Mobilité: un Brompton sinon rien?
Le légendaire vélo pliant “british”, réputé pour sa robustesse et la qualité de ses finitions, a la cote. Il s’en vend désormais 50.000 par an dans le monde dont 3.000 en Belgique. Un tiers concerne des modèles électriques. Intégralement fabriqués dans la banlieue de Londres, ils incarnent le savoir-faire britannique. Compter entre 1.700 et 3.200 euros pour enfourcher le mythe…
“C’est un design qui ne plaît pas à tout le monde”, avance avec une pointe de fierté Victor qui ne se déplace plus jamais dans Bruxelles sans son Brompton. “Il est à la fois court sur pattes et élancé. On est entre le teckel et le lévrier!”, lance amusé cet architecte tout juste sexagénaire. Il s’est rallié au vélo pliant anglais juste avant le premier confinement. Une envie de s’oxygéner, un besoin de nouveauté, un coup de coeur pour un produit atypique. C’est vrai qu’il n’est pas comme les autres ce bicycle rétractable avec son cadre tordu en forme d’accent circonflexe, ses roues microscopiques, son guidon type”Buffalo” digne du chopper d’ Easy Rider et sa selle juchée au sommet d’un cou interminable. Elégant? A voir. Singulier? Assurément.
C’est plus qu’un vélo, c’est un art de vivre
Peut-on lire sur le premier forum francophone des amateurs du pliant british.
Céder à la tentation pour acquérir ce que certains considèrent comme la Rolls de sa catégorie nécessite un minium de trésorerie: le ticket d’entrée du fameux pliant britannique tourne autour de 1.700 euros et monte jusqu’à 3.300 euros pour la version électrique. C’est beaucoup comparé aux prix de vente des marques concurrentes premium (Dahon, Tern), 25% à 50% moins chères, sans parler de la grande distribution qui commercialise des produits en dessous de 200 euros.
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Mais pour les “Bromptoniens“, autant comparer la Victoire de Samothrace du Louvre avec un vulgaire plâtre acheté à la brocante du dimanche. “C’est plus qu’un vélo, c’est un art de vivre“, lit-on sur le premier forum francophone des amateurs du pliant british qui rassemble depuis 2005 des milliers de témoignages. Les contributeurs ne tarissent pas d’éloges. Le compte Facebook “Brompton Society” totalise de son côté près de 14.000 abonnés. Les membres postent des photos de leur deux-roues favori, déployé ou en position foetale, ici dans le désert du Nevada, là-bas sous les gratte-ciels de Singapour. Un album de famille planétaire tout en émotions et en sentiments d’appartenance.
“Brand loving”
Le brand loving n’est pas la seule raison de l’engouement, martèlent les professionnels. “Les vélos Brompton sont onéreux mais leur compacité et leur durabilité n’ont pas d’équivalent”, plaide le gérant de Velofixer qui distribue les produits du constructeur londonien, dont le H6, le best-seller du constructeur doté de six vitesses. Et tant pis si le joyau made in UK s’est retrouvé l’an dernier en troisième position lors d’un banc d’essai du New York Times consacré aux meilleurs folding bikes.
L’encombrement minimal du Brompton en mode replié (57 cm x 28 cm) le place loin devant la ligne d’arrivée. Ce n’est pas le seul atout majeur font valoir les fans. “L’une des grandes spécificités de Brompton, c’est qu’on peut personnaliser les modèles de A à Z, vante Patrice Kempart qui dirige le magasin Galeries du cycle à Liège. Ils disposent d’un choix très large de coloris et la variété de modèles de sièges, de pneus ou de tiges de selle permettent une multitude de combinaisons. C’est quasiment du sur-mesure.” Une stratégie d’excellence qui participe, selon le détaillant wallon, au succès de la marque.
Brompton vend 50.000 pliables par an, dont 73% en dehors du Royaume-Uni. La Belgique représente 15% du volume européen pour un total d’environ 3.000 unités dont un tiers sont des modèles électriques. Une belle performance compte tenu des prétendants qui se pressent sur le terrain désormais très convoité de la petite reine pliable. Un marché estimé à 430 millions d’euros qui se concentre pour 34% en Europe. Les versions électriques devraient connaître une progression de 10% d’ici 2025. Mais Brompton, qui a vu le jour en 1975, n’est plus seul en piste, y compris sur le segment haut de gamme. Le taiwanais Tern est devenu une référence mondiale et, parmi les nouvelles têtes, il y a le belge Ahooga, qui s’est mis en tête de conquérir l’international.
Will Butler-Adams a voulu faire de Brompton un modèle du savoir-faire britannique, mélange d’invention, de rigueur et de solidité, à la manière de James Dyson qui s’est imposé seul contre tous.
