa course à l’armement n’est pas près de s’arrêter. Un analyste chez Goldman Sachs prédit même que Netflix pourrait dépenser 22 milliards en 2022.
Cette surproduction, qui vise à étouffer la concurrence, peut aussi générer des effets pervers. L’ entertainment, et particulièrement la série, est une industrie qui relève avant tout du désir. Or, en cette période de surproduction, l’overdose guette. En lançant continûment de nouvelles saisons, Netflix scie la branche sur laquelle il est assis. Il ne laisse plus à ses productions le temps de s’installer comme objet de désir. Ce que les acteurs du câble ont su faire avec des séries comme Mad Men ou Game of Thrones par exemple.
Et de fait, un piège paradoxal risque de se refermer sur Netflix : à force de jouer sur la nouveauté permanente, il accélère l’obsolescence de ses programmes. En produisant toujours plus de nouveautés, Netflix réinstaure paradoxalement la linéarité de consommation – celle de la télé classique – qu’elle entendait justement détruire et remplacer. Un piège redoutable. Et le thème d’un des plus vieux films du monde, réalisé par les frères Lumière en 1895 : l ‘Arroseur arrosé.
Netflix fonde de grands espoirs d’expansion sur la conquête de nouveaux territoires comme la Chine ou l’Inde, gigantesques réservoirs d’abonnés. Mais s’attaquer à ces territoires relève du casse-tête géopolitique.
En Chine, les majors américaines s’y sont maintes fois cassé les dents. Et rien n’est acquis. Malgré l’armada promotionnelle de Disney, la franchise Star Wars ne décolle pas. Enjeu géopolitique de softpower, pour l’heure, la Chine a décidé d’investir massivement dans les salles de cinéma. Et compte aujourd’hui plus de salles que les Etats-Unis (45.000 contre 43.000). Ce qui ne va pas précisément dans le sens que souhaite Netflix…
L’Inde s’est dotée d’un écosystème qui fonctionne en quasi-autarcie. Mumbaï produit plus de films qu’Hollywood. Dans une contrée qui compte près de 1,3 milliard d’habitants répartis sur 28 Etats et sept territoires avec 22 langues officielles, 1.652 dialectes et huit courants religieux, l’amour pour leur cinéma réussit miraculeusement à transcender tous les clivages. Cela fait de la péninsule indienne un espace à part, peu perméable aux productions étrangères. Mais rien n’est impossible pour Netflix, qui a lancé en juillet dernier Sacred Games (Le Seigneur de Bombay), une série 100 % indienne de huit épisodes tournée en hindi avec sous-titres anglais. Sept autres séries seraient en projet dans ce pays.
Autre écueil : dans certaines contrées à conquérir, la neutralité du Net n’est pas garantie : Netflix dès lors n’est pas à l’abri d’une situation où l’on privilégierait son concurrent local. Ce qui reviendrait de façon détournée à lui barrer l’accès au pays sans le faire ouvertement. Quel intérêt dès lors d’investir massivement dans des contenus que l’on n’est pas certain de pouvoir diffuser convenablement ?
La salle de cinéma fait de la résistance
Dans son avancée, Netflix est aussi confronté à la résilience d’un de ses concurrents : la salle de cinéma. Une lutte qui a été à la base du clash très médiatisé de Netflix contre le Festival de Cannes en mai dernier. Si les exploitants de salles de cinéma sont toujours en plein doute existentiel, frappés de stupeur par l’effet Netflix, la vente de tickets sur le territoire américain a enregistré une embellie inattendue et un mois de juin record. Si cela ne signe pas une tendance, cela détruit en tout cas l’idée de la mort inéluctable de la salle de ciné. Cette explosion des chiffres en salles, même si elle est momentanée – et drainée quasi exclusivement par une poignée de blockbusters – , prouve au moins une chose : l’expérience de la salle demeure attractive malgré la pléthore de l’offre numérique. Reste à trouver le moyen de faire vivre ces ” films du milieu ” car entre le film d’horreur fauché et le blockbuster au budget pharaonique, l’espace se rétrécit. Miser sur la mort de la salle est un pari industriel risqué. D’autant que cela fait presque 100 ans que l’on prédit sa disparition prochaine et que le cinéma s’est toujours réinventé.
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