Les voyages d’affaires plus durables mais encore nécessaires
Sauter dans un avion pour aller voir un client sans réfléchir, cela arrive beaucoup moins que par le passé. Les entreprises font des choix plus conscients, en partie parce qu’elles veulent devenir climatiquement neutres. Mais les voyages d’affaires restent irremplaçables pour nouer des relations avec des clients et des partenaires dans des pays lointains.
Tout comme les voyages d’agrément, les voyages d’affaires repartent à la hausse. Selon l’office statistique belge Statbel, 5,77 millions de voyages ont été effectués au cours du deuxième trimestre de cette année, dont 4,29 millions à l’étranger. Par rapport à la même période en 2022, nous avons voyagé 14% de plus cette année. Il y a même eu 5,1% de voyages en plus par rapport au deuxième trimestre de 2019, la dernière année avant la pandémie, lorsque le secteur des voyages était en pause.
La grande majorité des voyages sont privés. Les voyages business ont représenté environ 8% des 5,77 millions de voyages au deuxième trimestre 2023. Les voyages d’affaires ont augmenté de 2,9% par rapport à la même période en 2019, avant la pandémie de Covid-19 qui a déclenché un certain nombre de changements sociaux.
Le travail à domicile est devenu monnaie courante depuis lors, la technologie permettant de se réunir et de collaborer à distance a considérablement progressé, et la détérioration des conditions économiques incite les entreprises à surveiller leurs coûts de manière plus rigoureuse. Depuis la pandémie, de nombreuses entreprises ont aussi modifié radicalement leurs politiques de développement durable. La mobilité est peut-être le levier le plus important à cet égard.
Pourtant, les chiffres montrent que ces changements ne signifient pas la fin des voyages d’affaires. Les contacts personnels avec les partenaires commerciaux et les clients restent irremplaçables dans de nombreuses situations. Une entreprise technologique qui veut conquérir le marché américain doit s’assurer d’une présence très importante dans ce pays. Toutefois, les voyageurs business, en particulier pour les déplacements de courte durée, sont moins enclins à sauter dans un avion. Ils effectuent le plus souvent leurs déplacements en train à grande vitesse. Pour chaque situation, les entreprises réfléchissent beaucoup plus attentivement à la meilleure option: voyager ou rester à la maison, combien de temps voyager, rester à l’hôtel ou non? Lorsqu’elles voyagent, elles doivent y trouver leur compte et l’expérience du voyage doit être rationalisée, avec des contrôles de sécurité et des procédures d’enregistrement rapides. C’est pourquoi, entre autres, le marché des jets privés – non durables – est en plein essor.
Nous avons demandé à trois chefs d’entreprises comment ils abordent la question.
1. Pieterjan Bouten président de Showpad
“Avant le covid, je voyageais entre les Etats-Unis et l’Europe 14 à 15 fois par an. En 10 ans, j’ai accumulé 2,7 millions de miles. J’ai commencé à connaître personnellement les membres de l’équipage de United Airlines”, raconte Pieterjan Bouten, cofondateur et président de l’entreprise gantoise de logiciels Showpad. Après 10 années intenses, il a passé à Hendrik Ysebaert le flambeau de CEO du spécialiste de l’aide à la vente.
“J’ai toujours essayé de tirer le meilleur parti de ces voyages en les planifiant au mieux. Je prenais l’avion à Amsterdam parce que c’est de là que partait le premier vol européen à destination de San Francisco. Par conséquent, malgré le décalage horaire, j’arrivais à temps pour participer à deux réunions le même jour. La dernière réunion de mon voyage n’avait lieu que quelques heures avant le vol de retour. Je m’assurais aussi d’avoir mangé quelque chose au préalable, afin de pouvoir dormir dans l’avion sans avoir à attendre qu’on nous serve un repas.”
