Michel Mersch, CEO du groupe suisse pour le Benelux, insiste sur la nécessité d’une vision à long terme pour l’industrie agroalimentaire, pas assez reconnue au vu de son importance tant financière que sanitaire. Le contexte géopolitique incertain doit être géré, mais c’est surtout le changement climatique qui inquiète l’entreprise.
Michel Mersch, CEO de Nestlé pour le Benelux, dévoile pour Trends-Tendances les résultats d’une enquête sur l’impact économique du géant suisse chez nous : les chiffres sont éclairants. Mais il prolonge cela par une réflexion nourrie sur la nécessité d’une vision à long terme, trop souvent absente du côté des pouvoirs publics. Un entretien sans tabous, où il reconnaît la nécessité pour les multinationales de son secteur de se réinventer et de redorer leur image.
TRENDS-TENDANCES. Nestlé fête, cette année, 100 ans de présence en Belgique. Un bail qui compte ?
MICHEL MERSCH. Absolument. Nous l’avons fêté officiellement en mai, date de l’inscription au Moniteur belge, mais nous voulons mettre surtout l’accent sur 100 ans de belles histoires avec nos partenaires et nos consommateurs. C’est une longue histoire, mais tout l’enjeu consiste désormais à la prolonger pour 100 années supplémentaires.
Que représente, en 2025, Nestlé en Belgique et au Luxembourg ?
Pour répondre à cette question, je mettrais surtout en avant notre impact, tel que la société Pwc vient de l’analyser dans un rapport. Nous créons de la valeur à hauteur de 600 millions d’euros. Notre contribution à la société, les “subsides” donnés aux autorités via les taxes notamment, se situe à 350 millions. Plus important encore, nous générons 4.200 emplois. Ce que le rapport ne prend pas en compte, c’est la valeur ajoutée supplémentaire créée par le groupe Nestlé sur le territoire belge. Quelques exemples ? Le dépôt mondial du café en grains, la matière première pour Nespresso, se trouve à Anvers. Pour sa stratégie durable, le groupe achète des quantités substantielles à des fournisseurs belges. Ce n’est pas pris en considération.
C’est considérable. Mais est-ce suffisamment reconnu ?
Nous avons une certaine humilité chez Nestlé, on ne cherche pas forcément de la reconnaissance. Mais de façon générale, les pouvoirs politiques ne reconnaissent pas assez le rôle du secteur de l’alimentation dans notre économie. La responsabilité se trouve en partie chez nous : on ne le fait pas assez savoir. Ce rapport de Pwc peut y contribuer. Il faut en outre savoir que Nestlé a une part de marché relativement modeste en Belgique, de l’ordre de 3,5%. C’est dire l’importance du secteur.
Les pouvoirs politiques ne reconnaissent pas assez le rôle du secteur de l’alimentation dans notre économie.
Droits de douane, déglobalisation, changement climatique… : le contexte géopolitique est tourmenté, est-ce une période difficile pour vous ?
La période mouvementée est une réalité pour tout le monde. Des décideurs politiques dans certains pays ne facilitent pas la tâche et ajoutent de la volatilité à un contexte déjà difficile. Cela crée des tensions supplémentaires. Mais on va trouver les moyens de gérer ces événements. En revanche, on contrôle moins les effets du changement climatique.
Pour le café, le cacao ou d’autres produits, les conséquences sont désastreuses et font exploser les coûts.
Absolument, et cela pose aussi des questions sur l’accessibilité au plus grand nombre. Les enjeux sont absolument critiques ! C’est pour cela que nous restons focalisés sur le rôle que nous avons à jouer dans la transformation environnementale parce qu’à terme, elle peut apporter davantage de résilience dans les cultures. Nous investissons énormément dans l’agriculture régénératrice ou régénérative, selon le terme que l’on choisit. C’est précisément parce que l’on sait combien c’est vital pour demain. Cela va nous permettre d’éliminer les volatilités. Nous sommes désolés de voir que cela devient moins prioritaire dans les décisions politiques au niveau européen.
Cela freine-t-il la réinvention de votre secteur ?
Nous avons une mission à accomplir et nous sommes inquiets du fait que les autorités ne reconnaissent pas notre rôle. Ces efforts porteront évidemment leurs effets à moyen ou long terme, alors que nous sommes confrontés à des urgences à court terme. Cela ne facilite pas la capacité de projection de nos responsables politiques. Mais si je ne conteste pas la nécessité d’investir à court terme, il ne faut pas oublier pour autant les incitants pour le long terme. L’alimentation joue un rôle fondamental pour la santé de la population, mais aussi pour fédérer les gens grâce à la convivialité et au plaisir.
Or, certains produits pourraient devenir du luxe.
C’est pour cela que ces efforts à fournir pour la transformation seront déterminants. Une agriculture plus résiliente réduira la volatilité des récoltes et limitera l’impact sur les coûts.
L’inflation serait derrière nous, après le pic des dernières années : ce combat ne serait pourtant pas encore gagné ?
