Luc Van den hove tire sa révérence après dix-sept ans en tant que CEO d’imec. Il est probablement la personne la plus importante du monde technologique belge. Il revient pour nous en exclusivité sur le secteur. Un secteur qui reste soumis à d’importants changements. “Pourquoi ne pourrions-nous pas donner naissance à une autre entreprise comme ASML ? Nous devons être ambitieux.”
Peu d’entreprises belges jouent un rôle aussi central dans l’économie mondiale qu’imec. Le centre de recherche louvaniste détermine discrètement à quoi ressembleront les puces de demain, et donc à quelle vitesse tourneront nos ordinateurs, à quel point nos voitures seront intelligentes et dans quelle mesure notre infrastructure numérique pourra être sécurisée. Depuis 2009, Luc Van den hove en tient la barre. À partir d’avril, il fait un pas de côté pour devenir président du conseil d’administration, à un moment où l’intelligence artificielle (IA) et la géopolitique redessinent radicalement le paysage technologique.
Comment le marché a-t-il changé depuis votre nomination ?
LUC VAN DEN HOVE. “La perception a énormément évolué. Beaucoup de gens réalisent seulement maintenant à quel point la technologie des puces est stratégiquement importante et combien une position de leader dans ce domaine est cruciale. Le Covid a été un signal d’alarme : soudain, on ne pouvait plus acheter de voiture, parce que la chaîne d’approvisionnement des puces était complètement perturbée. Nous avons tous pris conscience de notre dépendance envers Taiwan pour la production de puces. Les tensions géopolitiques se sont également accrues. Au plus haut niveau, on a commencé à comprendre que les puces ne sont pas des matières premières ordinaires, mais quelque chose d’une importance stratégique énorme.”
Quel est le rôle d’imec ?
“Nous sommes devenus le laboratoire de puces du monde. Dès un stade très précoce, imec s’est positionnée internationalement, parce que nous savions qu’en misant uniquement sur la Flandre nous ne ferions pas la différence. Imec a été créée en 1984. Par hasard, la même année qu’ASML, et nous avons grandi ensemble. Dans ces premières années, les entreprises apprenaient à connaître la technologie d’ASML grâce à nous. ASML développe les machines les plus avancées, imec se concentre sur leur utilisation et rassemble tout l’écosystème autour d’elles. Le résultat est que, pour fabriquer des puces, on ne peut pas contourner la technologie européenne. Imec ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui si nous n’avions pas eu ce partenariat avec ASML, et vice versa.”
Imec en bref
Fondée en 1984 avec le soutien du gouvernement flamand et sur l’initiative de la KU Leuven
6.500 employés de 108 nationalités différentes
Mène avec notamment Nvidia, TSMC et ASML des recherches sur la technologie des puces de demain
Accompagne et investit dans des start-ups, notamment via imec.istart et imec.xpand
Lors de votre nomination, vous aviez indiqué vouloir miser fortement sur la nanotechnologie et la bio-électronique. Dans quelle mesure cela a-t-il été réalisé ?
“Je pense que nous avons un programme très solide dans les deux domaines, mais la décennie à venir, nous pouvons encore fortement croître. Comme nous le voyons dans le secteur automobile, le secteur médical va encore connaître une transformation immense. Nous avons des atouts phénoménaux pour cela : nous sommes leaders en nano- et biotechnologie, avec notamment le VIB et notre secteur pharmaceutique. Nous y investissons depuis plus d’une décennie, mais nous devons absolument connecter encore plus ces deux écosystèmes.”
Vous devenez président du conseil d’administration. Quels grands chantiers attendent votre successeur, Patrick Vandenameele ?
“Patrick a commencé le processus de transition il y a deux ans. Je serai moins impliqué opérationnellement et me concentrerai davantage sur le long terme. L’IA sera un point d’attention important, tout comme les soins de santé. De plus, il y a encore beaucoup de croissance dans notre venturing. Nous devons créer des start-ups qui peuvent se développer. Nous fournissons également des services aux petites entreprises et nous avons une position unique dans ce domaine. Si une start-up veut faire produire une puce, ce n’est pas si simple. Nous la mettons en relation avec un fabricant et pouvons gérer toute la chaîne d’approvisionnement. Beaucoup de start-ups demandent aussi une nouvelle technologie qui n’est pas encore disponible chez ces fondeurs de puces. C’est un modèle dans lequel je crois beaucoup et que Patrick développera davantage sur le marché.”
‘Nous n’avons pas de pénurie d’idées et de personnes intelligentes, mais de capital-risque pour faire croître les start-ups’
Comment regardez-vous cette bulle de l’IA ?
