Les frères Dossche (Exki), ceux qui nous ont fait aimer le houmous

La chaîne de restaurants Exki. Une alimentation saine et des finances qui le sont moins. © ANP / Mariette Carstens Fotografie

Les trois frères de Flandre-Orientale – Filip, Frederik et Peter Dossche – sont spécialisés depuis trois décennies dans l’alimentation bio et végétarienne. Aujourd’hui, bien loin des clichés des débuts, ils occupent une position de leader sur les marchés belge et néerlandais. Même si Exki, leur chaîne spécialisée dans l’alimentation “saine”, traverse actuellement une méchante tempête.

Une décision plus tranchée aurait été difficile à imaginer. Fin octobre 1998, la rupture familiale est actée officiellement. Après des années de tensions latentes, les descendants des frères de la deuxième génération, Daniël et Irené Dossche, prirent la décision de se séparer. La branche d’Irené opta pour un rachat coûteux des activités liées à la production avicole, aux minoteries, aux boulangeries (y compris surgelées), à l’alimentation animale et aux restaurants.

De son côté, la branche de Daniël choisit une orientation totalement différente en se tournant vers la production alimentaire. Daniël lui-même ne vit pas cette transition jusqu’au bout, puisqu’il décéda au printemps 2001. Les principaux acteurs de ce changement furent ses trois fils : Filip (69 ans), Frederik (62 ans) et Peter Dossche (65 ans). Ils nous initièrent à la consommation de falafel, de houmous, de pâté de pois chiches et de tofu. Ces 30 dernières années, leur activité s’est presque entièrement consacrée à l’alimentation biologique et végétarienne, dans une discrétion assumée. “Nous tenons à notre discrétion, nous informe Peter Dossche dans un court entretien téléphonique. Évidemment, nous ne pouvons pas vous empêcher d’écrire un portrait. Nous vivons dans un pays libre.”

Un ancien dirigeant d’un grand groupe agroalimentaire, ayant débattu avec Frederik Dossche sur la VRT au sujet des alternatives végétariennes, le décrit comme “une personne aimable et légèrement introvertie”. Il ajoute qu’”il ne semblait pas militant, mais était manifestement passionné par son activité et convaincu de son utilité”.

Une entreprise pionnière récompensée

Depuis la fin des années 1990, les trois frères ont construit un empire alimentaire alternatif, organisé en plusieurs filiales. Ce qui manque cependant, c’est une holding familiale centrale et consolidante. Les sites internet des entreprises témoignent souvent d’une vision inspirante. “Une alimentation saine, nutritive et végétarienne. Humanité, conscience écologique et créativité”, indiquait par exemple la société Abinda BV, dissoute l’été dernier. Productrice de houmous et de falafel pour Delhaize, l’entreprise a fusionné en 2023 avec De Hobbit, l’entreprise la plus connue des trois frères.

Fondée en 1983 par Erik Dewilde, un ancien voisin de Frederik Dossche, De Hobbit est rachetée par les frères en 1999. “Ces 20 dernières années, les frères Dossche se sont affirmés comme des investisseurs visionnaires sur le marché en croissance de l’alimentation saine et végétarienne”, écrivions-nous en octobre dernier. Cette entreprise, qui a participé aux Trends Impact Awards, notre événement récompensant les entreprises les plus innovantes et impactantes en matière de durabilité, a débuté par la production de tempeh, avant de proposer du seitan et du tofu. Plus récemment, elle a lancé des produits à base de lupin et de chanvre, offrant aujourd’hui plus de 40 produits végétaliens, tels que des salades, burgers et pâtes à tartiner.

En 2023, De Hobbit fusionne avec Abinda et une autre “société végétarienne”, De Paddenstoel, pour créer le groupe Food For Freedom, doté d’une structure financière saine avec une marge brute de 4,5 millions d’euros et un bénéfice opérationnel de 1,2 million en 2023. Ce groupe comprend également une filiale néerlandaise, Bumi Organics, qui produit du tempeh et du seitan sous la marque Bumi, vendue dans des magasins spécialisés et dans la chaîne Jumbo.

de HOBBIT. La marque offre aujourd’hui plus de 40 produits végétaliens.

Une nouvelle génération aux commandes

Frederik Dossche a dirigé De Hobbit en tant que CEO pendant plus de 20 ans avant de transmettre la direction à sa fille, Marie-Astrid Dossche, en 2021. Diplômée en droit des universités de Namur, Louvain et Harvard, selon son profil LinkedIn, elle semble plus communicative que son père et a donné plusieurs interviews à des médias spécialisés.

