Mabru, le marché matinal bruxellois: un rôle critique et stratégique à préserver

Le marché matinal est doté de 26.800 panneaux photovoltaïques, soit la plus grande installation solaire de Bruxelles. © PG/Schmitt-globalview

Directeur général depuis 2014, Laurent Nys a assaini et développé Mabru, une ASBL de la Ville de Bruxelles. Le marché matinal bruxellois, comme ses 90 équivalents européens, assure un rôle essentiel dans la sécurité de l’approvisionnement alimentaire européen. Ce rôle sera, avec bien d’autres sujets, évoqué lors du prochain congrès international des marchés de gros.

Mabru, le marché matinal bruxellois, a fêté, le 2 mai dernier, son 52e anniversaire. En réalité, il s’agit de la date de son installation au quai des Usines, sur un site de 14 hectares. Ce marché existe, en effet, depuis des centaines d’années, mais il était éclaté dans de multiples endroits de la capitale.

Dans le livre sorti à l’occasion du 50e anniversaire, Pierre Wynants, l’ancien chef tri-étoilé du Comme chez Soi, se souvient d’avoir dû sillonner les rues de Bruxelles par tous les temps pour s’approvisionner en produits frais de qualité : les bouchers étaient à la Bourse, les poissonniers dans le quartier Sainte-Catherine, les fruits et légumes aux alentours du Petit Château et les volailles à la rue Antoine Dansaert. Déjà à l’époque, y évoluer en camionnette était très compliqué.

En 2025, le marché matinal est l’un des principaux points d’entrée de produits frais dans la capitale. Toutes les nuits, sauf le dimanche et les jours fériés légaux, des tonnes de fruits, de légumes, de volailles, de poissons, de fleurs, de légumes secs, de conserves, de surgelés et moult produits non food changent de main. Il est estimé qu’environ 10.000 tonnes de produits transitent chaque semaine par Mabru, qui accueille près de 22.000 visiteurs chaque mois. Mabru n’est pas un acteur privé, mais une ASBL de la Ville de Bruxelles. Elle est dirigée, depuis 2014, par Laurent Nys, un ancien restaurateur bruxellois (le Cap-Sablon) qui a aussi transité par la Fédération Horeca Bruxelles.

Une ASBL de la Ville

“Nous sommes une ASBL de la Ville, mais nous ne recevons pas le moindre argent public, souligne-t-il. Depuis une récente ordonnance, Mabru a été intégrée aux structures soumises à la règle des marchés publics. C’est assez ridicule vu l’absence de deniers publics, mais il faut bien s’y plier, même si cela freine notre efficacité. Mabru fonctionne avec ses rentrées : le loyer des différents magasins, les visiteurs qui paient 4 euros par entrée et le prix de location d’espaces concédés.

“Nous sommes une ASBL de la Ville, mais nous ne recevons pas le moindre argent public.” – Laurent Nys, directeur général de Mabru

Par exemple, Tadal, spécialisé à l’origine dans les produits venus de Turquie, a construit son propre espace – un cash & carry et un entrepôt gigantesque – sur un terrain que nous lui louons. Pareil aussi pour Sligro, l’ancien Metro ou pour Veolia qui assure le recyclage de nos déchets, mais dispose également d’une ouverture séparée sur la ville. Nous dopons aussi nos rentrées avec la fameuse brocante du dimanche qui s’étend sur l’ensemble de notre parking. Il s’agit d’un contrat annuel très rémunérateur. Enfin, nous autorisons aussi Flixbus à stocker ses autocars en journée sur notre parking. À raison de 20 euros par bus par jour. D’autres compagnies en ont eu vent et font de même. Nous essayons de valoriser nos installations au maximum. Avant mon arrivée, Mabru était en perte permanente depuis 10 ans. Nous sommes en bénéfice désormais, même si, avec l’inflation des coûts, c’est de plus en plus compliqué.”

Rénovation et panneaux solaires

En 10 ans, Mabru a utilisé ses bénéfices pour rénover ses cinq halls de vente et son espace logistique où, entre autres, une trentaine d’espaces sont loués aux maraîchers de rue. Ils y stockent les marchandises achetées et viennent les rechercher au cours de la semaine au gré de leurs besoins et de leurs présences sur les marchés.

En 2018, le marché matinal s’est aussi doté de la plus grande installation solaire de Bruxelles avec 26.800 panneaux répartis sur les toitures et les carports du parking et payés, en tiers investisseur, par Engie. Dans cinq ans, l’énergéticien cessera de payer un loyer et Mabru deviendra propriétaire des panneaux. Vingt personnes sont employées par l’ASBL auxquelles s’ajoutent la dizaine d’agents de sécurité qui sont présents 24/7 et la dizaine d’agents de nettoyage issus du CPAS de Bruxelles qui a décroché le marché public.

Finalement, vu l’aspect commercial des lieux, on peut s’étonner que ce marché conserve un statut public.

Privatiser les lieux ?

“Je suis un libéral, mais privatiser, je réponds non !, assène Laurent Nys. Cela fait sens de conserver un statut public. D’ailleurs, la plupart de nos collègues mondiaux ont aussi ce statut. Pourquoi ? D’une part, cela assure un foncier à un prix raisonnable. Nous payons un loyer mesuré à la Ville. D’autre part, pour garantir l’accessibilité de Mabru et la diversité de l’offre. Avec un privé, il y aurait immanquablement une inflation des loyers et il ne subsisterait que les gros marchands. Mabru deviendrait Amazon Fresh.

