Paul Vacca
“L’ubérisation n’aura-t-elle été qu’un mauvais rêve?”
Aujourd’hui, avec un peu de recul, nous sommes en mesure de faire le bilan des ubérisations.
Airbnb n’a pas eu une incidence aussi désastreuse qu’annoncé sur le marché de l’hôtellerie. Airbnb progresse et le marché des hôtels aussi. Uber n’a pas réussi à étouffer son opposant historique, le taxi. Netflix, qui voit son nombre d’abonnés augmenter de façon insolente, n’a pas non plus asséché les cinémas qui voient leur nombre de spectateurs augmenter et de nouveaux territoires tels que la Chine s’ouvrir…
L’ubérisation n’aura-t-elle donc été qu’un mauvais rêve ? Se serait-on fait des frayeurs – ou des espoirs – pour rien ? Dans une précédente chronique, nous affirmions même que l’ubérisation n’avait pas eu lieu. Pour être plus précis, elle n’a pas eu lieu comme on l’avait prévu. Les effets produits sont simplement différents que ceux qui étaient attendus au départ.
Dans le cas d’Airbnb, si le marché de l’hôtellerie n’a pas été décimé comme on pouvait s’y attendre, en revanche, l’apparition de la plateforme communautaire de location développe des effets endémiques sur le marché de l’immobilier dans les villes où elle se trouve. Par un effet domino, elle a fait disparaître toute une frange de logements accessibles à la location – notamment à destination des étudiants et des jeunes qui arrivent sur le marché du travail. Globalement, cela eu pour effet d’accroître la tension sur le marché locatif dans les grands centres urbains déjà bien tendus.
Pour Uber, au lieu de remplacer son concurrent historique, cela a eu pour effet d’ouvrir le marché à d’autres ubérisateurs qui s’ubérisent entre eux : Lyft, Chauffeur Privé, Taxify, etc. Avec l’effet collatéral d’engorger les centres-villes, là où ils étaient appelés à être une promesse de fluidité et une solution aux problèmes de circulation.
Si Netflix, n’a pas vidé les salles de cinéma, la menace qu’il représente avec la possibilité de produire 80 films par an à lui seul (sans compter les séries évidemment) et en toute liberté, pousse Hollywood à se retrancher dans sa stratégie de franchises à coup de sequels, prequels, spin-off, cross-over et remakes en tous genre… Bref à offrir ad nauseam du déjà-vu.
Lorsqu’une entreprise devient assez puissante pour ubériser les acronymes, il est peut-être temps de s’inquiéter vraiment.
Et qu’en est-il alors d’Amazon ? Son cas est plus complexe puisque c’est un multi-disrupteur. Il est sur tous les fronts. Il y a d’ailleurs du Jurassic Park chez lui. Il y a une dizaine d’années, son modèle paraissait obsolète, inadapté à l’agilité nécessaire dans le nouveau monde, courant trop d’ubérisations à la fois… Or aujourd’hui, il fait figure de Disruptosaurus Rex, le plus terrifiant de tous les ubérisateurs. Sa voracité n’a aucune limite : après s’être attaqué aux librairies, il veut être maître du cloud avec sa filiale AWS ; avec Prime Video, il produit des séries et des films mettant au défi Netflix et Hollywood ; sur le vocal, il a pris une avance avec son enceinte intelligente Echo et son assistante Alexa, lui assurant une porte d’entrée vers le commerce en ligne.
Commerce en ligne dont il reste l’effroyable dominateur. Au point que même les stratégies mises en place par ses concurrents ne font que renforcer sa puissance. Voici un exemple qui fait froid dans le dos. On sait que certains grands distributeurs, pour se rapprocher d’une clientèle urbaine qui ne se déplace plus dans les hypermarchés et pour contrer les effets d’Amazon, investissent des emplacements dans les centres-villes. En agissant ainsi, c’est encore la fortune de Jeff Bezos qu’ils assurent à leur corps défendant. Car on a pu remarquer que certains clients entrent dans ces supermarchés, mais plutôt que de s’emparer d’un chariot, brandissent leur smartphone afin d’y scanner les produits sur une application. Puis ils en ressortent les mains vides sans avoir à faire la queue. Seul geste à la sortie : ils appuient sur la touche envoi de leur application Amazon qui se fait un plaisir de leur livrer leurs courses dans l’heure.
Jusqu’à présent, l’acronyme ROMO désignait Research Online Purchase Offline, la pratique qui consistait à rechercher un produit en ligne pour l’acheter en magasin. Avec Amazon, le même sigle ROMO prend une signification inverse. ROMO signifie Research offline Purchase Online. Lorsqu’une entreprise devient assez puissante pour ubériser les acronymes, il est peut-être temps de s’inquiéter vraiment.
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