Les promesses de la cyclo-logistique
La livraison en ville est un enfer. Le vélo-cargo apporte une réponse de plus en plus organisée. Par bpost et des acteurs indépendants, comme Urbike, qui cherchent à en faire une activité à part entière.
Se faire livrer par un vélo-cargo n’est plus une curiosité. Pour Coolblue, un service de commerce électronique d’électroménager et de matériel électronique, c’est une approche habituelle dans les zones urbaines où le service a un magasin qui lui sert de hub de livraison cycliste: à Bruxelles, Zaventem, Gand, Anvers, Courtrai et Hasselt. A Bruxelles, 90% des livraisons des articles de petite taille, jusqu’à l’ordinateur portable, arrivent chez les clients sur des vélos-cargos bien identifiables avec leurs couleurs bleues et orange.
Il y a d’excellentes raisons de livrer à vélo. La circulation rend les livraisons difficiles en camionnette, d’autant que les autorités locales multiplient les mesures pour limiter l’accessibilité de la ville aux voitures, tout en ouvrant de nouvelles pistes cyclables. Les vélos-cargos servent aussi de supports publicitaires ambulants pour les entreprises désireuses de montrer leur volonté de “verdir” leur système de livraison.
160 vélos-cargos chez bpost
“Nous y recourons pour le dernier kilomètre, dans le cadre d’une réflexion pour réduire l’impact des émissions de nos véhicules, explique Paul Vanwambeke, urban logistic director à bpost. Il y a bien sûr moyen de remplacer les camionnettes diesels par des électriques, mais cela ne règle pas le problème de la mobilité en ville. Nous avons alors développé un concept d’écozone qui combine camionnettes électriques et vélos-cargos. Il a été testé à Malines et se développe dans d’autres villes du pays.”
Actuellement, bpost a déployé une flotte de 160 vélos-cargos dans le pays. “Nous allons rapidement doubler ce chiffre”, assure Paul Vanwambeke. Après un projet pilote à Malines, les écozones arrivent à Louvain, Mons, Charleroi, Namur, Bruges et Bruxelles.
Le moteur des écozones
Le vélo-cargo est un élément-clé des écozones que développe bpost depuis 2020. L’entreprise à majorité publique avait testé la livraison zéro émission de courrier et de colis à Malines en utilisant des véhicules électriques: camionnettes et vélos-cargos. Afin de limiter les tentatives de livraison infructueuses, elle avait aussi densifié les points de collecte: bureaux de poste, points poste, points colis, distributeurs de colis (automates)… “Nous avons mesuré que les clients sont prêts à venir chercher leur colis à un point situé jusqu’à 500 mètres de leur domicile”, dit Paul Vanwambeke, urban logistic director à bpost. Plus de 92% d’entre eux y vont à pied, à vélo ou à trottinette. La multiplication des livraisons de l’e-commerce crée des embarras de circulation avec des arrêts en double file de camionnettes, électriques ou non. Le vélo-cargo, lui, ne pose pas ce problème. En plus, “la grande majorité des colis que nous transportons peuvent être livrés en vélo-cargo”, assure Paul Vanwambeke. Les écozones continuent à se déployer dans une dizaine de villes cette année (Louvain, Namur, etc.). La majorité des zones urbaines du pays devraient être couvertes vers 2025.
La livraison à vélo a toujours existé. Mais l’assistance électrique et l’électronique ont créé de nouvelles possibilités, de nouvelles capacités qui répondent très bien aux demandes de livraison de colis de l’e-commerce. “Une bonne part de nos livraisons de colis dans les écozones se font par vélo-cargo dans les écozones, en même temps que le courrier.”
Il en existe plusieurs modèles. Celui du vélo-cargo traditionnel, où le compartiment est situé à l’avant et peut être utilisé à la fois pour le transport d’un enfant ou de marchandises. Il possède parfois trois roues. Il y a aussi les vélos- cargos avec le compartiment à l’arrière, en particulier sur des vélos “long tail”, c’est-à-dire allongés. Et pour porter les plus grandes charges, les vélos recourent à des remorques freinées et motorisées: c’est l’approche utilisée par bpost et la société Urbike. Les charges sont réparties entre le vélo et la remorque. Il y a même moyen de transporter des marchandises à température contrôlée, pour autant que la remorque soit équipée à cette fin, mais c’est plus compliqué à mettre en oeuvre.
“Le souci principal est la qualité: il y a beaucoup d’opportunistes dans le secteur du vélo électrique, avec des moteurs de mauvaise qualité, des cadres peu rigides, des freins limités… Nous sommes très sélectifs”, déclare Giovanni Franzi, le fondateur de Goodbikes, un magasin à Ixelles racheté par D’Ieteren Automotive pour développer Lucien, sa nouvelle chaîne de magasins de vélos. Il vend beaucoup de vélos-cargos, à des tarifs entre 6.000 et 15.000 euros, destinés surtout au transport de personnes, les enfants en particulier. La chaîne Lucien pourrait cependant ouvrir un point de vente dédié exclusivement au vélo-cargo pour marchandises.
Tracter 200 kg
“En utilisant l’approche de la remorque, il est possible de tirer jusqu’à 200 kg de marchandises”, assure Renaud Sarrazin, cofondateur de la société Urbike qui assure des livraisons pour le compte de Delhaize, de la librairie Filigranes, d’eFarmz, de CBO (matériel electronique en B to B) ou pour SD Distribution, sur Bruxelles et Gand, notamment pour des produits L’Oréal. La société bruxelloise, fondée en 2018, est une coopérative qui propose aussi de la consultance aux entreprises ou services publics souhaitant se lancer dans ce type de livraison. Elle distribue également (vente et location) des remorques de la marque française FlexiModal.
