Mardaga: Thibault Léonard, d’entrepreneur du web à éditeur papier

THIBAULT LÉONARD "Ma femme me dit souvent que j'ai acheté Mardaga par patriotisme." © PG/BARBARA GROSMANN
Christophe Charlot
Christophe Charlot Journaliste

Il dirige une maison d’édition qui sort entre 60 et 80 titres par an, mais Thibault Léonard s’était déjà fait connaître comme “disrupteur” en proposant des analyses littéraires en ligne et en fondant l’une des premières firmes belges spécialisées en e-books.

Le récit du parcours entrepreneurial de Thibault Léonard ressemble à la lecture d’un livre dont les chapitres se succèdent, plongent le lecteur dans de glorieux moments de réussite, proposent quelques drames et des retours en arrière. La comparaison n’est pas innocente car l’homme, âgé de 36 ans, dirige aujourd’hui une maison d’édition en pleine évolution: Mardaga, spécialisée en ouvrages de sciences humaines et de business. Une affaire qui, combinée à l’édition électronique, réalise 4 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Alors qu’il était encore aux études, le jeune Thibault Léonard s’est dirigé dans une direction qui allait “disrupter” le milieu classique de l’édition. En effet, à 16 ans, pour combiner la création de sites web et la réalisation d’un travail sur l’ouvrage L’ami retrouvé de Fred Uhlman, le jeune homme propose une analyse de livre en ligne. Il enchaîne ensuite avec pas moins d’une dizaine de sites d’analyses d’oeuvres littéraires avant de lancer un portail sur lequel il partage des analyses achetées auprès de profs et d’amateurs.

En 2004, alors qu’il suit des cours à Solvay, il lance fichesdelecture.com, une plateforme qui, en quelque temps, comptabilise pas moins de 500 fiches. Le modèle se base sur l’ audiotel: les utilisateurs déboursent quelques euros via GSM pour accéder à des analyses littéraires. Thibault Léonard vend “ses” analyses en Belgique, bien sûr, mais surtout en France. De retour d’un stage en Chine pour ses études, il crée sa première entreprise: Lemaître SPRL et engage deux personnes sur fonds propres, tout en utilisant toutes les astuces possibles pour financer ces engagements. Lui, de son côté, se paie un minimum. “Je faisais partie des entrepreneurs qui se paient seulement ce dont ils ont besoin, se souvient-il. En sortant de l’université, étant en colocation, je n’avais pas de gros besoins. Je n’avais donc pas l’impression de faire des sacrifices.”

Les éditions Mardaga, combinées à l’édition électronique, génèrent 4 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Le nez fin pour les e-books

Un premier job dans une maison de disques à Londres alors que le streaming en est à ses balbutiements lui fait penser que le monde de livre suivra le même type d’évolution. Las de gérer son business à distance les matins, soirs et week-ends, “et les urgences depuis les toilettes”, le jeune homme revient à Bruxelles plein d’ambitions. Surtout qu’Apple vient de lancer l’iPad et qu’Amazon dispose déjà de sa Kindle. Thibault Léonard convertit et lance ses premières analyses de livres en e-books. Un carton puisqu’il n’y avait encore que très peu de contenus. En 2012, Lemaître dispose de 1.000 analyses en e-books à propulser sur pas moins de 10 plateformes. C’est ainsi qu’en 2013 naît Primento, nouvelle société lancée par l’entrepreneur. Dans un premier temps, l’objectif est de servir sa propre distribution d’e-books sur les différentes plateformes (Kindle, iPad, etc.) mais d’autres éditeurs se montrent intéressés. C’est le début des livres électroniques. Un boulevard s’ouvre pour Primento même si, fin 2013, la jeune pousse sert encore essentiellement les activités d’édition électronique de sa société soeur (Lemaître). Reste que l’intérêt est bel et bien là.

