Devenu, l’espace de quelques jours, l’homme le plus riche du monde, le fondateur d’Oracle prend une éclatante revanche sur l’establishment de la tech qui se moquait de ses extravagances. Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche a changé la donne pour le phœnix de la Silicon Valley, qui a su gérer ses solides liens amicaux avec le président bien plus subtilement qu’un Elon Musk.
À respectivement 79 et 81 ans, ils viennent de réaliser les deux plus incroyables come-back de ce début du 21e siècle. Le premier est bien sûr Donald Trump, intronisé une nouvelle fois président des États-Unis en janvier. Le second s’appelle Larry Ellison, cofondateur d’Oracle, entreprise spécialisée dans le business peu glamour du stockage et du partage de données, qui est devenu, l’espace de quelques jours, l’homme le plus riche du monde dans le classement des milliardaires établi par Bloomberg. Il y a détrôné le 8 septembre Elon Musk, deux mois seulement après avoir franchi la deuxième marche aux dépens de Mark Zuckerberg. Détenteur de 41% des parts de son groupe, sa fortune est estimée à près de 400 milliards de dollars. Elle a fait un bond faramineux de 101 milliards en une seule journée !
Parcours pour le moins hors norme
L’un et l’autre reviennent de loin. Pas besoin d’épiloguer sur le parcours pour le moins hors norme du promoteur new-yorkais de retour dans le Bureau ovale après avoir été traîné devant les tribunaux et même frôlé la prison. Celui de l’actuel président d’Oracle, à qui on a maintes fois promis la faillite, n’est pas moins surprenant. À la fin des années 1990, quand il amusait la galerie par ses exploits sportifs, ses excentricités en tous genres et ses dépenses somptuaires, le titre d’un livre qui lui avait été consacré, sorti à un moment où l’avenir de sa start-up semblait encore incertain, avait fait de son ego hypertrophié un sujet de moquerie : “La différence entre Dieu et Larry Ellison, c’est que Dieu ne se prend pas pour Ellison”.
Aujourd’hui, on ne rit plus. Le 21 janvier, les deux hommes dévoilaient côte à côte à la Maison Blanche le projet Stargate, prévoyant des investissements à hauteur de 500 milliards de dollars dans les cinq prochaines années, pour accompagner les formidables développements de l’intelligence artificielle. Associé dans ce programme à SoftBank, le fonds du japonais Masayoshi Son, et à celui des Émirats arabes unis, le vieux “pirate” de la Silicon Valley s’offre une sorte de revanche. Loin d’être dépassé par la vitesse à laquelle se dessine cette nouvelle ère, il peut se vanter d’avoir rallié à ce chantier décisif Sam Altman, son junior de 40 ans, star de l’IA convoitée par tous les empires d’Internet depuis qu’il a créé ChatGPT.
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À l’assaut du cloud
Ce retour en haut de l’affiche s’explique d’abord par les résultats de plus en plus flamboyants de sa compagnie. Ceux de 2024 furent claironnés plus que communiqués, quelques semaines après l’annonce Stargate, par la fidèle Safra Catz, PDG d’Oracle. Se gardant les fonctions de président exécutif et de directeur technique (chief technology officer), le milliardaire a cédé le gouvernail il y a une dizaine d’années à cette banquière israélo-américaine de 63 ans qu’il avait recrutée en 1999 pour remettre de l’ordre dans ses finances, au moment où ses affaires partaient à vau-l’eau.
Une gagneuse pour qui, comme elle le répète à ses troupes, “chez Oracle, la médaille d’argent veut juste dire premier perdant”. Parti en 2012, avec retard, à l’assaut du cloud, archi-dominé par Amazon (AWS), Microsoft (Azure) et Google, le tandem a pu afficher l’an dernier une croissance record de 60% des revenus d’Oracle, et de 40% plus spécifiquement sur ce terrain ultra-compétitif.
Le foudroyant essor de l’IA, qui réclame de stocker des données toujours plus importantes, ouvre l’horizon des possibles à l’infini pour le champion des databases, même si, pour le moment, son patron gourou n’a pas réussi à faire partager à l’opinion son rêve glaçant d’utiliser cette nouvelle technologie pour mettre tout un pays sous surveillance médicale et policière…
Le foudroyant essor de l’IA, qui réclame de stocker des données toujours plus importantes, ouvre l’horizon des possibles à l’infini pour le champion des databases.