Au bout de deux ans, l’entrepreneur technologique a commencé à se rendre compte de la difficulté des voyages: “C’était vraiment épuisant, surtout quand je restais là-bas 10 jours. Ensuite, je reprenais l’avion alors que le décalage horaire venait juste d’être digéré. J’ai alors compris que je ne maintiendrais ce rythme que si je vivais sainement. Je ne buvais pas beaucoup de café, presque pas d’alcool, je mangeais sainement et je faisais de l’exercice. Même aux Etats-Unis, j’ai maintenu mon rythme belge autant que possible. Je me levais à trois heures du matin à San Francisco et à cinq heures à Chicago. Après une heure de courrier électronique, j’allais me promener, puis je prenais un petit- déjeuner sain. A huit heures du soir, j’étais dans mon lit.”
Malgré ce mode de vie sain, Pieterjan Bouten s’est parfois réveillé aux Etats-Unis sans savoir immédiatement dans quelle ville ou même quel pays il se trouvait. “La pandémie a été pour moi une pause bienvenue après 10 ans de voyages incessants. J’avais trois jeunes enfants et je construisais une maison. Depuis que j’ai passé le flambeau en tant que CEO, je me concentre principalement sur l’investissement en tant que business angel. Les voyages ne me manquent pas vraiment.”
A quel point était-il étrange de devoir soudainement travailler à domicile après toutes ces années de voyages transatlantiques? “Les six premiers mois, j’ai été très productif, mais au bout d’un moment, j’ai commencé à être fatigué par Zoom et Teams. J’étais sur Zoom pendant 10 à 12 heures parce que les autres membres de la direction se trouvaient aux Etats-Unis. Ces nombreuses réunions en ligne ne me donnaient plus d’énergie. J’aime travailler avec les gens en face à face.”
Depuis, Showpad a resserré sa politique en matière de voyages d’affaires, explique Pieterjan Bouten. “Nous gérons ces déplacements de manière beaucoup plus intelligente, le budget est plus serré et l’aspect écologique entre également en ligne de compte. Il y a encore beaucoup de voyages d’affaires mais ils ont diminué de 40 à 50%. Aujourd’hui, nous organisons souvent des événements. Cela permet de réduire les déplacements car nous réunissons les clients dans une certaine région pour cet événement. Notre équipe peut alors voir beaucoup de monde en même temps.”
“Mes voyages aux Etats-Unis ont été utiles. Si vous voulez lancer une entreprise aux Etats-Unis, vous devez y être. J’y ai également vécu avec ma famille pendant un certain temps, puis j’ai voyagé en Europe pour le travail pendant que ma famille y restait, explique Pieterjan Bouten. Rien ne vaut le contact interpersonnel pour établir une relation avec un client.”
2. Ann Claes co-CEO de JBC Retail Group
L’entreprise familiale limbourgeoise JBC Retail Group est le groupe qui chapeaute les chaînes de vêtements JBC, Mayerline et CKS. Comme pour la plupart des entreprises de mode, de nombreux fournisseurs se trouvent en Asie. “Deux fois par an, je me rends en Chine, en Inde et au Bangladesh. Nous avons une dizaine de partenaires en Chine et six au Bangladesh», explique Ann Claes, co-CEO de JBC Retail Group avec son frère Bart Claes. “J’essayais de voir les entreprises partenaires régulièrement et les autres au moins une fois par an. Une entreprise qui fabrique des jeans est différente d’une entreprise qui fabrique des vestes. Pour ces usines, il fallait parfois faire plusieurs heures de route, mais j’estimais qu’il était important d’y aller.”
Comme Pieterjan Bouten, Ann Claes avait mis au point une routine de voyage pour travailler le plus efficacement possible. “Je prenais l’avion le soir pour arriver en Extrême-Orient le matin et pouvoir commencer à travailler immédiatement. Je prenais le vol de retour vers minuit. Je prenais soin de manger quelque chose avant et je prenais un somnifère pour pouvoir dormir tout de suite.”
