Les voitures chinoises BYD à la conquête de l’Europe

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La marque automobile chinoise BYD a amorcé sa grande offensive sur le marché européen. Avec un potentiel industriel et technologique inédit, et des voitures à la suspension particulièrement feutrée. Aussi feutrée que le discours du jeune géant: “Nous n’avons absolument aucune stratégie pour conquérir l’Europe…” Reportage en Chine.

En décidant de ne plus autoriser que des voitures neuves dotées d’une motorisation entièrement électrique à partir de 2035, l’Europe a généreusement entrouvert la porte aux marques chinoises. Car cette simple décision efface complètement le seul handicap technologique que les constructeurs chinois n’ont pas réussi à combler sur leurs concurrents européens. Au point que les rôles sont aujourd’hui inversés: les marques chinoises ne sont plus à la remorque des constructeurs européens, mais dans le peloton de tête.

Grâce à l’avance technologique et logistique qu’elles se sont forgée dans ce qui constitue désormais le composant le plus important d’une voiture: la batterie. Car non seulement la production de batteries est largement concentrée en Chine, mais ce pays dispose également des plus grandes réserves de matières premières nécessaires à leur construction.

Les marques chinoises ont dès lors lancé une grande offensive sur le marché européen. Avec un de ses leaders à leur tête: BYD, abréviation de Build Your Dreams. Une luxueuse berline baptisée Han, un gros SUV répondant au nom de Tang, le SUV compact Atto 3 et la petite Dolphin sont déjà disponibles sur le marché belge. A la fin de cette année, on pourra y ajouter la Seal, une concurrente de la Tesla Model 3. Et au début de l’an prochain suivra la Seal U, la version SUV du modèle précédent. La gamme proposée par le constructeur chinois en Europe comprendra alors six modèles. Ce qui n’est pas grand-chose en comparaison avec ce que BYD commercialise en Chine, comme en atteste une visite au siège de Shenzhen.

Quelque 38 modèles, dans les versions et coloris les plus divers, y occupent les parkings. La rue le confirme: une voiture électrique sur trois immatriculée en Chine est une BYD. Pour un constructeur qui n’a été créé qu’en 2003 – quand le groupe BYD a racheté la marque d’Etat Qinchuan en faillite –, la performance est impressionnante.

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A titre de comparaison: Tesla a lancé son premier modèle en 2009, et le constructeur américain ne propose toujours que quatre modèles. “Au cours des 10 prochaines années, la concurrence sur le marché automobile européen sera impitoyable, affirme Brian Luo, general manager assistant branding & PR de BYD. De nombreuses nouvelles marques font leur apparition, mais toutes ne survivront pas. Ce sera la loi de la jungle. Pour se maintenir, il sera nécessaire de diversifier sa gamme en profondeur, avec autant de modèles que possible qui répondent parfaitement aux besoins du marché. Et surtout: de continuer à innover sur le plan technologique.”

Quarante modèles en 20 ans: cela illustre parfaitement les gigantesques moyens technologiques, industriels et financiers de BYD, une entreprise 100% privée et déjà bénéficiaire, au contraire de nombreuses jeunes marques automobiles chinoises. “Parce que nous faisons presque tout nous-mêmes”, affirme Mike Belinfante, responsable des relations publiques et de la communication en Europe. Il vise ainsi surtout la batterie, l’élément le plus cher des voitures électriques, qui représente un tiers du prix de revient.

Démarrage difficile en Europe

Les véhicules électriques BYD remportent un succès encore mitigé en Europe. Sur les sept premiers mois de l’année, la marque en a immatriculé 313 en Belgique, essentiellement des SUV Atto3 (0,10% du marché). Pour l’Europe entière, où BYD n’est présente que partiellement, 2.492 Atto3 ont été immatriculés sur la même période. A comparer aux 33.763 modèles électriques MG4 vendus en Europe par SAIC, un autre groupe chinois. (Sources: Febiac, SPF Mobilité et Automotive News/Data Force)

Ce démarrage difficile tient à la nouveauté de la marque, à une réputation technologique surtout connue des professionnels du secteur et au tarif de lancement de l’Atto3 (plus de 46.000 euros chez nous) qui a souffert des baisses de prix de Tesla. L’arrivée, ces prochaines semaines, d’une Dolphin électrique au format d’une VW Golf, à environ 30.000 euros, pourrait donner un coup de pouce à BYD.

A sa création en 1995, BYD était essentiellement un fabricant de vecteurs d’énergie rechargeables. L’entreprise produisait des batteries pour des géants du téléphone portable comme Nokia et Motorola. Aujourd’hui, le groupe concentre 30% de la production mondiale de batteries lithium-ion pour smartphones.

Activités très diversifiées

Mais BYD n’a pas seulement grandi très vite: le groupe n’a eu de cesse de diversifier ses activités. La division auto a été lancée en 2003. Depuis 2008, le groupe construit également des bus électriques. Ses premiers clients? Les compagnies de transport californiennes. Entre-temps, BYD fournit également la plateforme et la motorisation de la version électrique des célèbres bus rouges de Londres. L’investisseur américain Warren Buffett a rapidement entrevu du potentiel dans le groupe et acquis une participation de 10% en 2008.

Aujourd’hui, BYD est un géant qui développe même des trains entièrement automatisés pour monorails, des véhicules qui quittent leur entrepôt le matin pour commencer une nouvelle journée sans la moindre intervention humaine. “Nous planchons sur la ville du futur en développant des solutions à même de démêler le nœud de la mobilité dans les mégalopoles”, indique Brian Luo. BYD emploie 620.000 personnes dans le monde. Si la branche automobile de BYD est relativement jeune, la production propre de batteries lui confère une avance incontestable sur de nombreux concurrents chinois, mais surtout sur les constructeurs européens traditionnels.