Nous recourons au vélo-cargo pour le dernier kilomètre, dans le cadre d’une réflexion pour réduire l’impact des émissions de nos véhicules.” – PAUL VANWAMBEKE (BPOST)
“La cyclo-logistique peut concurrencer les petits véhicules utilitaires pour des tournées de plusieurs dizaines de destinations urbaines, pour la pharmacie ou l’épicerie par exemple”, continue Renaud Sarrazin. La formule est idéale pour les commerces difficiles d’accès et les zones où la circulation est engorgée, où les opérations de déchargement sont compliquées. Urbike indique occuper 40 personnes, avoir livré 200.000 colis depuis 2019, dont 115.000 en 2021, utilise 40 vélos-cargos et plusieurs dizaines de remorques, essentiellement au départ d’un hub situé à Anderlecht. Dans tous les domaines, sauf pour les plats cuisinés où la concurrence de Deliveroo et Uber Eats (basée sur des coursiers indépendants) est bien installée. “Nous sommes très attentifs aux conditions sociales. Nous ne participons pas au dumping social comme certains livreurs”, affirme Renaud Sarrazin, qui précise qu’Urbike est une coopérative. “Nous défendons le fait que la logistique urbaine ne doit pas donner lieu à une précarisation de ceux qui y travaillent. Ceux-ci méritent d’être traités avec respect.”
Payer plus cher?
La cyclo-logistique suit plusieurs approches. Il y a celle des spécialistes, comme Urbike, Urbeez ou Dioxyde de Gambettes à Bruxelles, Cargo Velo à Anvers et Gand, Rayon9 à Liège, qui fournissent le service en sous-traitance aux entreprises ou aux administrations publiques ; et celle des acteurs intégrés, comme bpost, DHL ou Coolblue, qui utilisent leur personnel et leur propre flotte.
Le secteur est encore très jeune et on n’assiste pas encore à l’émergence d’une start-up internationale, style Deliveroo, attirant d’énormes capitaux et promettant une forte croissance. En 2018, un travail de fin d’études réalisé à la Solvay Business School par Gilles Jacquemin soulignait que les acteurs restaient locaux et petits, “avec un accent sur des niches en B to B“. L’auteur notait que ces acteurs avaient une certaine aversion au risque et que les volumes transportés – donc la compétitivité – devait s’améliorer pour intéresser un plus grand nombre de clients. Des clients qui choisissent leurs transporteurs “sur la base du coût et ne veulent pas payer plus cher pour un transport durable”.
Levée de fonds pour Urbike
En d’autres mots, le secteur manque (ou manquait? ) de maturité. Est-ce encore le cas en 2022? Renaud Sarrazin veut croire qu’il y a eu une évolution. “Il y avait effectivement pas mal d’acteurs avec peu d’ambitions de grandir, souvent des coursiers à vélo qui s’étaient rassemblés, analyse-t-il. L’aversion au risque est aujourd’hui moins importante. Certains acteurs font sauter le plafond de verre. Je pense qu’Urbike en fait partie.” La crise du covid a poussé l’e-commerce et l’impact environnemental des livraisons est devenu un problème. “Nous estimons qu’une livraison en ville sur trois peut se faire en vélo”, avance Renaud Sarrazin. Les outils informatiques existent pour gérer les tournées, assurer le traçage des colis, prévenir les destinataires de l’heure exacte de livraison, etc. “Nous voulons développer un modèle d’entreprise ‘scalable’ en développant un nouveau hub à Bruxelles, du matériel supplémentaire, avec des processus duplicables dans d’autres villes.”
Nous estimons qu’une livraison en ville sur trois peut se faire en vélo.” – RENAUD SARRAZIN (URBIKE)
Pour y arriver, Urbike a lancé un appel au public pour récolter 1,1 million d’euros mais il s’agit plutôt d’un crowfunding plutôt que d’une levée de fonds de start-up. Et selon le plan proposé aux épargnants coopérateurs, la croissance devrait porter le revenu de 1 million d’euros en 2021 à 4,4 millions en 2026. “Le rendement est plafonné à 6%”, explique Renaud Sarrazin, qui parle d’une “forme d’économie sociale” où les actionnaires ont une voix par personne, non proportionnelle au montant investi.
Au niveau national, le secteur cherche à s’organiser à travers une association, la Belgian Cycle Logistics Federation, qui reflète la volonté de défendre ce service nouveau.
Améliorer les aménagements urbains
Il y a encore beaucoup à faire pour développer la cyclo- logistique en Belgique. Les acteurs intégrés peuvent contribuer à banaliser l’usage du vélo-cargo, et même aider à rendre les aménagements urbains plus praticables au bénéfice de tous. En développant ses écozones, bpost tient des discussions avec toutes les villes approchées afin d’obtenir des aménagements urbains compatibles avec les vélos-cargos. “Par exemple, nous leur signalons les pistes cyclables trop étroites, de 42 cm, qui sont inadaptées pour les vélos-cargos”, explique Paul Vanwambeke.
Jusqu’à 4.000 euros de prime
Pour encourager les entreprises et les artisans à passer au vélo-cargo ou à acheter une remorque à des fins professionnelles, la Région de Bruxelles-Capitale attribue une aide couvrant 50% du coût du véhicule HTVA. La prime, appelée Cairgo Bike, s’adresse aux indépendants et aux PME. Elle peut atteindre jusqu’à 4.000 euros pour un vélo-cargo, 2.000 euros pour une remorque. Elle est en vigueur jusqu’à la fin janvier 2023.
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