Rudy Aernoudt
“Les zombies sont nocifs pour l’économie”
Des nouvelles euphoriques sur la diminution du nombre de faillites pleuvent chaque mois. De 14.000 par an il y a cinq ans, les faillites sont retombées à 10.000 par an aujourd’hui. Formidable, s’exclament les politiques et les commentateurs en choeur. Oui mais … ” tout ce qui brille n’est pas or “, comme dit la sagesse populaire.
Il convient de nuancer quelque peu cette belle euphorie. Une des raisons pour lesquelles certaines entreprises ne mettent pas la clé sous le paillasson tient aux taux d’intérêt historiquement bas. Les canards boiteux qui auraient dû logiquement disparaître arrivent à survivre et contrarient le développement d’une saine concurrence. Telles les entreprise zombies…
Mais qu’est-ce qu’une entreprise zombie ? Une entreprise financièrement non viable. La définition technique se base sur le taux de couverture des intérêts. Est qualifiée de zombie toute entreprise dont les bénéfices d’exploitation ne suffisent pas à payer les charges financières (intérêts) pendant trois années consécutives. Autrement dit, dont le taux de couverture des intérêts est inférieur à 1%.
Mais quel mal y a-t-il à ce que certaines entreprises continuent à fonctionner en mode survie ?, rétorquera le lecteur critique. Les zombies ont pour défaut de gloutonner un maximum de ressources, tant en termes de capitaux que de main-d’oeuvre. Les capitaux investis dans ces entreprises échappent à l’économie productive. Idem pour la main-d’oeuvre : bon nombre d’entreprises peinent à trouver des travailleurs qualifiés tandis que ceux-ci se retrouvent ” coincés ” dans des entreprises zombies. Cela freine le processus de ré-allocation des facteurs de production, avec un impact non négligeable sur la productivité de la région. Quand le nombre de zombies augmente de 3,5% – ce qui fut le cas en Europe entre 2005 et 2015 -, la productivité régionale baisse de 1,2%.
Qui plus est, les zombies suivent une stratégie de survie qui induit le rétrécissement des marges, ce qui a pour effet de rogner les marges bénéficiaires normales du marché et de créer une sorte de concurrence déloyale vis-à-vis des entreprises plus saines et plus productives. La faible productivité des zombies biaise la concurrence par l’instauration de marges (trop) faibles, de salaires trop élevés (par rapport à la productivité) et le maintien artificiel d’effectifs moins productifs, le plus souvent grâce à des subventions salariales. Les entreprises de pointe se voient ainsi obligées d’affronter, avec le peu de moyens dont elles disposent, des entreprises inefficaces sur un marché souvent saturé.
Il vaudrait donc mieux, pour la bonne santé de l’économie, que les entreprises zombies cessent leurs activités et soient mises en liquidation. Un constat déjà émis par Schumpeter il y a un siècle. La ” destruction créatrice ” est indispensable à une économie saine. La suppression de l’existant et la construction du neuf sont sources d’innovation. Pour ce qui est de la construction, le bilan est assez positif mais la suppression se fait attendre.
Si les zombies sont tellement nocifs pour l’économie, pourquoi les maintient-on à flot ? Les zombies arrivent à survivre pour diverses raisons. Pour commencer, les banques préfèrent afficher des crédits en cours que des prêts remboursés. Si tous les zombies étaient déclarés en faillite, les pertes comptables des banques augmenteraient de façon drastique. Selon une étude de l’OCDE, ce sont les banques moins solvables qui enregistrent le plus de crédits zombies. Par ailleurs, le gouvernement continue à soutenir les entreprises zombies pour faire bonne figure en matière d’emploi et à les maintenir en vie le plus longtemps possible par toute une panoplie de mesures légales, des subventions aux prêts subordonnés en passant par les marchés publics. Les syndicats, pour les mêmes raisons, battent eux aussi des mains et des pieds pour que les zombies survivent envers et contre tout. La stigmatisation de la faillite fait en sorte que les entreprises familiales postposent la décision le plus longtemps possible.
Il y aurait quelque 60.000 entreprises zombies en Belgique, soit six fois plus que le nombre d’entreprises qui déposent le bilan chaque année. Un Belge sur sept travaille dans une entreprise zombie. Seule l’Espagne affiche des chiffres encore plus alarmants. Quinze pour cent des capitaux servent à financer des zombies, plus encore en Italie. Faut-il attendre la remontée des taux d’intérêt pour assister à l’assainissement du marché ou vaudrait-il mieux mener une politique d’euthanasie proactive vis-à-vis des entreprises sans perspective d’avenir ?
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