Nous avons une centaine de marchands, petits comme grands, et c’est essentiel pour maintenir la diversité des produits et une qualité excellente. Vous savez, en France, les marchés de gros sont protégés par des lois et sont d’ailleurs appelés marchés d’intérêt national. La concurrence est interdite à proximité, le financement public est massif, ainsi qu’une volonté de délocalisation pour assurer dans tout le pays la distribution de produits de qualité et garantir la sécurité de l’approvisionnement alimentaire.”

Environ 10.000 tonnes de produits transitent chaque semaine par Mabru. © PG/Benjamin Brolet

Un métier exigeant

Plus d’une centaine d’entreprises, marchands et grossistes sont présents à Mabru. La liste d’attente est longue et un départ est compensé dans la journée. Il est estimé que ces vendeurs y génèrent un chiffre d’affaires aux alentours des 800 millions d’euros annuels. Ces dernières années, grâce à Tadal, Mia Trading et Ona Trading, Mabru est devenu une plaque tournante de la nourriture dite ethnique et des produits méditerranéens. Ce sont ces produits qui ont dopé la croissance de notre marché matinal. À titre d’exemple, de grands distributeurs espagnols sont alimentés en produits ethniques au départ de Mabru…

Ces dernières années, Mabru est devenu une plaque tournante de la nourriture dite ethnique et des produits méditerranéens.

“Ce sont nos trois plus gros locataires, confirme Laurent Nys. Si je leur donnais 10.000 m² supplémentaires, ils les prendraient. Pour les gens issus de l’immigration, ce métier est une façon élégante de s’élever dans la société. Tadal, ce sont deux frères originaires de la partie chrétienne de la Turquie. L’un fait le jour, l’autre s’occupe de la nuit. Ils n’arrêtent jamais. Travailler au marché matinal, c’est extrêmement éprouvant. Les gens arrivent à 21 heures et repartent, si tout va bien, vers 11 heures. Six jours sur sept. C’est dur socialement et physiquement.

C’est pour cette raison qu’aucune entreprise, ou quasi, n’est reprise par les enfants. Ils ont vu leurs parents et ne veulent pas de cela pour eux. Récemment, un couple est parti à la retraite. En 40 ans de présence, ils n’avaient pris qu’un seul jour de vacances lors du décès de leur fille. Mais ils ont bien gagné leur vie. Pour toutes ces raisons, il y a une certaine consolidation à l’œuvre et je pense qu’à terme, Mabru ne comptera plus que 80 vendeurs.”

Le gratin mondial à Bruxelles

Du 5 au 7 novembre, Mabru accueillera le congrès de l’Union mondiale des marchés de gros, soit environ 300 participants venus de marchés de gros du monde entier. Trois jours pour découvrir Bruxelles, les activités de Mabru et faire du networking. Avec des orateurs hors milieu comme les économistes Roland Gillet, Rudy Aernoudt ou le ministre David Clarinval pour la Belgique, les participants vont aussi échanger leurs bonnes pratiques, parler des avancées technologiques (comme le rôle de l’IA dans la gestion de tels marchés) ou évoquer les dernières nouveautés en matière de durabilité. Il sera aussi question de lobbying.

“En juin dernier, je suis devenu le patron du groupe européen des marchés de gros, soit environ 90 institutions, poursuit Laurent Nys. J’ai été porté à ce poste, entre autres, parce que je suis voisin des institutions européennes. Il est nécessaire de conscientiser les décideurs politiques et européens du rôle que nous jouons. Quand je parle de tous les accomplissements de Mabru, la plupart de politiciens belges tombent des nues. Les marchés européens alimentent 200 millions de citoyens tous les jours et pourtant, la Commission européenne nous oublie dans ses projets de transition alimentaire durable et d’autonomie alimentaire stratégique.

Cependant, nous avons montré notre rôle crucial pendant le covid. Mabru n’a pas fermé un seul jour pour garantir l’approvisionnement. La guerre en Ukraine et ses conséquences, notamment sur les prix de l’énergie, ont démontré la fragilité de nos chaînes d’approvisionnement. Mais nous n’avons jamais cessé de travailler, sans baisse de volumes. Nous garantissons une concurrence loyale face aux grands distributeurs et nous soutenons les producteurs locaux. Nous sommes un maillon essentiel dans la résilience alimentaire et devons être reconnus comme tel.”

Projet Dream

David Weytsman, le nouveau président du CPAS de Bruxelles, parlera aussi au congrès la semaine prochaine. Et pour cause, depuis 2015, l’institution bruxelloise est associée à Mabru au sein du projet Dream, qui vise à maximaliser la récupération des invendus du marché et donc, à lutter contre le gaspillage alimentaire.

“Huit ETP (équivalents temps plein, ndlr) du CPAS travaillent ici en permanence, conclut Laurent Nys. Ils récupèrent chaque jour deux tonnes d’invendus et les redistribuent aux ASBL que le CPAS a labellisées. Nous sommes l’un des seuls marchés à faire cela de façon aussi structurée. Le CPAS dispose de frigos à demeure et de camionnettes pour livrer les marchandises sans traîner. Depuis ce projet, je n’accepte plus aucune ASBL du même genre sur le site. Elles doivent passer par le CPAS. Cela a aussi chassé des drôles de cocos qui faisaient la chasse aux invendus sous couvert de charité, mais les revendaient dans leurs magasins.”

Après le covid, aucune entreprise présente à Mabru n’est tombée en faillite. Ce qui démontre leur faible dépendance à l’horeca. Très majoritairement, leurs clients sont des maraîchers de rue, des épiciers, des petits supermarchés franchisés ou encore des traiteurs. Y voir traîner des chefs étoilés est une image d’Épinal véhiculée adroitement, notamment par Rungis en France. Même si cela arrive évidemment. Avoir la haute gastronomie comme client n’en demeure pas moins essentiel pour pousser la qualité des produits proposés vers le haut.

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