Alors que les autres marques automobiles en sont encore à constituer des joint-ventures et à planifier la construction d’usines de batteries, BYD en produit depuis des années. Avec une technologie innovante qui plus est. Les cellules de la blade battery ressemblent à des “planches” de métal. Elles sont surtout beaucoup plus performantes que les batteries classiques en termes de sécurité, de durabilité et de rapports poids/capacité de stockage.

Cette production propre procure un double avantage. Non seulement BYD ne doit pas acheter de batteries, mais le groupe peut également en revendre à d’autres constructeurs. Notamment à Toyota et Tesla. “Nous fournissons un package prêt à l’emploi, explique Allen You, product marketing manager pour l’Europe. Il comprend non seulement la batterie, mais aussi son système de gestion. Dans la configuration que demande le client.”

Recherche et développement

BYD Group combine une énorme force de frappe industrielle et une grande agilité. “La pandémie est arrivée début 2020. Quelques semaines plus tard, nous étions le premier producteur mondial de masques”, sourit Louis Lin, des relations publiques internationales, pendant qu’il nous guide dans les huit halls de production de blade batteries. L’automatisation poussée tolère à peine sept collaborateurs dans la salle de contrôle. Mais le département R&D, dans lequel le groupe injecte chaque année plus de 7% de son chiffre d’affaires, emploie 7.000 personnes. BYD dispose au total de 60.000 ingénieurs et compte déjà 28.000 brevets à son nom. Quinze nouveaux brevets viennent s’y ajouter chaque jour.

“La stratégie n’est pas la priorité. La priorité, c’est la technologie.” Brian Luo (BYD)

Les avancées technologiques se succèdent à un rythme soutenu. Ainsi, la batterie sera entièrement intégrée au châssis de la Seal, le prochain modèle qui sortira dans notre pays. Un bref test confirme ce que nous savions déjà de l’Atto3: la finition et la qualité des matériaux utilisés n’ont rien à envier à la moyenne européenne et japonaise, au contraire. Et sur la route, les deux modèles se distinguent par leur excellente suspension, nettement plus confortable que celle de nombreux véhicules électriques que nous avons récemment conduits.

BUILD YOUR DREAMS – Le groupe chinois combine une grande flexibilité et une énorme force de frappe. © Photos PG

BYD est donc parée sur tous les fronts pour conquérir le marché européen. Quoique? “Nous ne voulons absolument pas ‘conquérir’, insiste Mike Belinfante. Nous voulons proposer des produits et de la technologie. Nous sommes ouverts aux synergies, comme celle que nous avons conclue avec Daimler pour notre SUV de luxe, le Denza (qui n’est pas distribué en Europe, Ndlr). Ou avec Shell, dans le cadre de la transition vers une énergie décarbonée. Notre technologie de batterie, nos voitures et nos recherches dans le domaine des énergies renouvelables ont un dénominateur commun: l’implication sociale. Voyez-y notre contribution à une société en pleine mutation.”

Et quelle sera la stratégie de BYD? Brian Luo opte pour le flou artistique: “La stratégie n’est pas la priorité. La priorité, c’est la technologie. Quand on fait la différence avec la technologie, la stratégie suit d’elle-même. Si nous avons une ‘stratégie’, c’est ‘pas à pas’”. Mais des pas de géant, sans le moindre doute.

L’Amérique, c’est pour plus tard

One step at the time, une chose à la fois. Un mantra que nous n’avons cessé d’entendre au cours de notre visite de l’usine de batterie de Chongqing (7 millions d’habitants, mais surtout une des villes chinoises qui connaît l’essor le plus rapide) et du siège à Shenzhen, où le groupe est de plus en plus à l’étroit. Dix kilomètres plus loin, on coule déjà le béton d’un nouveau quartier général beaucoup plus vaste.

C’était aussi la réponse qui nous a été donnée quand nous avons demandé pourquoi BYD restait à l’écart du marché américain. “Hors marché chinois, nous nous concentrons actuellement sur l’Amérique du Sud et donc désormais sur l’Europe, nous a répondu Penny Peng, directeur des relations publiques et du marketing pour l’Europe. Nous sommes déjà présents au Brésil et au Chili, nous étudions la possibilité d’utiliser le sodium comme matière première d’une nouvelle génération de batteries. En Europe, nous allons collaborer avec des groupes locaux pour la distribution. Il n’est pas question de développer un réseau propre (en Belgique, BYD sera distribué par Inchcape, l’importateur de Toyota et Lexus, Ndlr). Nous recherchons également un emplacement pour une usine d’assemblage en Europe. Nous voulons d’abord voir comment les choses se déroulent. Ensuite seulement, nous pourrons peut-être réfléchir à l’Amérique du Nord.”

Notre instinct nous dit que BYD y a déjà beaucoup réfléchi. Dans le grand lobby du siège, il est impossible d’ignorer l’U8 et l’U9. Le premier est un imposant SUV: ses lignes rappellent une Range Rover, et son moteur électrique développe 1.000 chevaux. L’autre est une superbe sportive électrique qui atteint les 100 km/h en à peine deux secondes. Deux modèles que BYD commercialise sous la bannière de sa marque de luxe YanWang. Mais surtout deux modèles parfaits pour l’Amérique du Nord, non? Pas de commentaires, hormis “étape par étape”.

Joost Bolle, en Chine

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