Stijn Bijnens (CEO de Cegeka) et Manuel Pallage (CEO de NSI): “Au plus proche de nos clients”

Manuel Pallage et Stijn Bijnens: "Dans les télécoms, il se passe un truc tous les 20 ans. On y est."

C’est une première pour la presse belge : Stijn Bijnens, Manager de l’Année en 1999 et CEO de Cegeka, et Manuel Pallage, le CEO de NSI, évoquent ensemble l’avenir d’un groupe informatique devenu acteur mondial et la place de sa filiale wallonne dans une croissance continue depuis plus de 30 ans.

En Belgique francophone, le nom Cegeka n’est pas très connu du grand public. Pourtant, cette entreprise limbourgeoise née de la reconversion des mines est un groupe de services informatiques mondial de pointe.

Fondée en 1992 par André Knaepen au départ d’un data center issu des KS (Kempische Steenkoolmijnen), elle n’a, depuis, cessé de grandir, tant de façon organique qu’au travers d’acquisitions. En 2009, elle a acheté une vaste majorité des parts de NSI (Nouvelles Solutions Informatiques), une entreprise liégeoise née à la suite de la fermeture du bureau liégeois du groupe américain Computer Science Corporation. En une dizaine d’années, Cegeka a transformé NSI en un des rares fleurons wallons du secteur IT.

Pour la première fois pour la presse belge, Stijn Bijnens, le CEO limbourgeois élu Manager de l’Année en 1999 par nos collègues néerlandophones de Trends quand il était aux commandes de Netvision, et Manuel Pallage, son homologue liégeois, se sont installés autour d’une table pour évoquer l’avenir de leur groupe à l’heure où la digitalisation et l’IA deviennent des enjeux économiques critiques.

TRENDS-TENDANCES. Avant d’entrer dans le vif du sujet et puisque les entreprises tirent le bilan de 2023 les unes après les autres, dites-nous : comment avez-vous vécu l’année qui vient de s’écouler ?

STIJN BIJNENS. Les comptes ne sont pas encore consolidés mais, dans les grandes lignes, nous avions l’objectif d’atteindre le milliard d’euros de chiffre d’affaires. Nous allons terminer un peu au-dessus. Pour 2024, avec l’intégration de CTG (Computer Task Group, une entreprise américaine achetée l’an dernier, basée à Buffalo et active aussi au Canada, en Inde et en Europe, Ndlr), nous devrions atteindre 1,4 ou 1,5 milliard.

MANUEL PALLAGE. Pour NSI, l’objectif était d’atteindre 190 millions d’euros de chiffre d’affaires. Nous allons y arriver. Sur un an, nous allons donc réaliser une croissance de 40%. Une majeure partie de cette forte progression est liée à l’intégration de BuSI (Business & Systems Integration, entreprise basée à Watermael- Boitsfort, Ndlr), que nous avons achetée en 2022 et qui nous a amené une nouvelle clientèle au niveau fédéral belge et dans de grandes entreprises privées situées à Bruxelles.

Tout au long de son histoire, Cegeka n’a cessé de procéder à des acquisitions. Outre NSI, il y a eu Inside en Roumanie, ainsi que Brainforce, KPN Consulting, SecurIT, DexMAch, etc. Acheter est-il une part importante de votre stratégie de croissance ?

S.B. Notre croissance est à la fois organique et externe. Depuis 30 ans, Cegeka fonctionne sur la base d’un algorithme très simple imaginé par André Knaepen : l’actionnaire est content avec une croissance organique annuelle de 10%. Toute l’entreprise est organisée autour de cet objectif et nous sommes arrivés à l’atteindre chaque année ! La croissance organique génère plus de valeur que les achats, où il faut seulement la créer, la valeur. Nous demeurons un groupe familial qui ne distribue pas de dividendes. Au fil des ans, nous avons pu constituer un trésor de guerre qui nous permet de financer nos achats sur nos propres deniers. Ces acquisitions ne sont pas un but en soi, mais constituent des leviers supplémentaires. Mettre la barre à 10%, c’est ambitieux, dans un secteur où la marge évolue à 3 ou 4%. Mais c’est une façon de stimuler le personnel et de créer un formidable esprit entrepreneurial.

