“Les consommateurs n’achètent pas les produits Huawei simplement parce qu’ils sont bon marché”
En quelques années, Huawei est devenue la troisième force sur le marché du smartphone, derrière Samsung et Apple. Mais les ambitions de la marque chinoise ne s’arrêtent pas là : elle compte devenir numéro un mondial d’ici 2020. Walter Ji, le patron Europe de Huawei, dévoile la stratégie de l’entreprise pour y parvenir.
C’est la marque qui monte sur le marché du smartphone. Après avoir bâti son succès en tant qu’équipementier des opérateurs télécoms (une activité qui génère encore 60 % de son chiffre d’affaires), Huawei s’est attaquée avec succès au marché des consommateurs, avec des appareils qui couvrent désormais toutes les catégories, des téléphones les plus basiques aux modèles premium. De passage à Bruxelles, le Chinois Walter Ji, en charge de l’activité smartphones du groupe en Europe de l’Ouest, détaille pour Trends-Tendances la stratégie de la marque pour conquérir le marché européen, où elle emploie déjà plus de 10.000 personnes. Une stratégie qui paie, puisqu’en un an Huawei est passée de 5,5 à 11,7 % de parts de marché sur notre continent.
TRENDS-TENDANCES. Huawei a- t-elle décidé de s’attaquer au marché du smartphone pour pallier la baisse de l’activité d’équipementier pour les opérateurs télécoms ?
WALTER JI. Cette activité n’est pas en régression. Son potentiel reste important, grâce notamment au développement de la 5G et des objets connectés. Ces avancées technologiques créent de nouveaux services, qui permettront aux opérateurs d’augmenter leur volume d’affaires. Nous avons bâti une position de leader dans les réseaux télécoms. Sur le marché des smartphones, nous sommes arrivés il y a quelques années à peine. Nous sommes un nouveau venu…
Un nouveau venu qui occupe déjà la troisième position sur le marché mondial du smartphone.
Oui et nous en sommes très heureux. En fait, nous avons débuté nos investissements dans cette activité en 2006-2007, avec le développement des réseaux 3G. Nous avons beaucoup parlé avec les opérateurs de la meilleure manière de soutenir leur business. En créant des réseaux 3G efficaces, nous avons permis aux opérateurs de monétiser leurs nouveaux services. Notre stratégie au niveau du marché des smartphones est donc complémentaire de notre stratégie dans les réseaux télécoms. Ce n’est qu’en 2011 que nous avons commencé à investir dans notre propre marque. Mais d’un point de vue technologique et de R&D, nous avons débuté nos investissements dans les smartphones il y a plus de 10 ans.
BIO EXPRESS
2001 : Rejoint Huawei au département R&D
2007 : CEO de Huawei Nigeria
2010 : CEO de Huawei Espagne et Portugal
2015 : Président du département réseaux de Huawei en Europe occidentale
2016 : Président du département consommateurs (smartphones) de Huawei en Europe occidentale
Huawei a l’ambition de devenir numéro un du marché mondial du smartphone en 2020. Quelle est votre stratégie pour y parvenir ?
Le plus important, c’est la marque. C’est elle qui assure la confiance du consommateur. Notre priorité pour le marché européen est donc de créer une marque forte. Deuxièmement, nous sommes persuadés qu’une marque ne se bâtit pas toute seule, elle doit se bâtir sur un produit. C’est la raison pour laquelle nous investissons dans l’innovation. En Europe, 1.500 personnes travaillent dans nos centres R&D. L’année dernière, nous avons investi 15 % de notre chiffre d’affaires dans l’innovation. Par exemple, le nouveau P9, grâce à notre partenariat avec l’entreprise allemande Leica, est équipé d’un appareil photo doté d’une technologie de pointe basée sur un double objectif. Or, que constate-t-on aujourd’hui sur le marché ? Que ce double objectif est devenu la norme, y compris chez Apple. L’iPhone 7 Plus intègre un appareil photo à double objectif, avec une technologie qui est six mois à un an en retard par rapport à nous. Je trouve cela incroyable : en quelques années, Huawei, une entreprise chinoise, est devenue le leader de l’innovation sur le marché des smartphones.
