Métaux rares pour les batteries: bientôt une OPEP 2.0 ?
Lithium, nickel, cobalt… sont devenus des matières premières ultras précieuses, puisqu’indispensables à l’approvisionnement énergétique du futur. Devant ce qui s’annonce comme un nouvel eldorado, des pays cherchent à former des cartels autour de certaines de ces matières dans l’espoir de former une sorte d’OPEP 2.0 et ainsi réguler l’offre et maitriser l’évolution des prix. Mais la Chine risque bien de gâcher la fête.
Avec la transition énergétique et la fin annoncée de véhicules à moteur à combustion en 2035, les matières indispensables à la production d’énergie renouvelable comme les batteries, les éoliennes et les panneaux solaires sont de plus en plus recherchées. Au point qu’on n’hésite plus à comparer lithium, nickel ou encore cobalt au pétrole et charbon du XXe siècle. De quoi susciter de nombreuses convoitises et activer la prospection de nouveaux gisements de ces minéraux rares, mais aussi modifier la carte géopolitique des grands pays producteurs de l’hémisphère sud qui souhaite protéger cette nouvelle poule aux oeufs d’or en formant une sorte d’Organisation des pays exportateurs de pétrole 2.0.
Ainsi, dans un entretien accordé au Financial Times, le ministre de l’Investissement indonésien Bahlil Lahadalia a évoqué l’idée de créer un mécanisme visant à réglementer la production et la tarification des minéraux rares, comme le nickel, le cobalt et le manganèse. Le choix du nickel n’a rien d’un hasard puisque l’Indonésie représente à elle seule près de 40% de la production mondiale. “Je vois le mérite de l’OPEP dans la gestion du commerce du pétrole. Elle garantit la prévisibilité de ce marché pour les investisseurs et les consommateurs”, a-t-il déclaré dans le magazine économique.
Loin d’être le seul à souhaiter garder la mainmise sur ce qui s’annonce comme une formidable manne financière, d’autres grands producteurs rêvent aussi tout haut, voire ont déjà entamé des démarches très concrètes. C’est par exemple le cas des trois pays qui forment ce qu’on appelle le triangle du lithium et qui fournit 56% du lithium mondial, soit l’Argentine (21 millions de tonnes identifiées de lithium), du Chili (19 millions de tonnes) et la Bolivie (9.8 millions de tonnes).
Les autorités de ces trois pays auraient déjà eu des discussions “approfondies” sur la formation d’un cartel autour de cette matière et souhaitent même convaincre l’Australie – premier producteur avec 55.000 tonnes en 2021 selon l’USGS, l’Institut géologique des Etats-Unis- , de les rejoindre. Mais cela n’aurait pour l’instant abouti à rien de concret. Créer une OPEP 2.0 autour de certains minéraux rares semble en effet plus facile à dire qu’à faire.
Rôle central de la Chine
Le premier gros problème est que, contrairement aux pays membres de l’OPEP qui contrôlent la production, les mines de minéraux rares sont souvent gérées par des compagnies privées qui produisent les matières en fonction de leurs propres intérêts. En Indonésie, par exemple, les mines de nickel sont dans la plupart des cas gérées par de grandes entreprises étrangères spécialisées dans les ressources naturelles. La plus importante mine indonésienne de nickel est gérée par Vale, une entreprise brésilienne et la seconde par l’entreprise chinoise Tsingshan. “La troisième et la cinquième au Suisse Solway. Seule la quatrième est exploitée par une entreprise publique indonésienne, PT Indonesia Asahan Aluminium (Inalum)” précise encore La Tribune.
Le second problème est la qualité des matières. Ainsi, ce n’est pas parce qu’on a beaucoup de minéraux rares qu’ils sont de qualité suffisante. Pour reprendre une fois plus le cas de l’Indonésie, si ce pays a beaucoup de nickel, il n’est pas de quantité suffisante pour les batteries électriques des voitures pour lequel il faut du nickel de classe 1. Or ce nickel “premium” se trouve principalement en Russie, au Canada et en Australie, de quoi déforcer quelque peu la position de ce géant asiatique.
Un troisième problème est que face à la demande qui s’annonce gigantesque, tout le monde veut sa part du gâteau. Il y a de très nombreux projets d’ouverture de mines un peu partout dans le monde (Autriche, Allemagne, France, Finlande, Tchéquie, Brésil, Canada, Congo, Etats-Unis,…). Si ces projets s’avèrent payants, un tel éclatement risque de sérieusement compliquer la donne.
Et puis, enfin, il a la question du traitement de ces matières. Elles doivent impérativement être raffinées si on veut les utiliser dans des batteries, par exemple. Or ce traitement est encore souvent réalisé ailleurs. Un pays riche en lithium, n’est ainsi pas forcément un gros producteur de lithium. Près de 60% du lithium doit d’abord passer par la Chine qui a développé un tissu industriel spécialisé dans sa transformation en produit fini. La Chine possède, par ailleurs, elle-même des réserves significatives et se situe même en troisième position en ce qui concerne la production avec 14.000 tonnes. De quoi lui donner un pouvoir considérable sur ce marché stratégique et en pleine expansion. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la demande en Lithium va exploser de 42% d’ici 2040. À titre d’exemple, rien que pour fournir un parc mondial d’un milliard de voitures électriques, il faudra 10 millions de tonnes de lithium.
L’omniprésence de la Chine dans la mobilité électrique
Cette position centrale de la Chine n’est pas anodine puisque le contrôle de la production de lithium et de sa transformation pourrait entraîner une forte dépendance de l’Europe en ce qui concerne la mobilité électrique. Aujourd’hui, la Chine produit 60% des batteries pour voitures électriques, un avantage non négligeable dans la transition énergétique qui s’annonce.
Sentant l’urgence, l’occident tente, vaille que vaille et avec retard, de trouver des parades. Cet été, une vaste alliance a été signée entre les États-Unis et des pays partenaires comme l’Australie, le Canada, la Finlande, la France, l’Allemagne, le Japon, la Corée du Sud, la Suède, le Royaume-Uni et la Commission européenne dans ce qui a été intitulé un ” Partenariat pour la sécurité des minéraux (Minerals Security Partnership ou MSP)”, une nouvelle initiative qui vise à renforcer les chaînes d’approvisionnement en minéraux critiques pour les énergies renouvelables.
Au Canada, on est même passé à l’étape suivante puisque, au nom de la sécurité nationale, les investissements d’entreprises publiques étrangères dans les “31 minéraux critiques” (qui comprend notamment le cobalt, le lithium et le manganèse) canadiens ne seront désormais approuvés qu'”à titre exceptionnel”. Dans la foulée, les autorités canadiennes ont ordonné à trois entreprises chinoises de céder leur participation dans des sociétés canadiennes du secteur des minéraux rares. Au cours des deux dernières décennies, la Chine avait pourtant investi des milliards de dollars au Canada afin de s’assurer un approvisionnement en métaux rares. Le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, a justifié cette décision par le fait que “le Canada continuera d’accueillir les investissements étrangers directs, mais agira de manière décisive dans le cas d’investissements constituant une menace pour notre sécurité nationale et nos chaînes d’approvisionnement en minéraux critiques, au niveau national comme à l’étranger”.
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