Se débarrasser des “terribles mots de passe à 17 caractères”
Il fallait le voir, avec la physionomie et l’allure d’un jeune sexagénaire, lors de sa conférence annuelle, en septembre 2024, célébrer l’avènement d’un “multi cloud world“, dans lequel Oracle allait permettre à ses clients, grâce à l’IA, de se débarrasser des “terribles mots de passe à 17 caractères, dont personne ne peut se souvenir, mais qui sont incroyablement faciles à contourner” et de rendre infalsifiables les 22.000 transactions sur cartes de crédit qui se font par seconde sur la planète. Le tout, promet-il, “en améliorant par un facteur 10 ou un facteur 100 la sécurité des données conservées dans le nuage”.
Le marché se montre plus que convaincu, malgré le risque que les énormes besoins d’investissements réduisent les marges du groupe. Depuis un an, aucun des colosses des Gafam ne parvient à égaler la progression boursière de son titre. Signe tangible de cette nouvelle jeunesse, le seul contrat annuel conclu par Oracle en juillet avec OpenAI, auquel il s’engage à fournir 4,5 gigawatts de puissance de calcul pour 300 milliards de dollars, “dépasse ce que lui rapportent tous ses clients dans le cloud réunis”, souligne Stéphane Distinguin, président de l’agence d’innovation FaberNovel. Un quart de siècle de remontada ininterrompue dans son business n’aurait toutefois pas suffi à transformer l’ancien trublion de la Silicon Valley en prophète de l’avenir numérique si l’arrivée de son ami Donald Trump à la tête de la première puissance mondiale ne lui avait pas ouvert providentiellement les portes de l’influence politique.
Vieux liens amicaux

Fasciné très tôt par les hommes de pouvoir, un Ellison de 24 ans avait fait sa première incursion dans cet univers comme petite main de la campagne présidentielle de Bob Kennedy, dont l’assassinat le traumatisa. Proche du parti démocrate, il a longtemps caressé l’idée de devenir gouverneur de Californie. Dans les années 1990, il fut un gros contributeur de la campagne de Bill Clinton, mais il arrêta de le financer quand ce dernier se choisit Al Gore, qu’il détestait, comme vice-président.
La première candidature de Trump, en 2016, le fait basculer dans le camp républicain. Au point que, selon le Washington Post, il aurait participé le 14 novembre 2020, moins d’un mois avant l’insurrection du Capitole, à une conversation téléphonique du cercle rapproché du président sortant sur la meilleure stratégie pour remettre en cause la victoire de Joe Biden. C’est donc tout naturellement qu’il lança la seconde campagne de Trump avec une spectaculaire levée de fonds organisée en février 2024 dans sa somptueuse résidence de Palm Springs, le Rancho Mirage Home, étalée sur près de 100 hectares et dotée, comme le Mar-a-Lago floridien, d’un golf pour milliardaires où s’égayent des sculptures de femmes nues.
Larry Ellison lança la seconde campagne de Trump avec une spectaculaire levée de fonds organisée en février 2024 dans sa somptueuse résidence de Palm Springs.
Pas de mise en scène
Mais s’il a traité royalement ses hôtes, lui-même s’est gardé d’y apparaître. Contrairement à Elon Musk, un autre ami qu’il encouragea à racheter Twitter, autour d’un homard et d’un tempura de crabe – lui donnant au passage un coup de main d’un milliard de dollars –, Larry Ellison n’a jamais mis en scène ses liens amicaux avec l’imprévisible président.

Privilège de l’âge, il le connaît depuis plus longtemps et partage avec lui les mêmes références générationnelles. Les deux hommes étaient en communication permanente lors du premier mandat, notamment par l’intermédiaire de Safra Catz, qui faisait partie de l’équipe de transition chargée d’installer le nouvel exécutif républicain à Washington, et à laquelle l’inattendu vainqueur de l’élection de 2016 proposa, en vain, le poste stratégique de chef du renseignement.
