Charly Herscovici (Fondation Magritte): “Ma mission, c’est mettre Magritte sur le toit du monde”
Charly Herscovici fuit les médias. Mais pour Trends-Tendances, l’héritier des droits intellectuels de l’œuvre de René Magritte s’est exceptionnellement prêté au jeu de l’interview vérité. Confidences en marge de l’ouverture d’un tout nouveau Bar Magritte à Bruxelles.
Ne vous attendez pas à un ciel bleu, des nuages et des chapeaux melon. Pour l’inauguration du tout premier Bar Magritte, la décoratrice Olga Polizzi a misé sur une période moins connue du célèbre peintre belge: ses années dites “cubistes” qui se sont étirées entre 1918 et 1922. Ce sont donc des couleurs vives et inattendues qui triomphent sur les murs de cette nouvelle place to be, au rez-de-chaussée de l’Hôtel Amigo à Bruxelles, propriété du groupe Rocco Forte. Un choix stylistique qui s’est fait en concertation avec Charles Herscovici, le gardien des droits intellectuels de l’œuvre de René Magritte.
Ma plus belle réalisation, entre guillemets, ça restera le Musée Magritte, pour l’éternité.
TRENDS-TENDANCES. Quelle est la raison d’être de ce nouveau Bar Magritte?
CHARLES HERSCOVICI. L’idée trouve son origine dans la volonté initiale de l’Hôtel Amigo de concevoir une suite dédiée à Magritte. Parallèlement, se profilait la rénovation de son bar. Et puis est venue cette idée, appuyée par la Ville de Bruxelles, de réaliser un Bar Magritte, tout simplement parce que Magritte, en tant qu’icône artistique, a un rayonnement mondial. Il y a un bar Stravinsky à Rome, à l’Hôtel de Russie. Il y a un bar Hemingway au Ritz, à Paris. Et il y a encore d’autres noms prestigieux qui sont attachés à des lieux de rencontre conviviaux à travers le monde. Alors, quand on m’a posé la question, je me suis dit qu’il n’y avait effectivement pas d’endroit aussi prestigieux à Bruxelles où l’on peut rencontrer des gens, boire le thé l’après-midi et prendre un verre le soir. Dans ce cas, pourquoi ne pas associer le nom de Magritte à un lieu de convivialité?
Combien l’Hôtel Amigo a-t-il payé pour utiliser la marque Magritte?
Magritte n’est pas une marque! René Magritte est un nom artistique et culturel, mais il n’a pas la même fonction qu’une marque commerciale. On ne parle donc pas ici du droit des marques, mais du droit d’auteur. Ce n’est pas la même chose. Magritte, ce n’est pas Delhaize, ni Coca-Cola! Magritte, c’est Magritte. Et quand vous voyez des produits, avec l’univers de Magritte, qui se baladent dans le monde entier, qu’il s’agisse de cartes postales, d’affiches ou de calendriers, cela reste du droit d’auteur. Ce n’est pas du tout un droit des marques.
Mais pour utiliser le nom de Magritte pour un bar ou autre chose, il faut tout de même avoir votre feu vert…
Mon souhait, c’est que le nom de Magritte ne soit pas associé à n’importe quoi et, ici, j’ai eu la chance d’avoir mon mot à dire. C’est vrai qu’au départ, j’étais hésitant à voir le nom de Magritte associé à un bar. Cependant, l’Hôtel Amigo est un établissement prestigieux et son bar un endroit reconnu. Après réflexion, j’ai finalement accepté l’invitation de l’Hôtel Amigo.
Je me permets de reposer la question: l’Hôtel Amigo a-t-il payé un gros montant pour pouvoir utiliser le nom de Magritte?
Non. Juste un euro symbolique! En fait, il y a un contrat qui existe entre l’Amigo et la société d’auteurs qui représente Magritte et qui est la Sabam. Pour ce projet, il s’agit d’un échange de services. L’Hôtel Amigo a pris en charge tous les travaux relatifs à la création de ce bar et met à disposition des chambres lorsqu’il y a de grands collectionneurs de Magritte qui viennent à Bruxelles.
C’est un “plus” pour Magritte?
Oui et j’en suis ravi! Ce bar devient un atout touristique pour Bruxelles et la Belgique, en contribuant à la promotion de l’art de Magritte. Cela rentre dans une suite de projets qui me tiennent à cœur. Moi, je collabore dans le monde entier autour de Magritte. Que ce soit à New York, à Sydney, à Tokyo, partout! Mais j’attache aussi une importance capitale à ce qui se passe chez moi, dans ma Belgique et dans ma ville de Bruxelles. Donc, ça rentre dans une sorte de perspective, de lignée. J’ai réalisé le Musée Magritte qui est devenu une institution incontournable en Europe. Les voyageurs étrangers se déplacent spécialement à Bruxelles pour le visiter. J’ai aussi réalisé et soutenu les Magritte du Cinéma. Et maintenant, il y a ce nouveau bar.
