La saga Murdoch, qui a inspiré la série “Succession”, vient de connaître son épilogue. Après des années de querelles intestines et de procès avortés, Rupert Murdoch, 94 ans, a verrouillé sa succession.
Son fils aîné, Lachlan, prend définitivement les commandes de Fox Corporation et de News Corp, les deux piliers d’un empire qui a pesé sur la politique anglo-saxonne pendant un demi-siècle. Le dénouement s’est fait à coups de milliards.
Prudence, Elisabeth et James, les trois enfants dissidents, sortent du trust familial en échange d’un chèque de 3,3 milliards de dollars. Ils perdent tout pouvoir de décision, mais partent avec la certitude d’avoir vendu cher leur silence. Lachlan, 54 ans, demeure seul maître à bord, épaulé seulement par ses deux jeunes demi-sœurs, Grace et Chloe, qui resteront actionnaires sans influence.
Une dynastie fracturée par la politique
Le trust mis en place dans les années 1990 garantissait une gouvernance collégiale après la mort du patriarche. Mais Rupert Murdoch, hanté par l’idée que son œuvre se dilue dans des mains jugées trop « centristes », a patiemment réécrit les règles pour imposer Lachlan, son fils idéologique.
James, lui, incarnait l’alternative : partisan d’un journalisme plus indépendant, ouvertement critique de Donald Trump, il avait quitté News Corp en 2020 après avoir dénoncé les prises de position climatosceptiques de Fox News. Elisabeth, plus discrète, s’était rapprochée des cercles progressistes londoniens. Tous deux rêvaient d’un empire libéré de l’agenda conservateur de leur père.
Murdoch n’a jamais pris ce risque. Pour lui, Fox News reste le joyau de la couronne, la voix de l’Amérique républicaine, et il a jugé impensable qu’elle bascule à gauche à sa disparition.
Un empire florissant mais contesté
D’un point de vue financier, le pari Murdoch reste gagnant. Fox Corporation a généré plus de 16 milliards de dollars de revenus et 2,3 milliards de bénéfices nets sur son dernier exercice. News Corp, qui contrôle le Wall Street Journal, le Times ou The Australian, affiche 8,5 milliards de chiffre d’affaires et plus d’un milliard de profits.
Mais derrière les chiffres, les scandales s’accumulent. La chaîne reste accusée de nourrir la désinformation, d’avoir amplifié les thèses conspirationnistes et de contribuer à la polarisation politique américaine.
Cette ligne éditoriale clivante n’a rien d’un accident : elle est le ciment idéologique que Rupert et Lachlan ont voulu graver dans l’ADN du groupe. À court terme, la proximité avec Donald Trump reste un atout. Fox News s’est imposée comme la première chaîne d’information des États-Unis, captant plus de 60 % de l’audience du câble. Mais cette dépendance à une figure politique aussi polarisante pourrait s’avérer fragile à long terme. Car cette ligne éditoriale ultraconservatrice qui attire certes les audiences, mais expose juridiquement et financièrement le groupe. Fox a ainsi dû verser 787 millions de dollars lors du procès Dominion pour mettre fin à une plainte explosive sur sa couverture des élections de 2020.
Au-delà des enjeux économiques, la décision de choisir Lachlan consacre un choix politique. James Murdoch, favorable à des positions plus centristes, a été écarté au profit de Lachlan, aligné sur l’héritage conservateur paternel. Ce verrouillage rassure une partie des actionnaires, mais il enferme aussi le groupe dans un créneau idéologique clivant, au risque de limiter ses marges de manœuvre stratégiques.
Lachlan face à l’épreuve du temps
La succession désormais verrouillée, une question domine : Lachlan saura-t-il prolonger l’influence de son père dans un paysage médiatique bouleversé ? La télévision linéaire décline, la publicité migre vers les plateformes numériques, et la presse papier résiste de plus en plus difficilement.
Rupert Murdoch s’est toujours vu en bâtisseur, un stratège capable de se réinventer. Or Lachlan Murdoch hérite d’un empire rentable mais confronté à des mutations profondes. Son père avait déjà amorcé un repli stratégique en cédant 21st Century Fox à Disney en 2018, recentrant l’empire sur le hard news et le sport. L’avenir repose désormais sur deux axes : transformer Fox en acteur crédible du streaming, et réussir à faire émerger des relais de croissance hors du marché américain.
Un secteur dominés par les plateformes numériques
Dans un secteur où Netflix, Amazon et Apple dictent les règles et où les conglomérats historiques comme Disney et Comcast se livrent une bataille mondiale pour les contenus, la Murdoch Corporation apparaît à la fois solide et vulnérable. Solide par sa rentabilité immédiate, vulnérable par son manque de diversification internationale et technologique.
Pour Lachlan, l’enjeu dépasse donc la seule succession familiale : il s’agit de prouver qu’un empire médiatique façonné à l’ère des chaînes câblées peut survivre dans un monde dominé par les plateformes numériques. Lachlan devra aussi montrer qu’il n’est pas seulement l’héritier docile du conservatisme paternel, mais l’homme capable de faire muter un empire dont l’influence reste immense et la légitimité contestée.
Trois défis immédiats pour Lachlan
L’arrivée de Lachlan comme seul maître à bord clarifie la gouvernance, mais ouvre une série de chantiers stratégiques :
Préserver l’influence de Fox News : La chaîne est le principal levier de profits et d’influence politique. Mais face à un public vieillissant et à la fragmentation des audiences, son modèle pourrait s’essouffler. Le développement de Fox Nation (streaming) et des droits sportifs sera crucial pour capter de nouvelles générations.
Stabiliser News Corp : Le Wall Street Journal reste une locomotive rentable avec 4,5 millions d’abonnés, mais l’avenir des tabloïds britanniques et australiens interroge. La diversification numérique – HarperCollins, Realtor.com – doit prendre le relais.
Garder l’avantage face aux géants du secteur : Disney (ESPN, Hulu), Comcast (NBCUniversal, Sky), Paramount (CBS, Paramount+) ou Warner Bros Discovery investissent massivement dans le streaming et l’IP globalisée. Murdoch reste fort aux États-Unis et dans les pays anglo-saxons, mais son empreinte internationale est limitée, notamment en Asie et en Amérique latine.