L’entreprise belge Maniet-Luxus, leader wallon de la chaussure, vient d’acquérir la cordonnerie Dascotte. Objectif ? Diversifier ses activités, renforcer sa stratégie de durabilité et s’imposer face aux enseignes discounts. L’entreprise revendique la vente d’un million de paires par an réparties sur un portefeuille de plus de 250 marques.
Cela fait 40 ans que l’entreprise familiale existe, mais nous sommes chausseurs depuis plus de 120 ans dans la famille”, explique Allison Vanderplancke, CEO de Maniet-Luxus. La jeune femme, cinquième génération à la tête de l’entreprise, est accompagnée d’Arnaud et Amandine, ses frère et sœur, respectivement directeur de la société sœur d’import Manexco et directrice des achats. “La reprise s’est faite assez naturellement en fonction des affinités de chacun”, se rappelle-t-elle.
Si la cinquième génération est aux commandes, les deux dernières sont toujours actives au sein de l’entreprise : Jacques Maniet (troisième génération) au sourcing avec son petit-fils, Arnaud ; Pascale Maniet (quatrième génération) aux achats avec sa fille Amandine ; George Vanderplancke (quatrième génération, ancien CEO) au développement avec Allison. L’entreprise familiale est avant tout une belle success story wallonne qui a commencé en 1903, avec l’ouverture d’un premier magasin de chaussures dans la région de Charleroi. Depuis lors, l’entreprise a étoffé sa gamme et ses activités puisqu’en 1989, elle a racheté Luxus – une enseigne spécialisée dans les accessoires et textiles – ce qui lui a permis d’enrichir son offre.
Un secteur sous pression
Aujourd’hui, l’entreprise compte 30 points de vente répartis sur la Wallonie et le Luxembourg. D’un côté, le groupe déploie ses boutiques Maniet au cœur des centres commerciaux. “Ce sont des emplacements qui attirent la clientèle, mais ce n’est pas forcément le modèle le plus rentable de par les charges que cela implique”, précise la responsable. De l’autre, les magasins Luxus, qui offrent une gamme plus vaste de vêtements et accessoires en libre-service, ont quant à eux trouvé leur place en périphérie. “C’est vraiment notre atout et notre axe de développement”, poursuit-elle. Grâce à cette stratégie, les deux chaînes ont su s’imposer dans un paysage retail hypercompétitif. La CEO ambitionne d’ouvrir 10 nouveaux points de vente d’ici 2030, notamment dans la province de Liège et au Grand-Duché du Luxembourg.
“Le secteur de la chaussure et de la mode en général ne se porte pas très bien ces dernières années”, concède Allison Vanderplancke. Une reprise semble cependant s’amorcer puisque le volume des ventes dans les magasins spécialisés en chaussures, textiles et articles en cuir a augmenté de 6,6% en avril 2025 par rapport à avril 2024, selon les chiffres de Statbel. Cette hausse est significative, surtout après plusieurs années de stagnation ou de baisse liées à la crise sanitaire et à l’inflation. “L’année 2024 a été compliquée, mais notre chiffre d’affaires et la consommation restent stables, ce qui n’est pas trop mal pour le secteur”, note la responsable, qui revendique un chiffre d’affaires de 63 millions d’euros et un million de paires de chaussures vendues sur l’année. “Nous n’avons pas pour ambition de faire du profit par enrichissement, mais plutôt pour le réinvestir dans nos nouveaux projets.”
Une approche dite “phygitale”
Bien que centenaire, l’entreprise familiale a toujours su se tenir à la pointe de l’actualité. Le site internet, par exemple, a été développé bien avant que les activités e-commerce ne connaissent leur ascension. Dès 2009, Maniet-Luxus a lancé son premier site de vente en ligne, suivi d’une refonte en 2014 et d’une nouvelle version en 2022.
“Mon papa a toujours été visionnaire”, assure Allison Vanderplancke, qui travaille sur une approche dite “phygitale”, soit la combinaison des magasins physiques et du digital. Les ventes d’e-commerce pures – c’est-à-dire celles commandées en ligne et livrées à domicile – ne représentent que 3 à 4% du chiffre d’affaires. En revanche, si l’on tient compte de l’ensemble des réservations faites en ligne et essayées en magasin, ou vues en ligne et payées sur place, les ventes approchent les 8% du chiffre d’affaires.
