Retour de Trump: “Nous, Européens, devons traiter nos problèmes nous-mêmes”, estime François Michel (John Cockerill)

John Cockerill CEO Francois Michel PHOTO JASPER JACOBS
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

In Trump we trust? Trends Tendances interroge des patrons au sujet du retour de Donald Trump? François Michel (John Cockerill) estime que l’Europe doit désormais se prendre en main avec des “gouvernements d’action”. Ce sera difficile, mais “je suis fondamentalement optimiste”.

CEO de John Cockerill, François Michel s’étonne avant tout de voir à quel point les Européens connaissent mal les États-Unis d’aujourd’hui. “À l’évidence, ils ne les comprennent pas, alors que c’est tout de même notre premier partenaire géostratégique. Ma famille est américaine, j’y ai longtemps vécu et je suis très frappé de voir que quand on évoquait la proportion importante de la population qui votait Trump, il y avait un grand sentiment d’incrédulité parmi la population européenne. C’est très dangereux de compter sur un grand allié que l’on comprend si mal. Et c’est encore pire au niveau de la classe politique.” Cela peut créer des lignes de fracture.  

Comment expliquerait-il la situation américaine à ces gens qui la connaissent mal ? “Il y a beaucoup de liens entre ce que vit le peuple américain dans son quotidien, avec une très forte inflation sous Biden, et le sentiment de vulnérabilité qui s’est fortement accentué, même si paradoxalement, les revenus ont davantage progressé qu’en Europe. Cette inflation insupportable a fait peur à la population. Les indicateurs macroéconomiques ne capturent pas cette réalité. Les tarifs des universités, par exemple, ont continué à s’envoler. Mettre son enfant aux études coûte entre 60.000 et 100.000 euros par an. C’était la moitié de cela il y a une quinzaine d’années. Des gens se sentent exclus.” C’est le reflet d’un libéralisme largement partagé par les deux camps politiques. 

Une élection sereine

L’élection de Donald Trump, constate-t-il, s’est déroulée de façon sereine. “Pour nous, Européens, avoir un grand allié qui reste une grande démocratie, c’est positif. Il faut voir le verre à moitié plein. Un maintien du pouvoir démocrate contesté par une grande partie de la population aurait déstabilisé le pays.”  

L’impact économique de cette victoire républicaine ne préoccupe pas le CEO de John Cockerill. “Ce que nous produisons aux États-Unis est pour les États-Unis. Nous sommes présents là-bas depuis 1840 à travers notre filiale énergétique. Nous avons construit des fours de réchauffage, des parties de centrales, etc. Aujourd’hui, nous produisons de l’hydrogène, nous avons des partenariats importants en matière de défense et nous sommes majoritairement présents pour la sidérurgie. Le soutien à tous ces secteurs est bipartisan, la réindustrialisation fait l’objet d’un consensus total entre républicains et démocrates. Cela ne changera pas demain !” Les Américains sont divisés sur des faits sociétaux, dont l’importance de la lutte contre le changement climatique, mais ils n’abandonneront pas les technologies vertes pour autant, ils ne vont pas les laisser aux Chinois.” Le premier hub d’hydrogène vert, illustre-t-il, a été implanté au Texas, au milieu des champs de pétrole, dans un État à dominante républicaine.

Notre développement aux États-Unis n’est absolument pas menacé

“Notre développement aux États-Unis n’est absolument pas menacé, résume-t-il. Les réaménagements se feront à la marge. Par contre, les Américains craignent la dépendance à l’égard de la Chine qui s’est construite ces 20 dernières années. Et les républicains davantage que les démocrates: ils sont déterminés à prendre cela en main de façon bien plus forte. Il faut s’attendre à des droits de douane importants pour limiter cette influence, c’est certain. De façon légitime, ils vont, par ailleurs, demander à chaque partie du monde de traiter ses propres problèmes par elle-même.”  

La balle est dans le camp européen

La balle est dans le camp européen. “Depuis longtemps, nous comptons sur une aide américaine pour assurer notre sécurité collective et notre compétitivité, constate François Michel. On a toujours eu le sentiment que si l’Europe décroche, ce n’est pas trop grave parce que les Américains viennent nous sauver. Ce n’est plus possible. Ce sont des promesses que les États-Unis ne peuvent plus tenir dans la durée, même si c’est un grand peuple qui reste un ami de l’Europe. Il n’y a pas d’hostilité proclamée.”  

Les questions de compétitivité à l’égard des États-Unis ou de la Chine, “c’est à nous de les traiter comme Européens”, dit le CEO. “Il en va de même pour nos problèmes internes d’explosion du marché commun, de fragmentation de l’Europe ou de manque de coopération. Malgré l’effort de quelques gouvernements, notre incapacité à fournir des armes à l’Ukraine et à répondre à la menace russe de manière crédible est une honte ! L’Otan subsistera, mais le traitement des guerres à nos frontières, c’est à nous de le faire. Quitte à taxer nos populations pour avoir les moyens de nos ambitions militaires pour se faire respecter.”  

Est-on en état de le faire rapidement ? “Je suis fondamentalement optimiste. La situation européenne est très compliquée, nous sommes au devant d’une crise économique importante, notre niveau de vie va baisser et nous sommes en manque de sens de la construction européenne comme rarement. Mais nous avons des populations bien formées, des systèmes sociaux qui fonctionnent et des sociétés pluralistes, même si nous avons du mal à avoir des gouvernements stables. Il y a une volonté des peuples européens de travailler ensemble. Rien ne nous empêche de construire des projets forts ou des coopérations entre pays pour relancer une dynamique.”  

Le sursaut doit venir de nos dirigeants

Le sursaut doit venir de nos dirigeants. “Il nous faut des gouvernements d’action. Le rôle de la Belgique doit être important pour redonner confiance en l’Europe. La présidence Trump peut être une très mauvaise nouvelle comme elle peut être une bonne. Personne ne sait comment il va exercer le pouvoir. Les Américains ont choisi leur destin. De notre côté, cela nous rappelle à nos obligations. Et je trouve que nous sommes d’une légèreté inouïe pour traiter les sujets de compétitivité, d’intégration fiscale, d’intégration des marchés financiers et du réarmement. Le moment est venu pour l’Europe de se retrousser les manches. Collectivement, nous devons être à la hauteur.”  

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