Leurs échanges sont devenus plus intenses et plus personnels pendant la crise du covid. Déjà à l’époque, un de leurs sujets de conversation portait sur le meilleur moyen de sortir TikTok de l’orbite chinoise. Maintenant que le contentieux avec la Chine semble en voie de résolution, le fondateur d’Oracle fait figure de favori parmi les repreneurs potentiels du réseau social préféré des jeunes.
Se voulant un soutien, mais pas un obligé, le fondateur d’Oracle se garde bien de chercher à capter la lumière auprès de son narcissique ami. À Washington, il laisse agir son lobbyiste, fervent trumpiste estampillé Maga, Ken Glueck, qui accueille représentants et sénateurs pour des entrevues plus ou moins secrètes dans une petite maison de brique rouge sur quatre étages, située à deux pas de Capitol Hill, acquise par la firme.
De discrets échanges de services
Lorsque Donald Trump convie, le 4 septembre, une trentaine de patrons de la tech à dîner à la Maison Blanche, pour s’entendre tresser des louanges et crouler sous les remerciements, Ellison s’empresse de céder la place à Safra Catz, s’évitant les humiliantes démonstrations d’obséquiosité dont firent preuve à cette occasion un Tim Cook ou un Mark Zuckerberg. Lui préfère les discrets échanges de services. Acheteur massif de puces pour ses data centers, Oracle a par exemple été un des bénéficiaires indirects de la levée des restrictions sur les exportations de puces en Chine accordée pendant l’été par l’administration Trump à Nvidia et AMD.
Bien qu’il ait pris soin de laisser à la manœuvre son fils David Ellison, patron de Skydance, une société de production dont il est le principal actionnaire, le patriarche de la tech a pour une fois été forcé d’afficher un peu plus la couleur pour mettre la main, au mois de juillet, sur Paramount, le studio légendaire de Hollywood pour 8 milliards de dollars.
L’opération a pris un tour très politique en raison du contentieux opposant, depuis la campagne électorale, le président américain à 60 Minutes, la très célèbre émission d’information de CBS, chaîne possédée par le conglomérat hollywoodien. À peine réélu, Donald Trump l’avait poursuivie en justice pour avoir, selon lui, outrageusement favorisé sa rivale Kamala Harris peu avant le jour du scrutin. Pour débloquer la vente, soumise à une autorisation fédérale, CBS a dû accepter de verser à la fondation présidentielle 16 millions de dollars en dédommagements… La première mesure de l’ère Ellison aura été de supprimer le Late Show de Stephen Colbert, la plus suivie des émissions humoristiques de fin de soirée, et la plus féroce à l’encontre de Donald Trump, à l’antenne depuis 33 ans…
Steve Jobs, le vrai ami
S’il s’est fait beaucoup d’ennemis, Larry Ellison a pu cultiver pendant 30 ans une amitié sans nuage avec Steve Jobs. Le patron d’Apple joua les photographes de mariage, lors du troisième d’Ellison avec Melanie Craft.L’un et l’autre étaient plus des ingénieurs avides d’innover que des financiers. Ils partaient en vacances ensemble à Hawaï, et avaient l’habitude de se réserver du temps pour des longues marches où ils s’échangeaient des conseils.
Le retour de Steve Jobs chez Apple après son exil forcé, en 1997, a été orchestré par les deux amis lors d’une de ces balades. Au cours d’une émission sur CBS, Ellison s’est amusé à tendre son bras droit vers le haut disant : “Là vous avez vu Apple avec Steve Jobs”, puis son bras gauche vers le bas : “Là vous voyez Apple sans Steve Jobs”.
Mais bientôt les marches n’ont cessé de se raccourcir. Après sept ans de lutte contre le cancer, Jobs a laissé son ami inconsolable. “C’était notre Edison, c’était notre Picasso”, continue-t-il à proclamer à chaque occasion.
Chef de guerre
Cette brutalité à l’égard de quiconque leur résiste constitue un trait commun aux deux tempéraments. Dans les affaires comme dans les jeux de pouvoir, ils se rejoignent sur la même philosophie, empruntée à Gengis Khan par Ellison : “Gagner n’est pas suffisant. Tous les autres doivent perdre.” Admirateur de Churchill et du général McArthur, le vainqueur des Japonais à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il se comporte avec ses concurrents comme un chef de guerre.