En 2014, le jeune patron se fait diagnostiquer un cancer. Un coup de massue qui l’éloigne de l’opérationnel pendant un peu plus d’un an. Quand et comme il le peut, Thibault Léonard gère ses équipes, à mi-temps ou à distance en fonction de ses impératifs. Mais l’équipe est bonne et parvient à tenir le cap. C’est à ce moment que l’entrepreneur se rend compte de l’importance des process: “En prenant du recul par rapport à l’opérationnel, j’ai pu constater que les activités d’analyses de livres enregistraient une perte de productivité et qu’on devait absolument mettre en place des process pour sensiblement améliorer ce point”. Les mises en page et créations de couvertures de livres et d’analyses ont été standardisées. La comptabilité a été fluidifiée, etc. La firme gagne en efficacité après un an et, hasard du calendrier, Thibault Léonard apprend la mise en vente des éditions Mardaga, maison spécialisée en psychologie universitaire mais qui sort aussi des guides touristiques, des ouvrages architecturaux ou dédiés à la musique.

Acquisition d’un “dinosaure”

Entrepreneur dans l’âme, Thibault Léonard se décide assez rapidement à acheter la société et à conclure un accord avec les vendeurs, la famille Lhoist. “Ma femme me dit souvent que j’ai acheté Mardaga par patriotisme parce qu’il s’agissait d’une des rares maisons d’édition francophones indépendantes belges.” Pourtant, sur papier, la mariée n’avait pas tout pour plaire: elle générait entre 400.000 et 500.000 euros de chiffre d’affaires mais en perdait pas moins de 250.000. La première mesure du nouveau boss? Arrêter de mener des projets à perte et réduire les coûts. “Quand on a dû réimprimer certains ouvrages, on s’est rendu compte qu’on pouvait imprimer deux fois moins cher, se souvient Thibault Léonard. Par ailleurs, beaucoup d’énergie était dépensée sur des produits pas ou peu rentables.” Le patron, qui mettra environ deux ans pour bien comprendre tous les rouages de l’édition, réorganise et positionne progressivement Mardaga comme un éditeur de sciences humaines. Il s’appuie, à cette fin, sur son réseau en France où la maison est bien implantée, aussi étonnant que cela puisse paraître. C’est en effet de l’Hexagone qu’est distribué l’ensemble des ouvrages, y compris vers la Belgique. Et c’est dans l’Hexagone que l’éditeur réalise 90% de ses ventes.

En 2019, les activités de Mardaga et celles de Primento et Lemaître emploient 25 personnes et le jeune patron se rend compte qu’il ne gère quasiment plus que des problématiques RH. Cela ne le fait plus vraiment rêver. Il mandate alors un cabinet pour auditer les activités de ses entreprises. Le constat est sans appel: la firme a grandi trop vite et internalisé trop de compétences. La recommandation est claire: il faut externaliser des fonctions comme le graphisme, la mise en page ou la relecture des ouvrages. C’est chose faite fin 2019. Juste à temps, alors que la crise du coronavirus a mis au ralenti l’activité pendant quelques mois en 2020, malgré une explosion temporaire des e-books durant les confinements et l’arrêt momentané des livraisons par Amazon.

Aujourd’hui, Thibault Léonard est à la tête d’une structure légère (10 personnes) dont le chiffre d’affaires est bien réparti (50/50) entre les activités d’édition (papier avec Mardaga, électroniques via Lemaître) et la distribution d’e-books (avec Primento). D’un côté, le “groupe” sort entre 60 et 80 nouveaux livres papier par an. De l’autre, il distribue pas moins de 25.000 e-books. La croissance, Thibault Léonard l’attend à la fois sur les e-books qui continuent d’enregistrer 5% de progression annuelle et sur l’édition papier, notamment grâce à la récurrence: Mardaga mise, autant que possible, sur des ouvrages dotés d’une certaine durée de vie qui peuvent assurer des ventes régulières pendant plusieurs années. Et qui sait, peut-être de nouvelles acquisitions pour de la croissance externe?

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