Parti à l’âge de 18 ans vers New York avec 100 dollars en poche, le Belge Yves Jadot y a vécu son “American dream” en multipliant les ouvertures de bars et de restaurants. Il prolonge aujourd’hui son aventure entrepreneuriale dans son pays natal avec un nouvel établissement à Gand, deux ans après l’inauguration de son “cocktail bar” bruxellois.
Un verre à cocktail dont la partie supérieure s’est transformée en cœur. Tel est l’emblème poétique du bar Confessions à Bruxelles et aussi de son cousin Soan qui ouvrira bientôt ses portes à Gand. Cet objet hybride s’est d’ailleurs transformé en un petit néon rouge, en vitrine, pour attirer le regard. Allumé : le bar à cocktails est ouvert. Éteint : vous reviendrez une autre fois. Pour l’instant, le verre-cœur de Soan ne rougit pas et il faudra donc attendre le 19 novembre pour jouir enfin de cet espace cosy aux tonalités rosées, garni d’épaisses tentures de velours pourpre.
“L’ambiance est feutrée, mais un peu minimaliste”, commente d’emblée le maître des lieux. Si ce n’est cette longue silhouette nue qui domine la fresque peinte juste derrière le bar, étendue entre les villes de New York et de Gand en arrière-plan, où un cygne dispute étrangement la vedette à une poignée de cuberdons. “C’est ma fille Adeline, sourit Yves Jadot. Elle est artiste et elle se met toujours en scène dans ses œuvres.”
Ce mélange de Belgique et d’Amérique n’est pas anodin. Le cygne non plus d’ailleurs, puisque le nom Soan fait acoustiquement référence au mot anglais swan (cygne en français), clin d’œil aux deux volatiles déployés sur la façade de l’établissement gantois. Bigarrés, les éléments de ce décor surréaliste collent parfaitement au parcours d’Yves Jadot. Il y a tout juste 40 ans, ce Bruxellois pur jus décidait de partir à New York avec 100 dollars en poche pour vivre seul son rêve américain. Le jeune homme avait 18 ans à peine et ne parlait pas un mot d’anglais. “J’avais arrêté l’école assez tôt et j’ai eu l’opportunité de partir aux États-Unis pour travailler dans un restaurant français de la banlieue new-yorkaise, raconte l’entrepreneur. J’ai décidé de saisir cette chance car elle n’allait pas se présenter deux fois.”
Self-made-man
Nous sommes au milieu des années 1980. Yves Jadot est engagé comme busboy (l’équivalent d’un commis de salle) et découvre les coulisses de la restauration haut de gamme dans la ville qui ne dort jamais. Cet univers n’est pas totalement inconnu pour lui : sa mère tenait un snack sur la place Rogier à Bruxelles et l’adolescent y travaillait régulièrement. Mais ici, il joue dans une autre division avec une langue qu’il ne maîtrise pas encore. Le jeune Belge s’accroche et grimpe les échelons de l’horeca new-yorkais. “Au bout de quelques années, je suis devenu le manager d’un restaurant assez tendance, poursuit Yves Jadot. Mon boss était le gars le plus branché de Manhattan, il possédait plusieurs établissements et je suis finalement devenu son directeur opérationnel.”
Mais 10 ans après son arrivée aux États-Unis, le Bruxellois rêve plus grand. À 28 ans, il décide de quitter une nouvelle fois sa zone de confort pour ouvrir son propre restaurant. “Au début, c’était plutôt un snack-bar, sourit Yves Jadot. J’y ai mis toutes mes économies et comme je n’avais pas assez d’argent, j’ai même revendu ma voiture et la Rolex que m’avait offerte mon ancien patron. Quand j’ai ouvert Petite Abeille, j’avais à peine 300 dollars en caisse.”
“Quand j’ai ouvert Petite Abeille à New York, j’avais à peine 300 dollars en caisse.”
