Marc Buelens
Lettre ouverte à Sophie Dutordoir : ‘Qu’ont fait vos prédécesseurs ? Attendu ? Godot ?’
“Vous n’êtes pas une société de trains, vous n’êtes même pas une société de transport, vous êtes une société de services. Vous travaillez avec des gens pour des gens.” Marc Buelens, professeur émérite à la Vlerick Business School, s’adresse ainsi à la femme à la tête de la SNCB, Sophie Dutordoir.
A la CEO de la SNCB
Chère Madame Dutordoir,
Pendant la moitié de l’année 1972, j’ai travaillé comme rédacteur pour votre société. Je travaillais pour le service des statistiques, qui appartenait à la direction Finances. Etant donné que j’avais besoin d’un tableau de la direction Commerce, j’ai dû écrire une lettre, la faire relire par mon chef de service, la faire taper par une dame du pool des dactylos (accès interdit aux hommes), la faire signer par mon chef de service et adresser celle-ci au supérieur du collègue de la direction Commerce qui, à son tour, a transmis la lettre à mon collègue, qui a rédigé une réponse… démarrant le cycle inverse.
Des jours plus tard, j’ai reçu mon tableau. Entre-temps, j’étais techniquement au chômage et j’ai fait de ce que faisaient la moitié de mes collègues : attendre.
Attendre
Voilà une vraie organisation hiérarchique, des vrais silos. A présent, je lis que vous voulez supprimer ces silos et faire de telle sorte que le personnel travaille davantage ensemble dans votre organisation. Qu’ont fait vos prédécesseurs ? Attendu ? Godot ? Précisément ce que de nombreux voyageurs doivent perpétuellement faire depuis tant d’années : attendre. Godot et des trains.
Par la suite, je suis allé travailler à la Vlerick School où, depuis l’automne 1972, j’ai entendu des experts expliquer le concept de développement organisationnel, une mode de l’époque, surtout connue sous son abréviation anglaise, O.D.
Les thèmes centraux de l’O.D. étaient des organisations plus horizontales, une communication ouverte, un apprentissage à partir de ses propres erreurs, moins de hiérarchie, moins de silos. Vous avez découvert que la SNCB n’en avait jamais entendu parler 45 ans plus tard.
En cas de catastrophe ferroviaire, on réclame une commission d’enquête. Ma mémoire peut me jouer des tours, mais je me souviens que la SNCB comptait à l’époque 50.000 membres du personnel, les Chemins de fer néerlandais 35.000.
Les personnes sont importantes, mais je déduis à présent de votre déclaration, que l’on a mal géré ce grand nombre de personnes pendant au moins cinquante ans. Car vous dites que le HR ne fonctionne toujours pas comme il se doit à la SNCB. Il me semble que cela en vaille la peine d’étudier d’où provient ce dysfonctionnement.
Puis-je me permettre un petit calcul ? La SNCB a ‘gâché’ ou employé inutilement au moins 10.000 personnes pendant au moins cinquante ans (pension comprise, ce serait bien davantage). Ce calcul simple m’apprend qu’il s’agit d’au moins 25 milliards d’euros. Négligence coupable selon moi. Est-ce punissable ?
Qu’ont fait les prédécesseurs de la CEO Dutordoir à la SNCB ? Attendu ? Godot ?
Madame, tout n’est pas perdu. J’habite à nouveau en Belgique depuis quelques semaines et voyager en train belge est un plaisir (en dehors des heures de pointe, je le crains). Propre, ponctuel, confortable.
Jusqu’il y a peu, j’habitais au Royaume Uni, où les trains sont décrépits, dangereux, voire même un peu sales. Les avantages de la privatisation ne sont pas toujours évidents. Bravo à votre personnel. Les accompagnatrices de train en particulier sont super aimables, orientées client, recherchent une solution à un problème que l’on a créé soi-même (abonnement oublié ? Madame, êtes-vous en première classe ?).
En deux jours, j’ai tout de même vu trois horloges à l’arrêt et un escalator en panne. Votre charmant collaborateur à Gand m’a raconté que c’était ainsi depuis déjà quatorze jours. A Malines, un tel escalator est resté à l’arrêt pendant deux ans je pense, avec un panneau ‘sera bientôt réparé’. Cela vous l’avez bien observé, madame, les escalators en panne doivent être réparés rapidement.
Si l’approbation de crédits qui durait auparavant trois semaines ne dure aujourd’hui plus qu’un quart d’heure, les escalators pourront dans ce cas peut-être être réparés, disons, en trois heures ?
Société de services
Si vous demandez à quelques groupes de projet ou cercles de qualité ce qu’il faut faire pour réparer des escalators en quinze minutes, ces groupes de projet (en avez-vous jamais entendu parler à la SNCB ?) vous apporteront des solutions remarquables. La plus réaliste résultera en trois heures.
Ou les cercles de qualité trouveront peut-être dix petites améliorations concrètes, qui diminueront à chaque fois de moitié le temps entre la panne et la réparation. Cela s’appelle du process management, une approche populaire depuis 1980 et dont, je l’espère, la SNCB va aussi bientôt faire la découverte.
Je vous souhaite tout ce qu’il y a de meilleur. Et n’oubliez pas une chose. Vous n’êtes pas une société de trains, vous n’êtes même pas une société de transport, vous êtes une société de services. Vous travaillez avec des gens pour des gens. Avec quelque 36.000 travailleurs pour des millions de clients, tous les jours. A Noël aussi.
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