Pendant le procès antitrust contre Microsoft, en 2001, il n’avait pas hésité à payer des enquêteurs privés pour nourrir le dossier d’accusation, quitte à “faire les poubelles” de son concurrent, avec ce mot d’ordre : “Nous devons faire mal à Microsoft.” Après quoi, Bill Gates devint sa tête de Turc, un peu comme Joe Biden pour Donald Trump. Et il a eu aussi des mots très féroces pour Larry Page, qualifiant Google de “mal absolu”, inversant ce qui fut jusqu’en 2015 le slogan du moteur de recherche qu’il accusait de plagiat.
Champion du deal à sa façon, comme Trump, “il est un monstre commercial très dur en affaires”, résume Stéphane Distinguin, de FaberNovel. Une dureté qu’il met en pratique à l’intérieur de son groupe, tout en sachant récompenser par de généreux bonus ceux qui survivent. À l’aube des années 2000, l’entrepreneur confiait à Matthew Symonds, un journaliste de The Economist, qu’il ne croyait pas au fameux MBO (Management By Objectives) des business schools, étant partisan pour sa part du MBR (Management By Ridicule). “Vous devez passer des heures en réunion avec vos principaux dirigeants afin de leur expliquer pourquoi certaines de leurs idées sont totalement absurdes, confiait-il à son biographe. Ce n’est pas à la portée de tous les patrons. Il faut être doué pour l’intimidation intellectuelle et rhétorique.”
Tony Stark?
Pas étonnant que son vieil ami, le regretté Stan Lee, le créateur des super-héros de Marvel et “un génie” à ses yeux, ait pensé à lui pour le personnage de Tony Stark, alias Iron Man. Un leader selon ses goûts doit intimider, il doit aussi savoir mentir : “Prenez un officier à l’assaut d’une colline, celui qui ment et dit que ça va être une promenade de santé entraînera plus ses troupes que celui qui prévient que ce sera difficile et que tous n’en réchapperont pas.” Encore un point qui le rapproche de la méthode Trump.

Homme de la démesure, Larry Ellison partage plusieurs passions avec ce dernier. “Womanizer” compulsif, il en est à son cinquième mariage, avec une diplômée chinoise de l’université du Michigan plus jeune que lui de près d’un demi-siècle, Jolin Zhu. Ce qui ne l’a pas empêché de multiplier les conquêtes, souvent recrutées au sein même d’Oracle. Il avait rencontré l’une d’entre elles dans un ascenseur du siège. Après avoir été remerciée par la compagnie, elle l’avait ensuite accusé de viol. Elle perdit son procès, mais non sans avoir causé quelques dégâts à la réputation du séducteur
Voisin de Mar-a-Lago
Serial investisseur dans l’immobilier, le milliardaire est devenu voisin de Mar-a-Lago en Floride, en rachetant en 2022 un resort d’à peu près la même surface dans la luxueuse enclave de Manalapan à Palm Beach. Dix ans plus tôt, il a acquis l’île de Lanai, la sixième plus grande d’Hawaï, où il possède quasiment tout, y compris la compagnie d’aviation assurant la liaison avec le continent.
C’est devenu sa résidence principale depuis 2020 et le lieu pour accueillir les amis, comme Musk au moment de l’offensive sur Twitter, Tom Cruise ou Benyamin Netanyahou, le Premier ministre d’Israël dont il est un soutien indéfectible, aperçu l’an dernier à un cours de pilates. Dans ses nombreuses demeures californiennes, dorment des collections inestimables d’art japonais, de peintures du 18e et du 19e siècle, dont quatre Van Gogh, mais aussi de montres hors de prix et de voitures mythiques.
Le Japon au cœur
La passion de Larry Ellison pour la culture et l’esthétique japonaises remonte à un voyage d’affaires à Tokyo, alors que, jeune trentenaire, il travaillait pour AMdall, petit rival d’IBM. Sa visite à Kyoto lui inspire cette réflexion : “Les jardins japonais semblent avoir été peints par Dieu.”Une fois riche, le patron d’Oracle mettra 10 années à construire à Woodside, en Californie, un palais village japonais au bord d’un lac, reproduisant les maisons et les jardins de la ville impériale avec l’aide d’artisans recrutés au Japon. Il s’agit sans doute de la construction la plus coûteuse financée par un individu privé depuis le château de San Simeon de Randolph Hearst.Ellison aime s’y faire photographier en kimono traditionnel.