Vous nouez aussi des accords plus commerciaux en termes de produits. Je pense notamment au torréfacteur Rombouts qui a sorti un café et des tasses Magritte l’année dernière…
C’est une opération qui passe par la société d’auteurs. C’est la Sabam qui donne les droits. C’est la Sabam qui encaisse les droits.
Oui, mais ça rejaillit sur vous!
Ça rejaillit sur moi, vous avez raison, parce que la Sabam reverse une partie des droits. J’ai accepté que Rombouts véhicule les images de Magritte parce que Rombouts est signe de la qualité belge. Pourquoi ne pas boire son café le matin dans une tasse qui est accompagnée d’une illustration de Magritte? C’est ce qui s’appelle populariser l’image d’un artiste. Et le faire avec élégance.
Je suppose que vous êtes fort sollicité pour ce genre de démarche commerciale?
Je suis extrêmement sollicité, mais il ne s’agit pas de démarche commerciale comme je vous l’ai expliqué. Magritte est un peintre populaire. Et nous acceptons ce genre d’utilisation lorsque ça en vaut la peine. Comme pour la maroquinerie Delvaux qui a utilisé certaines œuvres pour ses sacs. Je suis ravi que les images de Magritte s’associent à une marque belge de qualité et d’attitude mondiale. Vous savez, mon rôle au quotidien, c’est avant tout de protéger l’artiste, de défendre le musée Magritte et de soutenir des expositions de qualité. Entretenir des relations avec tous les collectionneurs du monde, c’est une mission.
Quels sont vos revenus?
J’ai des revenus issus des droits d’auteur. Ce sont mes seuls revenus.
Sur lesquels vous êtes taxé?
Sur lesquels je suis taxé! Je suis bien taxé et je suis très heureux de l’être. Je suis content de payer mes impôts en Belgique. Je suis content d’entretenir indirectement les routes qui sont d’ailleurs mal entretenues à Bruxelles. Je suis profondément Belge et je suis reconnaissant à la Belgique d’avoir le système social que nous avons ici, chez nous, et que les autres nous jalousent. Je suis Bruxellois. Je suis content d’être Bruxellois. Et je vais mourir à Bruxelles en payant mes impôts. Voilà. C’est magnifique!
J’en reviens à votre mission et à votre rôle au sein de la Fondation Magritte…
C’est pérenniser l’œuvre. Défendre l’œuvre. Promouvoir l’œuvre. C’est le combat numéro un. Je le fais depuis 1985. Donc, cela fait pratiquement 40 ans. Ma mission, c’est mettre Magritte sur le toit du monde. Qu’il soit partout le premier, y compris d’ailleurs – et ça m’amuse – sur le marché de l’art. Moi, j’ai connu Magritte à 100.000 dollars. Aujourd’hui, il est vendu 40 millions de dollars, comme ce fut le cas en mai dernier à New York. Donc ça aussi, c’est une reconnaissance. C’est vraiment la reconnaissance économique pour Magritte. Il est aussi grand que Picasso. Il est aussi grand que Matisse. Je pense sincèrement que, si Magritte avait été parmi nous aujourd’hui, il aurait accepté ce cadeau.
Contrairement à ce que vous imaginez, l’argent n’est pas ma religion.
Cette “reconnaissance économique”, est-ce l’œuvre de Magritte ou estimez-vous, en toute modestie, avoir votre part de responsabilité?
Je suis très fier de vous dire que, effectivement, j’y suis pour quelque chose (rires)!
Au sein de la Fondation Magritte, vous avez, deux fois par an, un comité d’authentification des œuvres…
Oui. C’est la tâche la plus ingrate, mais c’est un devoir moral. Nous sommes obligés, moralement, qu’il y ait une instance officielle qui dise oui ou non lorsqu’on lui présente une œuvre supposée être de René Magritte. Il faut une instance qui fasse un peu le ménage dans le marché. C’est obligatoire.
Pourquoi? Y aurait-il de plus en plus de faux sur le marché?
Dès qu’il y a beaucoup d’argent en jeu, effectivement, ça donne des idées et il y a donc des faux. Il y a même beaucoup, beaucoup de faux! On nous soumet à peu près 50 œuvres par an. Cela va du dessin au tableau, en passant par la sculpture et le plâtre. Et il y a grosso modo 70% de faux.