Les défis restent nombreux. En 2022, De Hobbit s’associe à Arvesta, la branche commerciale du Boerenbond, pour développer la culture de soja biologique en Belgique. À terme, l’objectif est de produire localement la moitié du soja bio utilisé par l’entreprise, sur une surface de 100 hectares. “Convaincre le consommateur d’adopter cette approche végétarienne reste un défi constant”, reconnaît Marie-Astrid Dossche. Le consommateur a appris à préparer et à assaisonner la viande, mais il est souvent encore peu familiarisé avec les substituts de viande. Cela évolue toutefois, avec notamment le tofu, qui commence progressivement à s’intégrer davantage dans les habitudes.”

Leader du marché bio

Les activités bios et végétariennes de la famille Dossche sont diversifiées, réparties entre plusieurs filiales et holdings. Chacune opérant sous des noms de marques différents. Bioline commercialise des produits cultivés sans engrais chimiques ni pesticides de synthèse. Son assortiment inclut des burgers végétariens, des boulettes, des bâtonnets et des salades. Biofresh, dirigée par Luc Dossche (une autre figure de la quatrième génération), est un grossiste important de produits biologiques. En 2022, Biofresh Belgium a réalisé un chiffre d’affaires de 97 millions d’euros, avec une marge bénéficiaire modeste de 1,9 million. L’entreprise fournit des produits bios à 500 magasins spécialisés, représentant 40 % du marché.

Par ailleurs, Biofresh appartient au holding Noorderwal, copropriétaire de Udea, un grossiste néerlandais en produits bios. Udea est le franchiseur de Ekoplaza, la plus grande chaîne de supermarchés bios aux Pays-Bas. Une fusion entre Biofresh Belgium et Udea a eu lieu en 2019.

Les activités bios et végétariennes de la famille Dossche sont diversifiées, réparties sur plusieurs filiales et holdings.

La chaîne Exki en difficulté

Les frères Dossche sont également les principaux actionnaires de la chaîne de restauration Exki. Via une autre holding, Drinks, Food and Health, la famille détient 48,22 % des actions. Exki promeut une alimentation de qualité et saine, se positionnant comme une chaîne de “restaurants sains, entièrement végétaux”, selon son site internet.

Cependant, la situation financière d’Exki est bien moins reluisante. Le dernier exercice rentable de la chaîne remonte à l’année fiscale allant de février 2018 à janvier 2019. Depuis, Exki, qui compte de nombreux établissements en France, accuse des pertes importantes. En 2019, ce sont les perturbations causées par les gilets jaunes en France qui sont à l’origine des premières pertes. La pandémie, suivie par une forte inflation et une hausse marquée des prix des matières premières à partir de 2022, ont aggravé la situation.

© BELGAIMAGE

Même pour le dernier exercice fiscal, clôturé en janvier 2024, Exki continue d’accuser des pertes. La faible performance moyenne par restaurant est un problème persistant. Les pertes cumulées dépassent désormais les 20 millions d’euros, tandis que le chiffre d’affaires est tombé à un peu plus de 30 millions d’euros, contre plus de 68 millions d’euros en 2018-2019. Parallèlement, les effectifs ont dû être dégraissés. On est ainsi passé de 600 à 265 employés.

Depuis 2020, les actionnaires ont injecté 21 millions d’euros de capitaux supplémentaires dans Exki, tandis que les banques ont prolongé les délais de remboursement des prêts. Par ailleurs, un prêt public de 12,5 millions d’euros a aussi été accordé.

Toutefois, début 2024, le CEO historique, Frédéric Rouvez, désigné Manager de l’Année 2009 par Trends-Tendances, a été licencié.
Son remplacement par Stan Monheim (50 ans) s’est accompagné de sévères critiques. Dans une interview accordée en novembre à L’Echo, le nouveau CEO a dénoncé un manque de professionnalisme dans la gestion précédente et une sous-exploitation du potentiel de l’entreprise. Bien que des ajustements aient été apportés à la gamme de produits, Monheim a réaffirmé l’urgence d’une nouvelle augmentation de capital, à hauteur de 10 millions d’euros, pour financer des investissements essentiels et fournir des liquidités supplémentaires.

Le nouveau CEO a également indiqué qu’il préférait ne pas utiliser la tranche restante du prêt public (6 millions d’euros encore disponibles), estimant que le taux d’intérêt était trop élevé. La situation d’Exki demeure donc critique, nécessitant des mesures drastiques pour redresser ses finances. 

Plusieurs familles flamandes se sont constitué d’importants portefeuilles d’investissement au fil des ans. Elles font ainsi prospérer et croître notre économie. Trends-Tendances présente chaque mois une de ces familles souvent méconnues.

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