Avec Willy Naessens, la Flandre a peut-être perdu son entrepreneur le plus célèbre. Cet autodidacte a laissé derrière lui un empire grandiose selon les normes flamandes. Il a préparé sa succession des décennies durant. “Willy était une pièce unique. La marque reste Willy Naessens. Tout le monde connaît ce nom. C’est aussi un hommage au défunt.”
Le holding consolidé de Willy Naessens s’appelle Koutermolen. En excellente santé financière, il représentait fin 2023 un total de bilan de près de 700 millions d’euros. Le siège social de la société, Kouter 3 à Elsegem, est aussi le lieu de naissance de l’entrepreneur le plus célèbre de Flandre.

Dans le hameau de Wortegem-Petegem, en Flandre-Orientale, les parents de Willy possédaient un moulin, le Koutermolen. Selon sa biographie officielle sur le site web de Willy Naessens Group, le fils du meunier a quitté l’école à l’âge de 14 ans. Il a commencé à élever des poulets, construisant lui-même un poulailler. À partir de 1974, il en a aussi construit pour des tiers, avec l’entreprise Willy Naessens Hokkenbouw.
De là est né un empire grandiose selon les normes flamandes. La demande en poulaillers était énorme, notamment grâce à la technique alors nouvelle du béton préfabriqué. Cet autodidacte était en avance sur son temps. La préfabrication permet de raccourcir les délais de construction. Le montage dépend aussi bien moins des conditions météorologiques que le coulage traditionnel du béton.
Après les poulaillers sont venus les hangars, bâtiments industriels et piscines. Willy Naessens est devenu le “roi des piscines de Flandre”. Presque tout le monde a déjà vu quelque part dans le pays le slogan : “Nog een werf Willy Naessens” (Encore un chantier Willy Naessens). Le compteur affiche plus de 10.000 réalisations en Belgique et au Luxembourg, selon le site internet de la principale société d’exploitation, la SA Willy Naessens Industriebouw. L’entreprise est ainsi le leader du marché dans la construction de “biens industriels et de bâtiments industriels au sens large”.
Une entreprise valorisée en milliards
Le holding Koutermolen compte des dizaines de filiales. Quinze d’entre elles réalisent chacune plus de 15 millions d’euros de produits d’exploitation. Les filiales travaillent l’une pour l’autre, ce qui explique les produits d’exploitation élevés. À l’échelle consolidée, ces chiffres sont partiellement éliminés. Ainsi, Koutermolen enregistre encore 937 millions d’euros de produits d’exploitation pour l’exercice 2023.”En 2024, nous avons dépassé le milliard d’euros de produits d’exploitation”, déclare Filip Van Hautegem. Le gendre de Willy Naessens est le responsable de la production du groupe.

Les chiffres élevés des sociétés individuelles sont aussi la conséquence du cheval de bataille de Willy Naessens : l’intégration verticale. À une époque où céder, externaliser et se concentrer sur les activités principales devenait essentiel, l’entrepreneur a tout internalisé. “Tout sous un même toit”, décrit l’entreprise sur son site internet. Presque tout est réalisé en interne. Un bureau d’études interne maîtrisant les pompes à chaleur, une entreprise de travaux de terrassement, 11 usines de béton, une entreprise d’étanchéité, un atelier de menuiserie en aluminium. Des équipes internes montent les éléments en béton préfabriqué et disposent d’un parc de machines de plus de 50 grues.
Il y a un parc de plus de 500 tracteurs routiers et semi-remorques. Tous en propriété.”Je suis un fermier à l’ancienne : tout doit m’appartenir, déclarait Willy Naessens dans une interview à Trends en mars 2013. Les terrains, les bâtiments, les camions et autres équipements figurent tous au bilan. C’est ainsi que je joue la sécurité.”
“Je suis un fermier à l’ancienne : tout doit m’appartenir. Les terrains, les bâtiments, les camions et autres équipements figurent tous au bilan.” – Willy Naessens (en 2023)
Du béton aux piscines
En tête du top 15 se trouve la SA Willy Naessens Industriebouw. Cette société très rentable bénéficie pleinement de l’intégration verticale. Avec The Circle, l’entreprise mise également sur la durabilité. Il s’agit d’un concept de modules de construction, dont 70% des éléments peuvent être réutilisés sans aucune modification pour de nouveaux projets.
L’activité principale du groupe est le béton. Six des entreprises du top 15 produisent principalement du béton préfabriqué, pour des usages variés. Certaines sont des acquisitions, comme Megaton à Ninove. En 1982, cette entreprise spécialisée entre autres dans les poutres standard en béton pour ponts a été rachetée. Cette acquisition a failli mettre fin au jeune Willy Naessens Group. L’entrepreneur a passé des mois sans sommeil à cause de la lourde dette.Une usine nouvellement construite est la Willy Naessens Construct à Audenarde. Elle produit des éléments préfabriqués de 4 m de haut, 16 m de long, et pesant jusqu’à 32 tonnes. L’usine est stratégiquement située sur la rive de l’Escaut. L’approvisionnement en matières premières se fait par bateau. Toutes les usines de béton du groupe sont équipées de systèmes étendus de recyclage de l’eau, rendant inutile tout apport externe.
Il n’y a pas que le béton
Dans le top 15, il n’y a pas que des entreprises de béton. Mutec à Waregem est un spécialiste de l’isolation et de l’étanchéité des toits plats industriels. Depuis 2009, près d’un demi-milliard de mètres carrés de toitures ont été étanchés. L’entreprise a été acquise en 2013 par le groupe Willy Naessens.
La quinzième entreprise est la SA Willy Naessens Swimming Pools. L’entreprise a installé plus de mille piscines, principalement en Flandre. C’est un marché en forte croissance : les produits d’exploitation sont passés de moins de 9 millions d’euros en 2018 à 15,5 millions d’euros lors de l’année record 2023.”Que doit faire un particulier s’il dispose d’un peu d’argent ?, déclarait Willy Naessens à Trends fin 2021. À la banque, il en perd ; les actions sont risquées. Donc, que s’achète-t-on beaucoup aujourd’hui ? De belles voitures, des bateaux ou des piscines.”
Son hobby : les chevaux
Le grand hobby de cet autodidacte, les chevaux, se retrouve dans l’entreprise numéro huit de notre liste: la SA Snoeck Gebroeders. L’entreprise de Wielsbeke a été acquise en 2015 par Willy Naessens Group. Elle est spécialisée dans les structures métalliques complexes.
Elle construit entre autres des centres équestres avec pistes d’équitation, écuries ou boxes pour chevaux, “comprenant selleries, douches pour chevaux, pistes fermées et solarium”, selon le site web. L’une de ses réalisations est l’hippodrome de Waregem, où se déroule une célèbre épreuve de steeple-chase : Waregem Koerse. Willy Naessens Group est un sponsor majeur de l’événement.
Aussi dans l’alimentation
Tout ce que l’entrepreneur touche ne se transforme pas en or. Le groupe a aussi cherché la diversification dans le secteur alimentaire. En 2019, le producteur de viande Meat Atelier a été racheté. L’entreprise du boucher Patrick Souffriau “veut ramener l’artisanat pur et le goût d’antan dans la boucherie et le service traiteur”, selon le site. Cela se fait en collaboration avec 19 magasins AD Delhaize. Willy Naessens Group a investi beaucoup dans son expansion. Le résultat est maigre. Fin 2023, la SPRL Meat Atelier affichait une perte reportée de plus de 4,5 millions d’euros.”La situation s’est inversée entre-temps, nuance Filip Van Hautegem. 2024 était encore légèrement déficitaire, mais la situation s’est déjà améliorée au premier trimestre 2025.”
Meilleure est la combinaison des familles Naessens et Depuydt d’Ostende. Ce sont les numéros deux et trois de notre classement. Huppa est le nom générique d’une plateforme de vente de produits frais de marques locales, nationales et internationales. La boutique en ligne propose plus de 12.000 articles : des produits frais (boulangerie, charcuterie, fromage, salades, viandes et volailles, etc.) pour des bouchers, épiceries fines, supermarchés indépendants et centrales d’achat.