“Nous sommes devenus les jumeaux liégeois de nos collègues limbourgeois.” – Manuel Pallage

Cette volonté entrepreneuriale, c’est le plus beau cadeau de mariage que Cegeka pouvait offrir à NSI ?

M.P. Absolument. En un peu plus de 10 ans, nous sommes passés de 22 millions de chiffre d’affaires à quasi 200 millions. On ne peut pas y arriver sans cet esprit entrepreneurial hors du commun. Nous sommes devenus les jumeaux liégeois de nos collègues limbourgeois. Nous avons la même culture: ne jamais accepter le statu quo et toujours se remettre en question. Si on ne peut pas grandir d’un côté, alors allons voir ailleurs. NSI s’est approprié cette volonté. C’est un apport phénoménal. Sans cela, nous serions 400 chez NSI, pas 1.900.

S.B. Grandir permet aussi de donner des opportunités à nos employés. C’est plus sympa de bosser dans une boîte qui monte que dans une entreprise qui se racrapote. Cegeka offre, du coup, énormément de possibilités d’épanouissement personnel et d’évolutions de carrière. La mobilité interne est importante chez nous.

“Il y a deux ­réalités dans le pays et ­Cegeka l’a ­parfaitement compris.”
 – Manuel Pallage

Puisque vous évoquez les carrières, le groupe Cegeka a-t-il des difficultés à recruter vu la pénurie de main-d’œuvre dans l’IT et un marché de l’emploi tendu ?

S.B. Il ne faut pas se voiler la face : c’est difficile, notamment pour dénicher des experts en cybersécurité, mais on y arrive même si cela demande beaucoup de travail. Nous avons une histoire qui attire. Chez nous, et nous allons en parler, le pouvoir de décision est local. C’est plus excitant et épanouissant que de travailler pour un boss situé à l’autre bout de la planète, comme c’est le cas pour la majeure partie de nos concurrents. On y arrive aussi via la formation et la Cegeka Academy, qui assure surtout de l’upskilling. En outre, chaque année, nous accueillons entre 40 et 50 jeunes diplômés que nous formons on-the-job. C’est la meilleure manière.

M.P. Nous attirons entre 100 et 120 personnes chaque année. Nous travaillons beaucoup avec les écoles. La NSI Academy a formé, depuis trois ans, environ 30 personnes par an. C’est un investissement lourd mais qui, en termes de RH, est payant. Nous prenons une dizaine de stagiaires annuellement, que nous finissons par engager. Le branding de l’entreprise fait le reste.

S.B. Ouvrir la porte d’entrée, c’est essentiel, mais il faut aussi regarder la porte qui donne sur le jardin! Je suis très fier de constater que nous ne perdons que 5% de nos effectifs. Dans le secteur, le turnover s’élève à 15% ! C’est que nous rendons nos employés heureux.

Revenons un instant sur vos nombreux achats. Quelle est la stratégie qui les sous-tend ?

S.B. Dans le cadre des nouvelles technologies, il nous arrive d’acheter pour développer plus rapidement certaines compétences. Ce sont des acquisitions plus petites et plus ciblées, mais l’essentiel n’est pas là. Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est l’expansion géographique. Il s’agit, pour reprendre l’expression anglaise, de ‘‘mettre des bottines sur le terrain’’. L’Allemagne est une cible de choix aujourd’hui. Nous sommes une entreprise de services proche de ses clients. Pour être proches, il faut des hommes sur le terrain, à proximité des entreprises.

Cette proximité est-elle la raison pour laquelle NSI est devenue le fer de lance de Cegeka en Belgique francophone ?