“Après la pandémie, je suis retournée au Bangladesh et en Inde parce que ces deux pays ont rouvert leurs frontières plus tôt, mais je ne suis toujours pas retournée en Chine, explique Ann Claes. Je m’y rendrai bientôt, près de quatre ans après ma dernière visite. Cette démarche est nécessaire parce que le travail à distance a ses limites.”
“Si vous travaillez par courrier électronique, les contacts deviennent moins intenses et plus distants au bout d’un certain temps. Nous avons essayé de renouer avec des réunions en ligne. Nous travaillons beaucoup avec l’application chinoise de médias sociaux WeChat. Pour les employés chargés des ventes et de la négociation des commandes, il est important qu’ils puissent à nouveau se rendre sur place. Ils ont besoin de ces contacts personnels.”
JBC Retail Group est fortement engagé dans le développement durable et cela contribue à déterminer sa politique de voyages. “Nous nous demandons toujours si un voyage est vraiment nécessaire. Doit-il avoir lieu deux fois par an? Pour des destinations comme Paris, nous prenons le train. Le nombre de voyages est inférieur à celui de 2019 et, au rythme actuel, nous ne reviendrons pas à la situation d’avant la crise sanitaire.”
3. Kristof Lambert “country managing director” chez Accenture Belux
“Nous avons considérablement réduit les déplacements internes mais les voyages business restent importants pour aider nos clients ou nouer des relations avec eux», explique Kristof Lambert, country managing director du consultant Accenture Belux. Depuis la pandémie, l’entreprise est passée à la vitesse supérieure en matière d’utilisation de la technologie. Elle a incité ses partenaires et ses clients à travailler également avec des outils de collaboration numérique, tels que Microsoft Teams, et dans le monde entier, Accenture a accueilli plus de 150.000 nouveaux employés par l’intermédiaire du métavers. “Les nouveaux employés ont été accueillis sur le sol virtuel d’Accenture, lors d’une réception virtuelle. Ils pouvaient ensuite suivre un parcours où nous leur expliquions, par exemple, les valeurs de l’entreprise.” Des sessions de formation sont également parfois organisées dans le métavers, ce qui permet d’éviter un déplacement lointain.
Comme ses collègues d’Accenture, Kristof Lambert prend moins l’avion qu’auparavant. “Je travaille désormais à domicile un à deux jours par semaine. Pour les longs trajets, l’avion est de plus en plus souvent remplacé par le train. Pour les trajets de moins de 2,5 h, le train est obligatoire. Environ 90% des voyages de 2,5 à 3,5 h au départ de la Belgique sont effectués en train plutôt qu’en avion. Ceci est conforme à notre politique de développement durable. Nous voulons être climatiquement neutres d’ici 2025.”
Dans ce contexte, 20% des employés ont échangé la voiture de société classique contre un budget de mobilité, qu’ils peuvent également utiliser pour payer leur appartement. Grâce au programme fédéral de mobilité, cela est possible si vous habitez à moins de 10 kilomètres de votre lieu de travail ou si vous travaillez à domicile au moins la moitié du temps. Depuis deux ans, la prime collective d’Accenture Belgique est liée à des objectifs de durabilité tels que la réduction de la consommation de carburant et des déchets résiduels. Ces objectifs ont été atteints de justesse.
“L’état d’esprit de nos collaborateurs a complètement changé, ajoute Kristof Lambert. Pendant la pandémie, tout le monde a pris conscience du fait que le travail à distance n’est pas une mauvaise chose. On est souvent plus productif, cela coûte moins cher et l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée est meilleur. Aujourd’hui, nous réfléchissons beaucoup plus consciemment à la meilleure façon de nous réunir. Les ateliers créatifs fonctionnent mieux en physique, mais nos clients se rendent également compte que certaines séances d’information peuvent être organisées à distance. On constate une différence entre les secteurs et les régions à cet égard. Les entreprises à col bleu (usines, Ndlr) insistent davantage sur la présence physique».
8% La part des déplacements business au sein des 5,77 millions de voyages répertoriés au deuxième trimestre 2023.
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