5 minutes pour comprendre

Médiane et moyenne: que se passe-t-il quand Bernard Arnault entre dans un bar?

Bernard Arnault © Belga
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Imaginons un bar à Bruxelles, dans lequel sont réunies neuf personnes. La première a 15 euros en poche ; la deuxième, 20 ; la troisième, 25… Nous ajoutons 5 euros jusqu’à la neuvième et dernière personne du groupe, qui est donc riche de 55 euros. Quelle est la somme moyenne détenue par les membres du groupe?

Pour le savoir, ce n’est pas compliqué : on additionne les 9 montants, on divise par 9. Cela donne 35 euros.

Maintenant, quel est le montant médian, c’est-à-dire la somme qui coupe le groupe en deux ? Une moitié du groupe possède dans son portefeuille plus que la médiane, l’autre moitié du groupe possède moins. Dans notre exemple, la médiane qui coupe le groupe en deux est également de 35 euros : quatre personnes ont plus en poche, quatre personnes ont moins.

Ici, la moyenne et la médiane sont identiques. Dans ce cas, on dit que la série statistique est symétrique. Mais dans la vraie vie, on a rarement affaire à une série symétrique.

Et voilà qu’arrive Bernard Arnault

Faisons entrer dans ce bar Bernard Arnault, le patron du géant du luxe LVMH. Il a sur lui 3.500 euros. Et à côté de lui, entre aussi un sans-abri, qui n’a que 5 euros. La médiane ne bouge pas. Il y a désormais 5 personnes qui ont dans leurs poches plus que 35 euros, et cinq personnes qui ont moins.

Mais la somme moyenne explose, grâce à Bernard Arnault. Elle dépasse désormais 347 euros. Personne n’est plus riche qu’avant pour autant.

J’entends déjà des gens au fond de la classe dire : c’est bien beau tout cela, mais à quoi cela sert ?

Eh bien, cela sert, par exemple, à ne pas prendre de mauvaises décisions.

Et voilà qu’arrive le fisc

Imaginons qu’un inspecteur des impôts rentre dans le bar et dise : «  les finances de l’Etat sont dans le rouge. Nous allons lever ici et maintenant une taxe exceptionnelle due par tous les citoyens européens. Elle est de 10% de ce que vous avez dans vos poches. Et pour calculer cet impôt, nous prendrons la moyenne de ce que vous possédez. ». Evidemment, presque tout le monde hurlera, car bien peu, Bernard Arnault mis à part, seront capables de débourser 34,7 euros d’impôts sans être à sec. Cinq personnes du groupe seront même incapables de payer la taxe entièrement. Si l’inspecteur avait pris la médiane, les hurlements auraient été moins stridents : l’impôt aurait été de 3,5 euros, et tout le monde aurait pu s’acquitter de son devoir fiscal.

Maintenant, imaginons que le ministre des Finances soit attaqué sur cet impôt injuste de 34,7 euros, et qu’il essaie de botter en touche. « Le pauvre fonctionnaire, justifie notre grand argentier, ne savait pas qu’il y avait Bernard Arnault dans le bar, d’autant plus qu’il y était entré incognito, la tête enfoncée dans un bonnet et les yeux masqués par des lunettes sombres. Et de toute façon, dans cette opération, il nous fallait respecter l’anonymat de chacun ».

Grand écart

Mais un statisticien lui rétorque : « ce fonctionnaire aurait pu savoir que quelque chose clochait, sans lever l’anonymat des personnes du groupe, s’il avait calculé l’écart-type ». L’écart-type, c’est en effet l’outil qui permet de mesurer la dispersion des valeurs d’un échantillon par rapport à la moyenne. Pour le dire autrement, il permet de voir s’il y a dans une série statistique des valeurs très éloignées les unes des autres, ou si elles sont relativement groupées. Plus l’écart-type est petit, plus la dispersion est faible.

Il y avait évidemment une nettement moins grande dispersion des montants dans le premier groupe (sans Bernard Arnault) que dans le second (avec Bernard Arnault). Ce que montrait l’écart-type, qui était de 12,9 dans le premier groupe, et d’environ 1000 dans le second. Si l’écart-type avait été de zéro, cela aurait signifié que tout le monde avait la même somme en poche (347 euros) et il n’y aurait pas eu de problème.

On vous épargnera ici la méthode de calcul de l’écart-type, mais elle est assez facile. Il suffit d’aller sur internet pour la trouver.

Victoire à la médiane

S’il y a donc une leçon à retenir de cette visite de Bernard Arnault dans un bar bruxellois, c’est que souvent, quand on veut analyser une série (salaires, prix des maisons, etc..) il vaut mieux regarder la médiane, et se méfier de la moyenne.

D’ailleurs, les instituts statistiques publient bien plus souvent les médianes. Par exemple, le dernier communiqué de Statbel concernant les prix immobiliers au troisième trimestre 2023 ne comporte pas de moyenne, mais uniquement des prix médians. Il nous permet de voir par exemple que le prix médian d’un appartement à Bruxelles est de 260.000 euros. Regarder l’évolution des prix médians donne une meilleure idée de la cherté du marché immobilier bruxellois que regarder celle des prix moyens, qui peut être toujours biaisée par l’une ou l’autre grande transaction.

Mais que tout cela ne vous empêche pas d’aller boire un verre avec Bernard Arnault si jamais vous le croisez un jour au bar Magritte de l’Amigo. Et si, bien sûr, il vous y invite.

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