M.P. Nous offrons les mêmes services que Cegeka – à quelques nuances près, puisque le tissu économique n’est pas le même au nord qu’au sud du pays. Les entreprises sont plus petites chez nous. Il y a deux réalités dans le pays et Cegeka l’a parfaitement compris en termes opérationnels. Partout, le groupe agit localement. Ce n’est pas différent en Wallonie. Notre chiffre d’affaires est parfaitement équilibré entre le public et le privé. Je tiens à maintenir cet équilibre. Il y a clairement des parts de marché à aller chercher à Bruxelles, dans le Hainaut et au Luxembourg. L’ambition se cristallise aussi sur la France.

Nous avons déjà un bureau à Metz pour le Grand Est. L’intégration de CTG va nous aider à nous développer au départ de Paris.

S.B. Votre question est au cœur de cette rencontre. Pour la première fois, nous pouvons, à deux, expliquer l’essence de notre collaboration. Depuis 30 ans, le slogan de Cegeka, c’est “In Close Cooperation”. Etre proche du client. Nous sommes un acteur global de 10.000 personnes, en concurrence frontale avec des Indiens et des Américains. Notre atout, c’est notre slogan. Ce qu’on appelle dans le jargon économique le nearshoring. Nous nous organisons autour du client. Aux Pays-Bas, les clients veulent qu’on leur parle en néerlandais et pas en anglais. En France, c’est le français qui prime. Pour Cegeka, NSI est l’entité du groupe qui approche le client en français. NSI est la marque francophone mondiale de Cegeka, avec toute la puissance de feu qui se trouve derrière. Pour moi, Manuel est le responsable de tout l’univers francophone. (Rires)

M.P. Waouw ! Ça, c’est une carte de visite ! (Rires).

S.B. Nos CEO évoluent en toute autonomie. Et donc, avec l’intégration de CTG, NSI va se retrouver en France mais aussi au Canada, à Montréal. L’expansion en français ne fait que commencer.

Parlons des services que vous offrez. Vous parlez souvent de “trinity of innovation”. Pouvez-vous expliquer ?

S.B. C’est l’avenir de l’entreprise. Dans les 10 ans, trois éléments, la trinité donc, vont devenir essentiels. D’une part, le cloud hybride, c’est-à-dire un mélange entre une solution mondiale à la Microsoft ou à la Google et une solution locale, parfois au sein même de l’entreprise cliente. D’autre part, l’IA. Pour les entreprises, ce qui compte, c’est qu’une IA soit actionnable. Comme une voiture qui conduit toute seule ou une machine industrielle autonome. Pour cela, il faut des data, dont celles qui viennent de ce qu’on appelle l’IoT, l’internet des objets. Enfin, pour faire tourner le tout, il faut un réseau de communication fiable. Pour la première fois, la 5G apporte cette confiance. Elle permet d’agir en temps réel et extrêmement rapidement. 5G, cloud et IA, tout est lié. Avec ces trois éléments, on crée de l’innovation. En Belgique, nous y excellons. Vous avez dès lors compris pourquoi nous avons investi dans la 5G et acquis nos propres fréquences.

“L’expansion en français ne fait que ­commencer.” – Stijn Bijnens

Clairement, vous avez acheté Citymesh dans le seul but du “B to B” ?

S.B. Absolument. Pour les réseaux mobiles privés. Aujourd’hui, le business case de ces réseaux, c’est l’aspect mission critique. Des éléments clés qui doivent être assurés pour garantir la bonne marche d’une entreprise, voire sa survie : surveillance, sécurité, gestion opérationnelle, etc. Cegeka est déjà, en Belgique, un acteur majeur à ce niveau : les aéroports, comme Brussels Airport, les ports (Zeebrugge, etc.), des industries manufacturières, et autres. Cela ne va faire que grandir dans les prochaines années.

Digi, c’est la cerise sur le gâteau ?