À nouveau, le self-made-man s’accroche et bosse “comme un dingue”. Ses plats typiquement belges et son enseigne “à la française” finissent par attirer l’attention de la presse et d’une clientèle de plus en plus curieuse. Jusqu’à ce jour incroyable où l’acteur vedette Leonardo Di Caprio débarque chez Petite Abeille pour s’y faire photographier en interview, juste après le succès du film Titanic. La machine à buzz est enclenchée, le restaurant ne désemplit pas et le Bruxellois décide d’ouvrir une deuxième, une troisième, puis une quatrième enseigne Petite Abeille à Manhattan.
Plus de 300 employés
La success story d’Yves Jadot est impressionnante. Dans les années 2010, le Belge compte alors une douzaine d’établissements à New York et gère plus de 300 employés, avec de nouvelles trouvailles culinaires comme La Maison du Croque-Monsieur, un restaurant mexicain Vamos et surtout ses premiers bars à cocktails. Pas mal pour le ketje de Berchem-Sainte-Agathe parti avec 100 dollars en poche…
Humant l’air du temps, Yves Jadot commence à surfer de plus en plus sur la tendance “speakeasy”, à savoir des cocktails bars haut de gamme, faussement secrets, référence décalée à la prohibition dans les années 1920. En plein covid, il décide alors de revendre ses restaurants et de tout miser sur ces nouveaux endroits chics et feutrés où le cocktail est roi. Avec la même obsession : des bars à la décoration hyper raffinée qui privilégient les murmures au brouhaha.
Aujourd’hui, le Bruxellois en possède cinq à Manhattan, deux sous le label Raines Law et trois sous l’appellation Dear Irving. Et c’est précisément la crise sanitaire qui lui a donné l’envie d’inaugurer aussi un bar à cocktails dans sa ville natale. “Cela a toujours été mon rêve de revenir un jour à Bruxelles pour y ouvrir mon propre établissement, confie Yves Jadot. Avec quelques partenaires belges, nous avons donc lancé Confessions il y a tout juste deux ans, près de la place du Châtelain.”
Gand et Degand
Et l’aventure belge n’est pas finie. Aujourd’hui, l’entrepreneur s’apprête à inaugurer Soan en terre flamande et travaille même, à plus long terme, sur un deuxième projet bruxellois en collaboration avec le couturier Pierre Degand, à deux pas de sa maison de mode.
Mais pourquoi avoir choisi Gand comme point de chute de ce nouveau bar à cocktails ? “C’est assez inattendu, mais le dernier bar que j’ai ouvert à New York se situe au sommet d’un hôtel de plus de 40 étages qui appartient à Harry Gross, un Américain de 85 ans qui a fait fortune en important des peaux de lapin de Belgique pour le commerce de la fourrure, confie Yves Jadot. Il possède aussi plusieurs bâtiments à Gand dont l’hôtel Marriott et il m’a proposé de transformer ses caves voûtées en un cocktail bar indépendant de l’hôtel.”
Montant de l’investissement pour l’aménagement raffiné de cet espace souterrain : 350.000 euros financés par le propriétaire des lieux. Avec cette inauguration, ce ne seront pas moins de sept établissements que le Bruxellois gérera à nouveau, dirigeant ainsi 185 employés aux États-Unis et une quinzaine en Belgique.
Désormais, Yves Jadot partage sa vie entre ces deux pays et multiplie les allers-retours avec des sentiments partagés. Outre la fierté d’avoir réussi ce parcours improbable, l’homme se dit en effet très inquiet du changement de mentalités qui s’opère outre-Atlantique depuis la réélection de Donald Trump, tout en chargeant les autorités bruxelloises pour la mauvaise gestion de la capitale : “Vous n’aidez pas les petits entrepreneurs, vous les tuez”, écrivait-il cet été dans un post Facebook, déplorant les charges sociales élevées et la multiplication des commerces vides.
Gand, visiblement, lui apportera un peu d’apaisement.
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