Les voitures zéro émission, la ruée vers l’or pour les entreprise de batteries
Les voitures zéro émission sont sur le point de s’imposer sur le réseau routier européen. Et qui dit plus de voitures électriques, dit plus de batteries. Certaines entreprises belges de top niveau pourraient bénéficier de ce marché sur lequel se sont déjà jetés les grands consortiums.
La batterie, la composante la plus importante d’une voiture électrique, représente un tiers de sa valeur. “La batterie est l’or de la voiture électrique”, explique Denis Gorteman, CEO de D’Ieteren Auto, importateur des marques du Groupe Volkswagen. Reste que la fabrication de l’équivalent de 10 GWh de batteries, qui permettrait à environ 200.000 véhicules électriques de circuler, nécessite quasi 1 milliard d’euros d’investissement, d’après les estimations. Un financement que seuls les grands consortiums peuvent consentir avec le soutien des pouvoirs publics.
L’Europe se prépare au rush
L’Europe caresse toutefois de grands projets concernant la fabrication de batteries électriques, même si toutes les initiatives ne sont pas financées par les deniers européens. Par exemple, Automotive Cell Company est une coentreprise du constructeur automobile français PSA (Citroën, Opel et Peugeot) et de l’énergéticien Total. Ce dernier possède une filiale, SAFT, spécialiste des batteries de haute technologie. Le consortium investit, avec le soutien financier de l’Allemagne, de la France et de la Commission européenne. Sur les 5 milliards d’euros, 1,3 milliard provient des pouvoirs publics français et allemands. Outre une usine pilote et un centre de recherche et de développement (R&D), Automotive Cell Company prévoit deux grandes usines à Douvrin en France et à Kaiserslautern en Allemagne. La fabrication devrait démarrer en 2023. D’ici à 2030, la capacité de production devrait atteindre 48 GWh, de quoi équiper un million de voitures électriques par an. Le consortium devrait ainsi s’approprier 10% du marché européen.
La plupart des voitures électriques européennes roulent grâce au groupe chimique sud-coréen LG Chem.
On peut citer aussi l’entreprise chinoise cotée en Bourse CATL, leader mondial des batteries lithium-ion destinées aux voitures électriques. En plus de ses installations chinoises, CATL construit actuellement sa première usine européenne à Erfurt, en Allemagne, où se trouve également un centre R&D. L’investissement se monte à 1,8 milliard d’euros. Les premières livraisons de batteries sont programmées pour 2022. La capacité de production devrait atteindre les 24 GWh, indispensables à un demi-million de voitures électriques. CATL compte parmi ses clients quelques grosses pointures comme Daimler, Renault et Volvo Car. Le chinois fournira entre autres les cellules de la future Mercedes EQS, lancée en 2021. L’autonomie de ce super modèle premium devrait être supérieure à 700 km.
LG Chem, le plus grand groupe chimique de Corée du Sud, équipe déjà de son côté un nombre impressionnant de voitures électriques européennes. Son usine installée dans la localité polonaise de Wroclaw produit depuis 2016 des batteries à destination des voitures électrifiées. L’Audi e-tron, la Porsche Cayenne et la Renault Zoe ne pourraient pas rouler sans LG Chem. Pour répondre à la demande croissante de batteries, le sud-coréen a décidé de se développer et d’investir pas moins de 1,25 milliard d’euros dans son site de Wroclaw dont la capacité de production sera accrue de 15 à 65 GWh par an.
250 milliards d’euros: la valeur estimée du marché européen des batteries en 2030.
Le suédois Northvolt, lui, a vu le jour en 2016 sous l’oeil bienveillant d’actionnaires tels que les géants industriels ABB et Siemens, les constructeurs BMW et Volkswagen, des fonds de pension scandinaves et Goldman Sachs. Après la levée de fonds de l’été dernier, Northvolt dispose de quelque 3 milliards d’euros pour la construction de deux usines de batteries lithium-ion, l’une à Skelleftea en Suède, l’autre à Salzgitter en Allemagne. D’une capacité de production de 40 GWh, le site suédois devrait être productif dès 2021. L’usine de Salzgitter, d’une capacité de production de 20 GWh, ne sera pas opérationnelle avant 2024. Avec une capacité de production annuelle de 150 GWh, l’entreprise ambitionne de conquérir 25% du marché européen d’ici à 2030. Salzgitter doit sécuriser l’approvisionnement en batteries du groupe Volkswagen. BMW a également signé avec Northvolt un contrat à long terme d’une valeur de 2 milliards d’euros. Les cellules de batteries destinées à la marque devraient sortir de l’usine de Northvolt à partir de 2024.
Quant au sud-coréen Samsung, il exploite depuis 2017 une usine de batteries dans la périphérie de Budapest. Sa capacité, qui permet d’équiper actuellement 20.000 voitures électriques, devrait être accrue grâce à une enveloppe de 1 milliard d’euros pour le développement du site.
Et la Belgique ? Le pays ne possède pas actuellement de grande usine de batteries. “Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte, tels que la compétitivité, les coûts salariaux et énergétiques, l’environnement, explique Ben Van Roose, responsable manufacturing de la fondation pour la promotion des technologies Agoria. Il faut aussi disposer d’un énorme espace ouvert. Je ne sais pas si notre pays manque d’ambition mais je constate que d’autres régions d’Europe n’hésitent pas à offrir leur soutien.”