Après Willy ?
Que devient l’empire après le décès du grand patron ? Willy Naessens préparait sa succession depuis des décennies. Depuis 2004, son bras droit Dirk Deroose gère l’opérationnel tandis que Willy Naessens occupait le siège de président du conseil d’administration.
Chaque filiale dispose également de sa propre direction. “Nos directeurs peuvent faire ce qu’ils veulent, à une condition : ils doivent gagner de l’argent, disait Willy Naessens fin 2021. S’ils réussissent, on passe au maximum deux fois par an pour boire un café. S’ils ne gagnent pas d’argent, on installe notre lit dans leur entreprise jusqu’à ce que le problème soit résolu. Ils le savent. Le plus important, c’est de contrôler le portefeuille, lire les bilans.”
“Nos directeurs peuvent faire ce qu’ils veulent, à une condition : ils doivent gagner de l’argent.” – Willy Naessens (en 2021)
La deuxième tâche la plus importante de Willy Naessens était les relations publiques du groupe. “Il faut faire de la publicité partout où l’on peut. J’ai fait beaucoup de bruit, disait-il. Je suis une petite attraction. Il fallait aussi que les médias nous suivent. Cela ne marche qu’en faisant les fous. Faire des choses stupides, ça se remarque. Et ça ne me coûte rien.”
Aussi connu que fût Willy Naessens, ses enfants Veerle et Sem sont restés discrets. “Veerle est responsable de la communication entre le secteur alimentaire et la direction, indique le site. Sem s’occupe principalement des investissements et de la gestion immobilière.” Ce dernier pilier constitue une activité distincte, seulement partiellement intégrée dans le holding Koutermolen.
Privilégier la marque
Les deux enfants apparaissent aussi comme administrateurs dans les principales entreprises du groupe. Le père a aussi mis en place un système qui rend difficile la vente du groupe familial. Chaque année, les enfants peuvent vendre au maximum 1% des actions. Les deux bénéficient d’un droit de préemption. “Celui qui vend peut très bien vivre avec ce 1%, et l’autre peut le racheter, expliquait Willy Naessens fin 2021. L’un ne peut pas faire saigner l’autre. Je trouve que c’est un bon système.”
Sur le papier, tout est donc réglé. “Opérationnellement, aucun changement n’est nécessaire, souligne Filip Van Hautegem. Bien sûr, la disparition de Willy Naessens a un impact sur l’image de l’entreprise. Willy était unique. Nous n’allons pas le copier, ce serait du faux. Nous allons désormais privilégier la marque plutôt que la personne. Mais le nom reste Willy Naessens. Tout le monde connaît ce nom. C’est aussi un hommage au défunt. Ses enfants Sem et Veerle seront également de plus en plus les visages de l’entreprise.”