On vous compare souvent à Nick Rodwell qui est le gardien de l’œuvre d’Hergé, mais vous ne fonctionnez pas de la même façon…
Notre situation est tout à fait différente. Moi, j’ai une fondation, mais je n’ai pas d’entreprise parce que je veux dormir tranquille. Je n’ai pas pris le parti d’avoir une société commerciale comme Moulinsart (devenue Tintinimaginatio, Ndlr), par exemple. Nick Rodwell a décidé de tout faire lui-même. C’est-à-dire d’avoir une entreprise avec 100 personnes qui travaillent pour lui. Moi, c’est tout le contraire. Je n’ai pas 100 personnes. J’ai une personne et c’est moi! A côté de ça, j’ai des sociétés d’auteurs de par le monde qui travaillent pour Magritte et donc indirectement pour moi. Ce sont elles qui reçoivent les demandes et qui me les font suivre. Ça arrive sur mon téléphone. Et je les traite moi-même. Voilà! Mais ne vous méprenez pas: Nick Rodwell est un exemple pour moi. C’est un exemple de rigueur, de talent et de respect. C’est quelqu’un de formidable.
Mais vous auriez pu suivre son “business model”, non?
Je ne l’ai pas fait parce que je ne suis pas d’un abord commercial. Je ne cours pas après les licences. Contrairement à ce que vous imaginez, l’argent n’est pas ma religion. Si je suis arrivé là où je suis aujourd’hui, c’est parce que j’ai donné du mien sans contrepartie. J’ai reçu une mission de la part de Georgette Magritte dans les années 1980. Je lui ai promis un musée. J’ai tenu parole. Je lui ai promis une fondation. J’ai tenu parole.
Vous conviendrez que votre histoire est assez extraordinaire: comment se fait-il que vous soyez l’unique ayant droit de l’œuvre de Magritte? Pourquoi vous?
C’est une bonne question. Et pourquoi pas moi? (rires)
Quel âge aviez-vous lorsque vous avez rencontré Georgette Magritte?
J’étais très jeune. Je devais avoir 18 ou 19 ans. Je l’ai rencontrée tout à fait par hasard, au Casino de Knokke, lors d’une exposition qui s’appelait Véloscopie, sur le thème du vélo à travers l’art. Nathalie Nellens, la fille de Roger qui était à l’époque gestionnaire du casino, m’a présenté son amie Georgette Magritte. Une sympathie s’est installée entre nous. Elle n’avait pas d’enfant, moi j’avais l’âge que j’avais, et elle s’est prise d’affection pour moi. Elle m’a tout appris en fait. J’ai pu la soutenir, la seconder, et je devais avoir une certaine valeur à ses yeux, puisque lorsqu’elle est partie pour l’éternité, elle a laissé un testament dans lequel il y avait quatre légataires particuliers: le Musée de Charleroi qui a obtenu quelques tableaux ; le Centre Pompidou qui en a reçu aussi ; la grande majorité des œuvres est arrivée aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique ; et les droits intellectuels sont arrivés chez moi. A ses yeux, j’étais prêt et capable de défendre Magritte dans le monde entier. Je lui suis encore très reconnaissant et je crois ne pas avoir fait beaucoup de fautes durant toutes ces années. Bien sûr, j’en fait quelques-unes. J’ai autorisé des choses que je n’aurais jamais dû autoriser. Mais sur le long terme, je pense que ma plus belle réalisation, entre guillemets, ça restera le Musée Magritte, pour l’éternité. J’ai envie de dire mon musée, parce que c’est un peu mon enfant.
Vous êtes le seul ayant droit de l’œuvre de Magritte. Pardonnez ma question, mais pensez-vous déjà à “l’après-Herscovici”?
Si une Fondation a été créée, c’est pour de bonnes raisons. Pas seulement des raisons liées à aujourd’hui, mais aussi des raisons liées à demain. Et j’ai d’ailleurs nommé, au sein de la Fondation, des personnes plus jeunes, intéressées par le monde de l’art et le monde du droit. Parce qu’il faut lier les deux. Il faut pouvoir être outillé au niveau de la connaissance de l’œuvre, mais aussi au niveau du droit d’auteur pour pouvoir bien gérer l’œuvre d’un artiste, quel qu’il soit.
Profil
· 1958: naissance le 5 juin à Bruxelles
· 1977: rencontre avec Georgette Magritte, veuve du célèbre peintre décédé 10 ans plus tôt
· 1985: décès de Georgette Magritte qui, dans son testament, désigne Charles Herscovici comme seul héritier des droits intellectuels de l’œuvre de René Magritte
· 1998: création de la Fondation Magritte dont il est président
· 2009: inauguration du Musée Magritte à Bruxelles dont il est l’initiateur
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