De façon générale, je n’ai pas de boule de cristal et il y a beaucoup d’éléments qui interviennent dans ces évolutions. Mais sur la partie alimentaire, je peux vous garantir qu’il y aura beaucoup de fluctuations parce que nous sommes dépendants de récoltes qui sont impactées par ces changements climatiques. La culture du café est à nouveau un gros point d’interrogation en raison des canicules dans les lieux de production. Mais ce n’est pas tout : regardez les inondations ou les incendies de cet été, cela a un impact considérable sur le rendement. Malheureusement, c’est parti pour durer si on ne donne pas les moyens d’accélérer la transition : voilà notre message !
Votre offre doit-elle évoluer en permanence ? Quelles sont les grandes tendances ?
La majorité de nos consommateurs aimerait manger de façon plus saine, tout en préservant la convivialité, le goût et l’aspect pratique. Or, cela n’est pas nécessairement simple. Si les gens devaient suivre ce qui se dit dans la presse ou sur les réseaux sociaux, ils ne mangeraient plus rien. Nous voulons les aider à trouver le moyen d’y arriver avec de nouvelles catégories de produits, de nouveaux segments, de nouvelles marques… Nous nous sommes inscrits de façon positive dans l’évolution du Nutriscore, notamment. Nous voulons soutenir les consommateurs afin qu’ils mangent mieux, plus sainement et avec davantage de plaisir pour toute la famille. Quand je parle de la famille, et c’est fondamental pour nous, j’englobe les chiens et les chats. La société évolue et les animaux domestiques représentent une priorité. Pour résumer, Nestlé prend ses responsabilités sociétales. Nous pourrions encore parler du recyclage des emballages, de notre bureau zéro déchet…

Des groupes comme le vôtre doivent-ils se battre pour redorer leur image ?
Il y a une perception véhiculée de façon large pour nous critiquer : cela vise à faire peur et c’est vendeur. J’aurais tendance à vous dire que l’industrie agroalimentaire n’a jamais été aussi sûre qu’aujourd’hui. Elle n’a jamais fait autant d’efforts en termes de reformulation des produits. Nous voulons le démontrer avec des faits et des analyses indépendantes : le dernier rapport de Sciensano nous place en deuxième position des acteurs qui fournissent le plus d’efforts dans le combat contre l’obésité. Bien sûr, il y a encore du travail à faire, mais ne regardons pas que la face sombre. Il est souvent facile de taper sur les multinationales et nous ne sommes pas parfaits, c’est évident, mais nous sommes reconnus pour nos investissements au service de l’environnement.
Paradoxalement, les consommateurs cherchent la qualité, mais la pression sur les prix n’est-elle pas considérable ?
Moi, personnellement, je ne pousse pas mes équipes pour qu’elles obtiennent le prix le plus bas possible. Je les pousse à obtenir un prix juste. La nuance est importante. Un prix bas, c’est éphémère dans le temps, cela met beaucoup de personnes sous pression et cela finit par craquer. Cela risque tout simplement de faire disparaître certaines chaînes de valeur parce les investisseurs n’ont plus d’intérêt à y investir. C’est tout l’antagonisme, là encore, entre le court terme et une vision à moyen ou long terme. En tant qu’acteur, Nestlé ne peut pas se contenter de ne viser que le court terme. Rien n’est garanti, rien n’est sûr : nous devons nous réinventer nous-mêmes si nous voulons encore être là dans 100 ans. Le passé nous donne une assise pour construire le futur, pas davantage.
Un prix bas, c’est éphémère dans le temps, cela met beaucoup de personnes sous pression et cela finit par craquer.
Vous êtes CEO pour le Benelux, une belle mission ?
Je suis CEO pour la Belgique et pour le Luxembourg depuis sept ans, j’ai repris les Pays-Bas depuis avril de cette année. Ce sont des cultures assez différentes, avec des spécificités qui sont aussi complémentaires. Créer une diversité des équipes sur un tel périmètre, c’est enrichissant pour nos collaborateurs, mais aussi pour les consommateurs qui bénéficient de cette diversité.
Vous êtes un groupe suisse. N’est-ce pas compliqué avec Donald Trump qui vous en veut visiblement, davantage encore qu’aux autres ?
Bien sûr, Nestlé a des usines en Suisse qui importent et exportent aux États-Unis : les droits de douane à 39% ne représentent certainement pas une bonne nouvelle. Mais comme je vous l’ai dit, ce sont les aléas, et nous allons nous adapter. Notre groupe a de l’agilité et je ne pense pas que ce soit un problème majeur. L’agilité est fondamentale parce que le contexte, au-delà de ces droits de douane, nous impose une transformation fondamentale. Nous ne devons pas perdre notre ligne de conduite en dépit de ces moments plus compliqués. Il faut remettre l’alimentation au centre des préoccupations des consommateurs et des pouvoirs publics.
PROFIL
• 1987-1991 : Études à l’Ichec Brussels Management Schools
• 2001 – 2005 : Country Business Manager Nestlé & General Mills
• 2015 – 2018 : Directeur général Nestlé France
• Depuis 2018 : CEO Nestlé Benelux
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