Mon ministre des Finances idéal
A la suite de la grosse fatigue des experts-comptables cet automne et alors que nous n’avons pas encore de gouvernement fédéral, nous avons demandé à Morgane Depriez, expert-comptable et membre du conseil de l’ITAA, quelles qualités devraient avoir le prochain grand Argentier.
Morgane Depriez est expert-comptable et conseiller fiscal. Elle est, depuis l’an dernier, membre du conseil de l’ITAA (l’Institut des conseillers fiscaux et des experts-comptables) et a créé, également l’an dernier, une asbl d’entraide pour experts-comptables qui s’appelle « Les pros du chiffre se rebiffent ». Depuis des mois, la profession du chiffre fait connaître sa frustration et son mécontentement, qui se cristallise sur la complexité croissante des réglementations et des lois, sur le côté inhumain des relations des experts comptables et fiscaux avec l’administration fiscale et sur les problèmes informatiques à répétition qui minent la vie de ces professionnels. Certains professionnels sont critiques à l’égard du dernier ministre, Vincent Van Peteghem. Morgane Depriez ne veut pas rentrer dans des considérations personnelles. Mais elle a brossé pour nous le portrait du ministre des Finances idéal, ou presque.
TRENDS TENDANCES. Quelles devraient donc être les qualités du prochain grand Argentier ?
MORGANE DEPRIEZ. Peu m’importe qui est le ministre des Finances, qu’il soit wallon, flamand, tant qu’il y a vraiment, quand il y a des changements majeurs dans la législation fiscale, une écoute et une consultation structurelle préalable de notre profession. Notre expertise pratique, notre expérience du terrain éviteraient selon moi beaucoup d’ajustements onéreux et inefficaces par la suite. Il y a certes de plus en plus une communication avec l’ITAA sur des petits projets de loi fiscale. Mais il faut écouter le terrain quand on change des choses. Par exemple, une loi a été votée, obligeant les assujettis mixtes à la TVA belge (c’est-à-dire des personnes qui exercent à la fois des activités soumises à la TVA et des activités exonérées, ndlr) à communiquer certaines informations à l’administration fiscale, pour faciliter leur travail de contrôle. Si nous avions été consultés au préalable, nous aurions demandé au ministre quelle est la plus-value de cette décision. Sur le terrain, elle ne fait qu’alourdir la tâche déjà très importante qui pèse sur les épaules des membres. Et cela nourrit le sentiment qu’il y a très clairement un transfert du travail de l’administration sur les épaules des experts comptables et des contribuables. Il faudrait que, avant chaque réforme, la profession soit consultée pour que nous puissions expliquer là où, d’un point de vue pratique, il pourrait y avoir un risque de blocage.
A côté de cette nécessité de communiquer avec les gens du terrain, quelle autre qualité demandez-vous au prochain grand argentier ?
Il faudrait qu’il pose les bases d’une administration simplifiée. Le monde est complexe et je peux comprendre que les mesures soient complexes. Mais elles manquent parfois de bon sens. Dans nos interactions avec l’administration fiscale, nous recevons des numéros de téléphone directs dans certains cas, mais cela ne va pas assez vite ni assez loin. Il faut vraiment que nous retrouvions ce contact et cette collaboration avec l’administration fiscale, parce que nous ne sommes pas des ennemis. Nous collaborons tous en faveur de l’intérêt général.
Un autre point important est que le prochain ministre des Finances continue à améliorer ses outils numériques. Avec la directive européenne ViDA, (qui vise à améliorer la récolte de la TVA, ndlr), le numérique va prendre le pas. Au 1ᵉʳ janvier 2006, nous passerons à la facture électronique. Quand je vois la catastrophe qu’il y a eu cette année-ci encore sur les outils numériques du SPF Finances, j’ai vraiment peur de ce qui pourrait se passer en 2026.
Vous croyez que les sites internet des Finances pourront s’améliorer d’ici à, alors que les problèmes existent depuis plus de dix ans ?
J’y crois parce que la numérisation est la clé pour que nous, experts comptables, puissions retrouver notre travail de base, qui est le conseil. Il y a des améliorations qui sont apportées chaque année, mais le problème est que lorsqu’il y a un couac, puisque nous sommes nombreux à utiliser ces plateformes, les conséquences sont désastreuses. La semaine passée, nous avions le congrès annuel de l’Institut ; j’ai parlé à des membres qui m’ont clairement dit : j’aime mon métier, mais dans des conditions pareilles, je ne me vois pas continuer.
Il faut donc que ces bugs cessent un jour ou l’autre. Si, en 2026, avec la facturation électronique, nous nous retrouvons avec les mêmes problèmes, ce sera intenable.
Et puis je me suis dit il faut vraiment que le nouveau ministre des Finances veille à avoir une relation vraiment plus équilibrée entre les droits et les pouvoirs de l’administration fiscale et des contribuables.
Ce n’est pas le cas actuellement ?
Nous avons vraiment l’impression, ces dernières années, que l’administration fiscale a de plus en plus de pouvoir et le contribuable a de moins en moins de possibilités de se défendre. C’est une tendance générale, européenne et nationale. Il faut travailler à ce rééquilibrage des pouvoirs. Il faut arrêter de penser que les PME belges sont des brigands parce qu’ils sont indépendants. Cette vision me dépasse complètement. Il y a des fonctionnaires qui sont extrêmement efficaces, qui connaissent leurs dossiers, qui connaissent l’activité de la société qu’ils contrôlent. Ce sont des perles rares.
J’ai parlé avec un confrère hier encore, qui me disait qu’il avait fait face à un fonctionnaire qui effectuait un contrôle à distance – c’est désormais possible – et qui ne connaissait pas l’activité de l’entreprise. Comment peut-on contrôler une société dont on ne comprend pas le fonctionnement? La connaissance du terrain par les fonctionnaires est un point important.
Si déjà nous avions ces quatre points-là, nous retrouverions une certaine sérénité, au niveau de la profession et de manière générale.
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