Malgré tout, il n’a pas résisté à s’offrir aussi une villa ancienne à Kyoto. Son yacht géant a été baptisé du nom d’un samouraï du 16e siècle, Musashi, célèbre pour son style à deux sabres. Détenteur d’une collection de plus de 500 pièces rares représentatives de mille ans d’art japonais, le milliardaire a accepté d’en présenter 64 lors d’une exposition à San Francisco en 2013.
Dans les affaires aussi, le Japon n’est jamais loin : à la fin des années 1980, c’est Nippon Steel qui est venu à la rescousse d’Oracle, en pleine débâcle financière, et pour son projet Stargate, il bénéficie de l’appui de Masayoshi Son, l’intrépide patron de SoftBank.
Le tennis et la voile
Ce sportif frénétique parsème ses résidences de golfs, mais il préfère le tennis et, surtout, la navigation. L’Indian Wells Tennis Garden, qui lui appartient, accueille un des plus importants tournois de tennis internationaux, dans la vallée de Coachella au sud de la Californie, organisé par BNP Paribas. Sa double victoire dans l’America’s Cup en 2010 et 2013 n’a pas totalement étanché sa soif pour les plus beaux et les plus rapides yachts du monde. Elle l’a amené à créer un championnat international rival de la prestigieuse compétition, le Sail GP, opposant des catamarans ultrarapides.
Pour ses seuls hobbys, l’insatiable jouisseur aurait dépensé, selon les calculs de Bloomberg, une douzaine de milliards de dollars en moins de 20 ans ! On est tenté d’y voir une façon d’effacer les souvenirs douloureux remontant à l’enfance d’un gamin du Lower East Side de New York que sa mère, abandonnée par son père, confia à une tante et un oncle de Chicago faute d’avoir assez d’argent pour l’élever. Il ne la reverra plus avant d’atteindre ses 46 ans.
“J’ai eu tous les inconvénients nécessaires pour le succès”
“J’ai eu tous les inconvénients nécessaires pour le succès” reste aujourd’hui encore sa phrase préférée. Le jeune homme turbulent abandonne ses études la vingtaine passée pour aller tenter sa chance dans l’eldorado californien. Son obsession naissante pour la navigation le conduit à engloutir les maigres ressources du foyer qu’il vient de fonder dans l’achat d’un petit bateau dans la marina de Berkeley. “Ma femme a trouvé l’idée stupide, m’a fichu dehors et demandé le divorce, aime-t-il raconter, pour amuser l’assistance lors de ses conférences dans les universités. Ce fut le moment pivot de ma vie.”
Bien obligé alors de la gagner plus sérieusement, ses talents de programmeur informatique lui permirent de trouver ses premiers jobs. C’est en emportant avec lui un contrat que son employeur avait avec la CIA qu’il crée sa start-up, en 1977, avec deux autres collègues, d’où naîtra Oracle en 1983.
La mort en option

Avec l’âge, la mort est devenue le principal adversaire de cet homme qui a tout. Rescapé par deux fois de graves accidents, au surf et à bicyclette, il a vu disparaître plusieurs de ses compagnons de mer lors de la plus meurtrière des régates de l’histoire, la Sydney-Hobart de 1998, dévastée par un ouragan qui contraignit presque la moitié des participants à l’abandon.
À la différence d’un Donald Trump, qui a comme lui échappé de justesse à la mort lors de la tentative d’attentat de juillet 2024, Ellison ne se contente pas de miser sur la seule postérité pour lui assurer une forme d’immortalité. Depuis plusieurs années, l’essentiel de ses investissements philanthropiques va vers des fondations ou des labos centrés sur la lutte contre les maladies de la vieillesse et pour l’allongement de la vie. Persuadé qu’avec l’IA, on est au seuil de percées décisives dans ce domaine, rendant “la mort optionnelle”.
“Quand les gens vous disent que vous êtes fou, c’est que vous êtes peut-être au seuil de la plus grande innovation de votre existence”, confessa-t-il un jour devant les étudiants de l’université de Californie du Sud, ajoutant avec un petit sourire : “L’autre possibilité, bien sûr, c’est que vous êtes réellement fou.”
Henri Gibier (“Les échos” du 17 septembre 2025)