Andrew Ritchie n’a pourtant pas de souci majeur à se faire, mis à part la gestion de la crise économique et sanitaire et, comme tous les sujets britanniques, les aléas de l’après-Brexit… Le génial inventeur du Brompton, qui détient aujourd’hui 50% des parts de la société, sait que les affaires tournent bien, et pour tout dire mieux que jamais. Les bénéfices avant impôts ont augmenté de 25% à 4,6 millions d’euros sur une vente totale de 49,5 millions d’euros au cours de l’exercice 2018/2019. Juste retour des choses pour le septuagénaire à qui l’on doit l’existence du vélo pliant contemporain.
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Décennie mouvementée
L’histoire débute il y a 45 ans dans un studio de South Kensington avec vue sur le dôme du Brompton Oratory. Le jeune ingénieur, diplômé du Trinity College, se met un jour en tête d’améliorer un vélo pliant déjà présent sur le marché, le Bickerton. Le procédé est astucieux mais très imparfait et horriblement salissant. Andrew Ritchie est persuadé de pouvoir faire mieux.
Il désosse son modèle, le remanie de fond en comble, multiplie les plans puis les prototypes… et les désillusions. Car l’histoire de Brompton n’est pas une long fleuve tranquille mais plutôt un parcours mouvementé qui ressemble aux chaotiques chemins pavés du Liège-Bastogne-Liège. Le designer entrepreneur devra attendre plus de 10 ans avant de mettre la main sur un partenaire financier prêt à investir dans une ligne de production digne de ce nom. Les ventes commencent à prendre, la cadence augmente mais les années 1990, qui se voulaient la décennie de la grande expansion, sont un fiasco.
Le partenariat avec une société taiwanaise chargée de fabriquer des Brompton sous licence se révèle catastrophique. La qualité est sacrifiée sur l’autel du rendement. Pis, des dessins techniques disparaissent des ateliers pour être revendus sous le manteau à la concurrence. Des clones de Brompton ne tardent pas à faire leur apparition sur le marché asiatique. La série noire ne s’arrête pas là: c’est au tour du fournisseur de moyeux, un partenaire de première importance, de mettre la clé sous la porte. Un dépôt de bilan qui fragilise encore un peu plus les comptes de la société.
Mais Andrew Ritchie qui, de son propre aveu, est un piètre homme d’affaires, a l’idée salvatrice d’engager en 2002 un jeune chef de projet qui va se révéler providentiel. Will Butler-Adams a 27 ans et les idées bien claires. Cet ingénieur passé par le géant de l’industrie chimique DuPont ne cache pas sa volonté de transformer radicalement les habitudes de la maison, qui semble ignorer le b.a-ba du management jusqu’au sens même du mot “compte de gestion”…
Savoir-faire britannique
Andrew Ritchie soutient sa jeune recrue et le propulse à la direction de l’ingénierie. En 2005, le d’Artagnan du pignon rentre au conseil d’administration. Un plan de restructuration, qui vise à tripler la capacité de production, est voté. La manufacture qui produit 8.000 cycles par an et réalise un chiffre d’affaires de 2,85 millions d’euros va accélérer comme jamais sa cadence. Un nouvel investisseur injecte 3,46 millions d’euros pour moderniser l’infrastructure et compléter les équipe.
En 2008, Butler-Adams est nommé CEO. Son idée maîtresse? Faire de Brompton un modèle du savoir-faire britannique, mélange d’invention, de rigueur et de solidité, à la manière de James Dyson qui s’est imposé seul contre tous. Le businessman s’interdit de brader la marque en répétant les erreurs du passé. Plus question de monter des usines à l’autre bout du monde ou de l’Europe pour abaisser les coûts de main-d’oeuvre. Tout est fabriqué dans la banlieue de Londres. Les soudeurs qui reçoivent une formation interne de 18 mois sont passés maîtres dans l’art du brasage. A la fin du boulot, ils ont le droit d’apposer leurs initiales au revers des cadres.
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“Contrairement à ce que l’on peut penser, le produit est très sophistiqué, souligne le boss. Un vélo, ce n’est pas juste un logo et des couleurs funky. C’est un objet réfléchi, pensé et qui a évolué au fil du temps. Nous avons apporté sans cesse des modifications même si le design n’a pas été modifié en profondeur car l’objet a été pensé avec beaucoup de justesse dès le départ. Notre objectif est de concevoir un outil qui fonctionne le mieux possible“. Un esprit de sérieux qui se paie au prix fort pour l’acheteur. Plus que jamais avec la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Brompton ne fait en effet pas exception à la règle. Une hausse de 15% est d’ores et déjà applicable sur ses produits chez les revendeurs belges…
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