S.B. Une énorme cerise ! (Rires) Dans les télécoms, il se passe un truc tous les 20 ans. On y est. Le gouvernement fédéral a eu le courage de faire de la place pour un quatrième opérateur. On a eu l’opportunité et on l’a saisie, sans avoir de connaissances du B to C qui, comme vous l’avez dit, n’était pas notre objectif initial. On a cherché un partenaire et notre présence en Roumanie (environ 1.000 employés, Ndlr) nous a rapprochés de Digi qui, elle, ne fait que du B to C. Ils sont déjà actifs en Roumanie, mais aussi en Italie et en Espagne.

Cegeka est donc propriétaire de Digi Belgium ?

S.B. Nous avons via Citymesh 49%, Digi a le lead sur le projet. Nous gérons une partie du développement. L’ambition est de proposer le meilleur rapport qualité/prix et d’ouvrir le marché belge. Nous avons un accord de roaming national avec Proximus. Quand le client ira acheter une carte Sim de Digi, il sera sur notre réseau et quand il ne sera plus couvert, il passera sur celui de Proximus. Nous sommes occupés, un peu partout en Belgique, à installer des pylônes pour bâtir le réseau et l’étendre le plus possible, le plus vite possible. Avec des obligations légales à remplir pour 2027.

Le lancement de Digi Belgium est bien prévu pour cet été ?

S.B. Environ. Je n’en dirai pas plus, j’ai oublié… (Rires)

En plus de Citymesh, Cegeka dispose de solutions spécifiques proposées mondialement.

S.B. Oui. Cegeka et NSI sont des intégrateurs. Nous sommes propriétaires de Smartschool, qui crée du lien entre parents, professeurs, écoles et élèves ou encore de Nexuzhealth, qui propose des applications de gestion dans le domaine de la santé. Aujourd’hui, 60 institutions hospitalières flamandes utilisent notre solution, qui gère tout le flow autour du patient et des soins qu’on lui prodigue. L’idée est de s’étendre en Wallonie.

Cegeka est aussi très impliquée dans l’institutionnel flamand.

S.B. Le gouvernement flamand a commencé à outsourcer de l’IT il y a 25 ans. Nous avons remporté, il y a quelques années, une partie de cet outsourcing. Nous gérons, par exemple, l’espace de travail digital du fonctionnaire flamand. Parallèlement, nous sommes l’un des trois partenaires privilégiés pour le développement d’applis. A chaque fois, il y a une mini- compétition entre nous trois. Cegeka s’est spécialisée dans la sécurité sociale. A titre d’exemple, nous calculons les allocations familiales pour toute la Flandre.

Il n’y a pas de projet de ce type en Wallonie ?

M.P. Non. Mais NSI travaille beaucoup avec le Service public de Wallonie dans la consultance et les développements applicatifs. La digitalisation s’est fortement accélérée ces dernières années mais cela ne va pas encore assez loin. Idéalement, tous les processus de contact entre les citoyens, les entreprises et l’administration devraient être digitalisés. Mais moins de moyens qu’en Flandre y sont octroyés. Pourtant, il y a beaucoup de talents IT dans les administrations wallonnes.

S.B. Pour parler de talent wallon, je suis absolument admiratif des accomplissements d’Odoo. Il n’a aucun équivalent en Flandre.

M.P. Sur le plan des administrations, NSI agit aussi au niveau fédéral. Nous avons décroché, entre autres au SPF Justice, des marchés sur l’applicatif.

S.B. Le gouvernement fédéral va mettre de l’outsourcing IT sur le marché tout bientôt. NSI et Cegeka, par leur approche bilingue, seront bien positionnés.

Pour conclure, un mot de votre actionnariat qui, en fait, n’est pas que familial.

S.B. Oui, et c’est important de le signaler. In Close Cooperation, cela marche aussi à ce niveau. La famille Knaepen demeure largement majoritaire mais au fil du temps, les invests locales sont entrées dans le capital. Noshaq (l’ancien Meusinvest, Ndlr) pour la région liégeoise, Gimv pour la Flandre et LRM pour le Limbourg. En plus d’avoir une part dans Cegeka, Noshaq est propriétaire de 25% de NSI.

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