“Essayer en magasin et commander plus tard en ligne, ou au contraire repérer des modèles sur le web et concrétiser l’achat en boutique sont des comportements assez courants”, poursuit Allison Vanderplancke. À noter que les taux de retour enregistrés par Maniet plafonnent à 17% là où ceux des pure players en ligne peuvent atteindre 50%, voire 60%.
Aujourd’hui, les chaussures comme le textile sont concurrencés par des enseignes d’ultra fast fashion. À l’opposé de ses valeurs, Allison Vanderplancke tente à sa manière de lutter contre cette surconsommation. “On essaye de faire comprendre aux consommateurs qu’il vaut mieux acheter moins, mais mieux, même si cela signifie un peu plus cher”, confirme-t-elle. La responsable met d’ailleurs en avant les 400 partenaires avec qui l’entreprise collabore et qui produisent des chaussures solides, fabriquées avec des matériaux de qualité. Si l’entreprise rappelle qu’elle ne produit pas les chaussures, elle a cependant mis en place un écoscore afin de mesurer l’impact global sur l’environnement.
Diversification durable
Maniet-Luxus s’est fixé pour objectif que toutes ses ventes proviennent de produits ayant un écoscore A ou B d’ici 2030. “Cela implique une transformation progressive de l’offre, un travail étroit avec les fournisseurs et une sensibilisation continue des clients”, note la CEO. Cette ambition montre que l’écoscore n’est pas seulement un outil d’information, mais un levier stratégique pour orienter les ventes vers des produits plus durables. Bien que l’entreprise ne communique pas de chiffres précis sur l’augmentation des ventes, elle indique que les produits écoresponsables rencontrent “un accueil favorable”, notamment auprès des jeunes adultes et des familles soucieuses de leur impact environnemental. “Mais le catalyseur de vente reste le prix”, admet Allison Vanderplancke, qui reconnaît que l’écoscore influence davantage les producteurs que les clients.
“Je n’ai pas une ambition de rentabilité avant deux ou trois ans pour la cordonnerie parce que ce n’est pas mon objectif premier.”
Afin de renforcer sa stratégie de durabilité, la CEO vient d’acquérir la cordonnerie Dascotte, située à Nivelles. “Nous sommes partis du postulat qu’il ne fallait pas nier l’existence des services de cordonnerie, mais plutôt les mettre en avant”, analyse Allison Vanderplancke, qui vante l’idée de sa sœur. L’entreprise proposait déjà ce service dans neuf de ses magasins en collaboration avec un cordonnier qui a entre-temps pris sa retraite.
Réparer environ 25.000 paires par an
De son côté, Dascotte, qui ne se portait pas très bien, souhaitait se développer dans les services. La cordonnerie était déjà active dans le secteur de l’équitation pour la réparation des bottes par exemple. “Nous sommes assez complémentaires puisque nous vendons des chaussures et Dascotte possède sa clientèle, une structure, une connaissance et un savoir-faire.” Le service de réparation sera donc étendu aux 30 magasins de l’entreprise.
Maniet-Luxus a pour ambition de réparer environ 25.000 paires par an.
Maniet-Luxus a pour ambition de réparer environ 25.000 paires par an. « Nos neuf magasins réparaient presque 4.000 paires par an, mais peu de gens connaissaient réellement ce service », précise Allison Vanderplancke, qui ne communique pas sur le montant de l’investissement ni sur ses perspectives. “Je n’ai pas une ambition de rentabilité avant deux ou trois ans parce que ce n’est pas mon objectif premier”, affirme la CEO, qui parle d’un pari pour l’avenir. “Cette diversification s’inscrit dans une stratégie à long terme.” Le prix s’en fera-t-il ressentir ? “On ne va pas augmenter le prix de nos chaussures, mais nous voulons toutefois conscientiser davantage sur le fait qu’une paire de chaussures plus chère et réparable aura une vie plus longue.”