Aucun risque de surchauffe
Automotive Cell Company estime à 400 GWh la production de batteries en Europe d’ici à 2030, soit 15 fois plus qu’aujourd’hui. Cette production permettrait d’équiper quelque 10 millions de voitures par an. D’après l’institut de recherches allemand Roland Berger, les véhicules électriques et hybrides devraient représenter la moitié de la construction automobile en 2030, et la fabrication de batteries augmenter annuellement de 20% de 2018 à 2030.
Il ne devrait toutefois pas y avoir de surchauffe du marché des batteries. La vente de voitures et de camions neufs en Europe oscille depuis des années autour des 19 millions de véhicules. Et la crise du coronavirus a été un coup dur. Selon l’European Automobile Manufacturers Association (ACEA), ce marché a reculé d’un tiers au cours du premier semestre alors que le segment électrique a explosé.
Un segment électrique qui est capital pour les deux derniers sites belges de production automobile, Audi Brussels et Volvo Car Gent. Forest construit depuis 2018 la première voiture électrique de la marque, l’Audi e-tron. Lancée l’an dernier, elle est la plus vendue des modèles électriques en Belgique après la Tesla 3. C’est aussi le SUV électrifié qui se vend le mieux en Europe. Mais sa production par l’usine bruxelloise a baissé au premier semestre 2020 : 15.231 voitures assemblées contre 16.978 au premier semestre 2019.
“La crise du coronavirus est la principale explication mais pas la seule“, explique le porte-parole Peter D’Hoore. Le fabricant a dû faire face à une pénurie de batteries en février dernier. Audi Brussels ne cite pas le nom de ses fournisseurs mais ce n’est un secret pour personne, ses batteries sont fournies par l’usine polonaise de LG Chem qui n’arrive pas à suivre la demande croissante en Europe. “L’assemblage a aujourd’hui repris à un rythme normal avec un peu plus de 3.000 ouvriers”, conclut Peter D’Hoore.
Umicore et Solvay
Volvo Car Gent et ses 6.500 effectifs sont également approvisionnés en batteries par LG Chem Pologne. L’assemblage de la version électrique du modèle XC40 doit débuter le 1er octobre. “Cette voiture est équipée d’une seule grosse batterie constituée de 27 modules, précise la porte-parole Barbara Blomme. Lorsque nous aurons atteint notre vitesse de croisière, nous serons capables de construire 560 XC40 par semaine.” Il faut savoir que les modules de batterie sont livrés à Gand avant d’être assemblés à l’usine.
L’entreprise Umicore est le principal fournisseur belge de batteries à destination des voitures électriques. Elle fournit non seulement les principaux matériaux de cathode mais joue aussi un rôle déterminant dans plusieurs alliances européennes. Umicore effectue des recherches en collaboration avec BMW et le fabricant de batteries suédois Northvolt. “Cette collaboration vise à assurer l’industrialisation durable des cellules de batterie, explique la porte-parole Marjolein Scheers. L’objectif principal est de constituer un circuit fermé privilégiant l’utilisation de métaux recyclés.” Umicore mène ses recherches dans un centre R&D à Olen notamment, à l’est d’Anvers. “Le centre joue un rôle fondamental dans la recherche et le développement de matériaux de batteries utilisés dans nos installations de haute technologie dans le monde entier”, explique la porte-parole.
Solvay développe une technologie de pointe : temps de charge raccourci, autonomie accrue, meilleure résistance à la chaleur.
L’usine de composants de cathode en Pologne est le cheval de bataille d’Umicore. Elle se situe dans les environs de celle de LG Chem, la plus grosse d’Europe en matière de batteries électriques. “Le début de la production est programmé pour le premier semestre de l’an prochain. Initialement prévu pour 2020, il a été retardé du fait de la crise sanitaire. L’usine devra répondre à la demande croissante de nos clients en Europe.” Umicore a conclu des contrats de plusieurs années avec LG Chem (livraison de 125.000 tonnes de matériaux de cathode) et avec Samsung SDI (80.000 tonnes).
Solvay, autre géant industriel belge, croit aussi résolument dans les véhicules électrifiés. L’entreprise estime le potentiel de ce marché à 25 milliards d’euros. Elle fournit plusieurs composants spécialisés de batterie et développe une technologie de pointe : temps de charge raccourci, autonomie accrue, meilleure résistance à la chaleur. Solvay affine également les techniques d’exploitation du lithium. L’entreprise fait partie d’un consortium avec Umicore, le groupe français PSA et SAFT, les Allemands Manz et Siemens. Solvay se démarque également en matière de recyclage des batteries. L’entreprise a lancé le 9 septembre dernier une joint-venture avec le groupe environnemental Veolia pour le traitement des batteries, en collaboration avec Renault notamment. “Le marché des batteries est en pleine expansion, constate le porte-parole Peter Boelaert. La capacité de production d’une de nos usines françaises vient d’être accrue et de nouvelles usines devraient ouvrir leurs portes au cours des prochaines années.”
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