“Nous sommes à un point de bascule. Les nouvelles architectures de puces feront la différence. L’un des grands défis dans ce secteur est l’augmentation exponentielle des besoins énergétiques. De grandes entreprises comme Nvidia et Google travaillent sur la prochaine génération de puces ; nous avons deux ou trois générations d’avance. C’est pourquoi nous misons également fortement sur des spin-offs comme Vertical Compute, une start-up qui place des voies de données verticales directement au-dessus des unités de calcul, ce qui réduit les déplacements de données et rend l’IA beaucoup plus économe en énergie.”
Pouvons-nous en Europe avoir suffisamment de puissance de calcul pour rester dans la course mondiale à l’IA ?
“Je le pense. Il y a une forte impulsion pour construire également des centres de données et des usines d’IA en Europe. Et pourquoi ne pourrions-nous pas donner naissance à une autre entreprise comme ASML ? Je pense que nous devons être ambitieux. Chaque hyperscaler (un géant du cloud comme Microsoft ou Amazon, ndlr) en Amérique a commencé avec une dizaine de personnes. Nous n’avons pas de pénurie d’idées et de personnes intelligentes, mais de capital-risque pour faire croître les start-ups.”
Vous avez dit en mai que la Chine avait encore des générations de retard en technologie des puces. Est-ce toujours le cas ?
“Si vous regardez purement les générations de technologie des puces, la Chine a deux générations de retard. Elle n’a pas accès à la technologie EUV d’ASML, nécessaire pour fabriquer des puces avec des transistors de moins de 5 nanomètres. Les Chinois peuvent aussi essayer de repousser les limites physiques sans EUV, mais le rendement de leurs processus sera inférieur et les coûts de fabrication plus élevés. Il n’est pas exclu que la Chine puisse encore faire un pas supplémentaire, mais cela devient de plus en plus difficile. Parce qu’ils ne peuvent pas utiliser la technologie de dernière génération, leurs centres de données consommeront plus d’énergie. Mais cela ne les empêchera pas d’avancer.”
Pouvons-nous encore collaborer avec des entreprises chinoises ?
“Le monde a radicalement changé. Nous travaillons avec toutes les grandes entreprises aux États-Unis, au Japon, à Taiwan, en Corée du Sud… Il devient plus difficile pour nous de collaborer avec des entreprises chinoises. Nous avons progressivement mis fin à des partenariats en ne renouvelant pas les contrats. Nous parlons beaucoup avec les Américains et le gouvernement américain. Il faut être sourd et aveugle pour ne pas ressentir la pression.”
‘Plus de 90 pour cent des puces avancées sont fabriquées à Taiwan. Même sans tensions géopolitiques, c’est un risque trop grand, en raison du danger de tremblements de terre’
L’Europe investit massivement dans la technologie des puces, mais reste fortement dépendante de la production étrangère. Devons-nous également miser pleinement sur notre propre capacité de production ?
“Plus de 90 pour cent des puces avancées sont fabriquées à Taiwan. Même sans tensions géopolitiques, c’est un risque trop grand, en raison du danger de tremblements de terre. Tout concentrer en un seul endroit a beaucoup d’avantages, mais ils ne compensent pas les inconvénients. C’est pourquoi TSMC développe un grand site en Arizona, et est également actif à Dresde. Nous négocions activement pour ne pas en rester là. Cela doit rester économiquement viable pour TSMC, car leurs gros clients sont en Amérique. C’est pourquoi nous ne devons pas seulement miser sur l’offre, mais aussi sur la demande. C’est-à-dire : développer des start-ups locales en conception de puces, afin qu’elles puissent répondre à la demande de demain. Nous devons avoir l’ambition d’essayer de créer un Nvidia européen. Parfois, vous pouvez faire la différence avec une poignée de personnes.”
L’Europe veut investir des dizaines de milliards dans la technologie de défense. Quel rôle imec peut-elle jouer là-dedans ?
“Il est évident que la technologie des puces y est également cruciale. Nous travaillons sur la technologie à double usage, mais ces dernières années notre position sur la défense a changé. Alors qu’il y a vingt ans, nous ne travaillions pas sur des projets dans ce secteur, maintenant on estime que c’est notre devoir de nous y investir. La vision générale d’imec est de développer une technologie qui mène à une vie meilleure. Dans la situation actuelle, notre tâche est de contribuer à la sécurité et à la résilience.”
Imec a, outre des spin-offs, également l’accélérateur imec.istart et le fonds de capital-risque imec.xpand. Dans quelle mesure ces initiatives sont-elles réussies ?
