Règlement de comptes à la FN Herstal
La Région wallonne a réclamé la démission de trois administrateurs de l’entreprise, suite au détournement de fonds de la part d’un employé. L’un d’eux dénonce une mauvaise gouvernance, qui découragera les industriels à l’avenir, et estime que cela lui porte préjudice.
“Ca flingue à tout va à la FN, trois hommes à terre.” Avec ce titre, le site d’un quotidien ne faisait pas dans la nuance ce jeudi 9 février. Le clin d’œil à l’industrie de l’armement ne manque évidemment pas d’un certain humour.
Mais pour les trois responsables concernés, le déchaînement médiatique soudain, avec son langage guerrier, s’accompagne d’une boule dans la gorge: alors qu’ils ne sont pas responsables de l’affaire qui a éclaté, les voici invités à démissionner par le gouvernement wallon.
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Philippe Claessens, ex-CEO de la FN Herstal, Jean-Sébastien Belle, président du conseil d’administration, et Laurent Levaux, président du comité d’audit, sont poussés dehors sans ménagement par l’actionnaire unique du fabricant d’armes, la Région wallonne.
Cet appel à démissionner est la conséquence d’un détournement de fonds à hauteur de 15 millions d’euros au service d’achats de l’entreprise. Une affaire dévoilée dans la presse qui fait immédiatement tressaillir des politiques régulièrement pointés du doigt pour les affaires en Wallonie: il leur faut réagir, rapidement, par crainte du tribunal des réseaux sociaux.
Quelle responsabilité?
Les faits se sont déroulés entre 2014 et 2022: un employé a profité d’un déficit de contrôle interne de ses supérieurs directs pour mener ses opérations frauduleuses. Par ailleurs agent de joueurs de football, cet employé menait grand train.
La mise en place d’un nouveau processus de “réconciliation” des dépenses (la correspondance entre les bons de commande et les factures finales) l’aurait confondu. Mais il aura fallu deux ans de travail au nouveau directeur des achats, un expert, pour découvrir cette fraude.
L’appel à un départ immédiat des trois administrateurs est annoncé par des fuites, puis par un communiqué à l’issue d’un conseil d’administration de Wallonie Entreprendre, le nouveau nom de l’outil économique et financier wallon (qui intègre l’ex-SRIW). Il ressemble à s’y méprendre à un sauve-qui-peut politique et à un équilibrage entre partenaires de la majorité régionale, PS et MR en tête: Jean-Sébastien Belle, ancien chef de cabinet du ministre Jean-Claude Marcourt, est étiqueté PS, tandis que Laurent Levaux est apparenté MR (mais il lui est arrivé aussi d’être nommé à une fonction par Jean-Claude Marcourt).
“C’est une décision prise à la légère sans même chercher à comprendre les responsabilités.”
Si Philippe Claessens et Jean-Sébastien Belle ont rapidement répondu à l’injection de la tutelle en se retirant, Laurent Levaux communique dans un premier temps: “Que les choses soient très claires: c’est une décision prise à la légère sans même chercher à comprendre les responsabilités, s’exclame-t-il le jour-même. Il n’est pas question pour moi de démissionner. Ce serait indigne et porterait un dommage à ma réputation et à celle de mon entreprise”. Les autorités wallonnes évoquent la “responsabilité morale” des trois administrateurs de l’entreprise. “Juridiquement, cela ne vaut rien”, coupe celui qui est aussi, entre autres, le CEO d’Aviapartner.
“Il n’y a pas d’élément qui permet d’associer ces trois personnes aux faits. Il n’y a pas de diffamation, précise à L’Echo Pierre Rion, président du conseil d’administration de Wallonie Entreprendre. On sanctionne leur rôle mais pas les personnes.” Le même Pierre Rion est chargé de procéder à “une évaluation du fonctionnement du conseil d’administration du groupe Herstal et de faire des propositions d’améliorations, également en termes de gouvernance».
