L’étrange mort d’Isak Andic: l’empire Mango ébranlé ?

Isak Andic - HANDOUT / AFP / Belga Image
Muriel Lefevre

La tragique disparition d’Isak Andic, fondateur du géant de la mode Mango, connaît un nouveau rebondissement. Portrait de l’homme derrière l’une des success stories les plus remarquables de l’industrie textile espagnole.

La mort d’Isak Andic, fondateur du géant de la mode Mango, continue d’intriguer l’Espagne. D’abord attribuée à un accident de montagne survenu en décembre 2024, elle fait désormais l’objet d’une enquête pour « possible homicide », selon la police catalane. Au cœur des soupçons : son fils, Jonathan Andic, seul présent lors de la chute mortelle, même si aucune preuve définitive ne vient étayer la thèse criminelle.

Des contradictions dans ses déclarations et des tensions familiales évoquées par Estefanía Knuth, compagne du défunt, ont poussé la juge de Martorell à rouvrir le dossier en mars dernier. En septembre, le statut de Jonathan Andic est passé de témoin à suspect.

Jonathan Andic

De l’Istanbul des années 1950 aux vitrines de Barcelone

Né en 1953 à Istanbul dans une famille juive séfarade, Isak Andic quitte la Turquie à 16 ans pour Barcelone. Avec son frère Nahman, il débute modestement dans la vente de chemises importées avant d’ouvrir, en 1984, sa première boutique Mango sur le Passeig de Gràcia. Inspiré par un voyage aux Philippines, le nom de la marque résume déjà son intuition : un mot simple, universel et lumineux.

Rapidement, Mango devient un phénomène. Dans l’Espagne post-franquiste, avide de modernité, la marque impose un style urbain, accessible et coloré. En moins de dix ans, une centaine de magasins ouvrent dans le pays, puis au Portugal, en France et au-delà. À l’image d’Inditex et de sa marque phare Zara, Mango s’inscrit dans le modèle de la “fast fashion” : produire vite, s’adapter aux tendances en temps réel, proposer des prix accessibles. Mais là où Inditex diversifie avec Massimo Dutti, Pull&Bear ou Bershka, Mango reste fidèle à son identité unique. Andic fait le pari de l’unité : tout sera Mango — un choix rare dans un secteur dominé par les conglomérats multimarques.

Mango marque de vêtement fondée à Barcelona, par les frères Isak Andic et Nahman Andic en 1984 – Belga Image

Une mécanique industrielle redoutable

Sous son apparente simplicité, Mango repose sur un modèle d’efficacité : production externalisée, logistique centralisée et adaptation ultra-rapide aux tendances. De comprimer les coûts tout en maintenant une flexibilité maximale. Sans posséder d’usines, le groupe s’appuie sur un réseau de partenaires en Turquie et en Asie, coordonné depuis un centre logistique géant près de Barcelone, « El Hangar ». De là partent chaque année près de 160 millions d’articles vers les quatre coins du monde.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2024, Mango a réalisé un chiffre d’affaires de 3,339 milliards d’euros, en hausse de 7,6 % par rapport à l’année précédente. L’EBITDA bondit de 19 % pour atteindre 636 millions d’euros, tandis que le résultat net progresse de 27 % à 219 millions d’euros. Sur cinq ans, la croissance cumulée du chiffre d’affaires dépasse 40 %. Précurseur du e-commerce, Mango tire aujourd’hui près d’un tiers de ses revenus du digital.

Au premier semestre 2025, le groupe a poursuivi sur cette lancée avec une croissance de 12% (14% à taux de change constant), atteignant 1,73 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Une prouesse dans un secteur textile européen qui traverse une période difficile. Les faillites se succèdent tandis que d’autres enseignes peinent à maintenir leurs marges.

Un héritage à la croisée des chemins

Isak Andic, dont la fortune était estimée à 4,5 milliards de dollars (Forbes), restait un personnage aussi influent que discret. Longtemps marié à la Catalane Neus Raig Tarragó, il aura trois enfants : Jonathan, Judith et Sarah. Tous ont occupé des fonctions dans l’entreprise ou dans la holding familiale Punta Na, propriétaire du groupe.

Visionnaire mais réservé, Andic incarnait un capitalisme familial à l’ancienne, fondé sur le travail et la continuité plus que sur le culte de la personnalité. Après son décès, la transition s’est donc opérée sans heurts apparents : Toni Ruiz, directeur général depuis 2018, a pris la présidence du conseil d’administration, tandis que Jonathan Andic est devenu vice-président avant de se retirer, en juin 2025, de ses fonctions exécutives. Le groupe a depuis renforcé sa gouvernance, accueillant notamment Helena Helmersson (ex-H&M) et Manel Adell comme administrateurs indépendants.

Malgré l’onde de choc, Mango reste un modèle de résilience : 2 800 points de vente dans 120 pays, 15 000 employés, et une ambition intacte — faire de la marque catalane un rival durable des géants mondiaux du prêt-à-porter.

Isak Andic préférait laisser parler ses résultats plutôt que sa personne. C’est donc bien malgré lui que cet entrepreneur hors norme fait aujourd’hui la une.

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