“Imec.istart a donné des opportunités de croissance à plus de 350 start-ups, dont Deliverect, et cela a conduit à plus d’un milliard d’euros de financement de suivi. Nous aidons les entreprises débutantes à obtenir du capital, à réaliser leurs plans d’affaires et à constituer une équipe. Par ailleurs, imec.xpand investit dans des start-ups qui s’appuient sur notre technologie. Souvent, elles ont besoin de plus de capital que les entreprises de logiciels. Nous y mettons nos propres ressources, mais des fonds publics, des banques et des partenaires privés investissent également. Le deuxième fonds d’imec.xpand s’élève à 300 millions d’euros, ce qui est tout de même solide selon les normes d’Europe occidentale. Imec.xpand n’investit pas seulement dans des spin-offs, mais aussi dans d’autres entreprises deeptech prometteuses qui collaborent étroitement avec imec. Un magnifique exemple est Celestial AI, une start-up qui a été rachetée début ce mois pour un montant d’un milliard. Celestial développe sa technologie d’interconnexion optique en collaboration avec imec, ce qui a permis à imec.xpand de voir très tôt l’opportunité d’investissement. Nous en récoltons maintenant les fruits, grâce au rôle pionnier que nous jouons dans la recherche en photonique sur silicium.”
Imec veut recruter jusqu’à deux mille personnes dans les années à venir. Où pensez-vous les trouver ?
“Grâce à notre notoriété et notre position unique, nous réussissons assez bien à attirer des talents. Notre organisation mise sur la recherche à long terme sur les fondements de la technologie des puces. Ici travaillent plus de cent nationalités sur l’infrastructure la plus avancée. Notre collaboration avec plus de 200 universités offre une base fantastique de doctorants à recruter. De plus, viennent aussi des gens d’hyperscalers qui n’ont plus besoin de le faire pour l’argent, mais pour la liberté de faire de la recherche fondamentale, et qui veulent avoir un impact sur la prochaine génération de technologie.”
‘Ce serait un drame pour le monde s’il y avait plus de complexité et que le découplage économique se poursuivait’
En 2008, imec a reçu 44 millions d’euros de soutien flamand. En 2024, c’était 157 millions, soit plus de 10 pour cent des moyens disponibles. Imec ne devient-elle pas trop dépendante des subventions ?
“En pourcentage, c’était toujours à peu près la même chose, et cela a crû avec notre chiffre d’affaires. 75 pour cent de notre chiffre d’affaires provient d’acteurs industriels, alors que dans des organisations comparables en France, en Allemagne et aux États-Unis, c’est plutôt 30 pour cent. L’argent public est extrêmement important pour pouvoir réaliser notre stratégie à long terme. C’est précisément ainsi que nous pouvons investir dans les industries qui seront importantes dans dix ans. Nous voulons transmettre les connaissances de manière aussi accessible que possible à l’écosystème local. Chaque euro que le gouvernement flamand investit dans imec génère, selon des études d’impact indépendantes, près de huit fois la valeur ajoutée et 4 euros de retour fiscal.”
Comment imec concilie-t-elle progrès technologique et durabilité ?
“La demande en puissance de calcul augmente de façon exponentielle. Vous pouvez faire croître les centres de données en conséquence, mais cela nécessite encore plus d’énergie. En innovant et en développant une technologie efficace, vous pouvez l’éviter. Cela peut se faire par exemple en développant de nouveaux types de puces. Actuellement, on se concentre sur des puces pour une application spécifique, mais le problème est que les algorithmes évoluent si rapidement qu’elles ne sont pas utilisables longtemps. Nous nous concentrons sur le développement de logiciels avec lesquels vous pouvez reprogrammer les puces, selon l’algorithme que vous voulez y exécuter.”
Où sera imec en 2035 ?
“C’est absolument notre ambition de renforcer notre position et de rester le lieu unique où tout l’écosystème se réunit. Nous le faisons d’abord en surfant sur les vagues de l’IA, des soins de santé et de la robotique. Ensuite, nous voulons rendre l’accès à l’écosystème aussi facile que possible, pour renforcer la prochaine génération d’entreprises européennes. Enfin, nous devons aussi continuer à développer et soutenir des start-ups.”
Quelle sera la plus grande menace ?
“Ce serait un drame pour le monde s’il y avait plus de complexité et que le découplage économique se poursuivait. L’industrie des puces doit son succès à une collaboration mondiale entre pays aux vues similaires, que nous espérons pouvoir maintenir. D’un autre côté, nous avons toujours réussi à faire de chaque défi une opportunité et imec peut jouer un rôle crucial en Europe.”
Avez-vous déjà pensé à devenir vous-même entrepreneur technologique ?
“Je n’ai jamais eu le temps d’examiner cela sérieusement. Pour moi, imec est une start-up de quarante ans. J’y suis depuis le début et comme des montagnes russes.”
Bio Luc Van Den hove
Né en 1960 à Turnhout
1983 : diplômé en tant qu’ingénieur civil à la KU Leuven
1984 : participe à la création d’imec
2009 : devient CEO d’imec
2026 : cesse d’être CEO et devient président du conseil d’administration
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