“Un double préjudice”
Lorsqu’il répond aux questions de Trends-Tendances lundi 13 février, Laurent Levaux préfère se retirer, mais pour autant que cela se fasse en bonne gouvernance: il veut être entendu sur son mandat FN par le conseil d’administration de Wallonie Entreprendre.
Pour tout dire, le CEO d’Aviapartner ne s’accroche pas à cette fonction et, à titre personnel, ne vit pas mal le moment: sortir du risque FN et retrouver un peu de temps n’est pas pour lui déplaire, lui qui a déjà mené à bien l’opération de “nettoyage” des écuries Nethys tout en participant, notamment, aux réorganisations au sein de bpost, un mandat dont il a d’ailleurs demandé début novembre à être déchargé. D’autant plus que la gestion d’Aviapartner, dont il est propriétaire, ne fut pas simple pendant la crise du covid, de 2020 à 2022.
“C’est un très mauvais signal pour les industriels qui souhaiteraient s’engager.”
Laurent Levaux évoque “deux préjudices” importants. “Le premier préjudice est porté à la Région wallonne car il s’agit d’un nouvel exemple de mauvaise gouvernance, nous explique-t-il. Cette exigence de démission est irrespectueuse telle qu’elle a été exprimée et menée, surtout à l’encontre d’un entrepreneur qui investit énormément d’énergie au redressement d’entreprises publiques, notamment CBI et AMX. Depuis 2019, j’ai passé 40% de mon temps à redresser Nethys et à remettre l’éthique au centre des préoccupations avec son conseil d’administration, Renaud Witmeur et le management. Ce qui a ramené 1,5 milliard d’euros aux communes et à la Province. De manière plus générale, c’est un très mauvais signal pour les industriels qui souhaiteraient s’engager. A ce rythme, il n’y aura plus que des consultants juridiques ou des dirigeants retirés des affaires au sein des conseils d’administration. Et c’est mauvais pour l’entreprise: quand on dégomme des administrateurs comme ça, que doivent penser les acheteurs internationaux?”
Mettant sur la table les démarches entreprises pour tenter de mettre en place un audit interne et un compliance officer (qui veille à l’intégrité d’une entreprise et à ce qu’elle fonctionne de manière légale et éthique) depuis 2017, Laurent Levaux poursuit: “Le second préjudice me concerne car cela donne l’impression que je porte une responsabilité dans des détournements d’un employé d’un niveau inférieur, ce qui n’est pas le cas. J’ai reçu des dizaines de messages de la part de CEO pour me soutenir dans le fait de ne pas accepter cette tournure des événements en me taisant. Finalement, devant une telle mauvaise foi, je préfère me retirer”.
De l’huile sur le feu
Dans la tempête, même si elle ne concerne pas son activité première, le président du comité d’audit adopte le vieil adage selon lequel la meilleure défense, c’est l’attaque. Mais une fois la machine médiatique amorcée, il n’est pas sans savoir que les révélations risquent de se succéder. Le week-end dernier, L’Echo évoquait déjà FN Herstal ou “l’histoire d’une entreprise hors de contrôle” où “le culte du secret était érigé en art de vivre”. Une nouvelle révélation concernait ensuite une perte de 23 millions occasionnée par “une mauvaise couverture du taux de change euro-dollar” qui ne serait, en réalité, qu’une conséquence immédiate de la guerre en Ukraine.
L’opposition wallonne réclame déjà une commission d’enquête sur l’entreprise, à laquelle Laurent Levaux se dit tout à fait prêt à participer. Le PTB rajoute de l’huile sur le feu en demandant “où sont passés ces 40 millions”. “N’oublions pas de dire que la FN a généré 1 milliard d’euros de résultat sur 15 ans et qu’elle est devenue un leader mondial de l’armement”, souligne en retour Laurent Levaux. Le retour de la guerre en Europe a remis l’armement au cœur de l’actualité, tandis que le nouveau CEO, Julien Compère, a entrouvert les portes de l’entreprise pour plus de transparence. Pour le meilleur et pour le pire?
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