Le marché du smartphone est un marché devenu mature. Un meilleur appareil photo est-il suffisant pour s’imposer sur ce type de marché ? Quelle est votre valeur ajoutée ?
Globalement, c’est vrai, le nombre de smartphones vendus ne progresse plus. C’est une tendance que l’on constate aussi en Europe ; par contre dans les pays émergents les ventes augmentent encore fortement. Cela dit, si vous comparez les produits, tant au niveau du hardware que du software, il y a des différences. Beaucoup de consommateurs constatent que la batterie de leur appareil se décharge très vite, que leur smartphone a tendance à ralentir après quelques mois d’utilisation, et certains ont même leur batterie qui explose ! C’est la raison pour laquelle nous avons introduit des innovations uniques à nos batteries. La batterie du Mate 9 affiche les meilleures performances, elle dure plus longtemps lorsque le smartphone est utilisé, que ce soit pour des conversations téléphoniques ou du surf sur Internet. Même les utilisateurs intensifs peuvent tenir au moins une demi-journée. Nous avons également développé un super- chargeur qui permet de recharger 58 % de la batterie en 30 minutes. Nous avons également ajouté cinq niveaux de sécurité à notre batterie. Nous contrôlons notamment en temps réel la température de la batterie durant la charge, pour éviter tout problème.
Donc, ce qui est arrivé à Samsung (les explosions de batteries du Galaxy Note 7 qui ont conduit au retrait du produit et à une dégringolade boursière) ne peut pas arriver à Huawei ?
Je ne ferai pas de commentaire sur un concurrent. Mais d’un point de vue technologique, je peux affirmer que nous avons trouvé une solution pour éviter ce type d’incident.
Le Mate 9 de Huawei, qui est un concurrent direct du Galaxy Note 7, a-t-il bénéficié du retrait du marché de l’appareil de Samsung ?
Nous n’avons pas encore de chiffres à ce sujet. C’est trop tôt. Nous l’avons lancé il y a quelques semaines seulement. Mais dans plusieurs pays, notamment en Belgique, les ventes sont meilleures que ce que nous avions planifié.
Huawei est-elle une marque qui se positionne sur les prix les plus bas, dans chaque catégorie de produits ?
Non, ce n’est pas notre stratégie. Les consommateurs n’achètent pas nos produits simplement parce qu’ils sont bon marché. Ils les achètent parce qu’ils en ont besoin. Et nous devons faire en sorte que le prix soit abordable. Nous sommes focalisés sur la manière d’apporter la meilleure technologie et la meilleure expérience aux consommateurs. Si l’on prend l’exemple du P9, ce n’est pas un appareil bon marché (environ 500 euros, Ndlr) ! Encore moins le Mate 9 Porsche Design ! Nous cherchons surtout à créer des produits qui rendent les gens fous.
Il y a vraiment un marché pour cet appareil au design signé Porsche, vendu aux alentours de 1.400 euros ?
Sur le marché européen et le marché chinois, cela fonctionne très bien. Tous les stocks ont été écoulés.
Votre stratégie est-elle désormais focalisée sur les smartphones haut de gamme, au détriment de l’entrée de gamme ?
Aujourd’hui, plus de 80 % des consommateurs connaissent notre marque, ce qui est un fameux aboutissement.
Nous avons toujours une large variété de produits dans notre gamme, même si aujourd’hui nous sommes focalisés sur nos deux smartphones premium, le P9 et le Mate 9. Le P9, c’est le design et la photo avec Leica. Le Mate 9, c’est un appareil pour les cadres supérieurs, qui veulent une meilleure productivité et une autonomie accrue.
Le reste de votre gamme est donc moins important ?
Cela reste important, mais ça l’est moins que nos deux produits phares.
Huawei est très faible aux Etats-Unis. Quelle est la place de l’Europe dans votre stratégie ?
Nous investissons beaucoup pour améliorer notre image de marque dans tous les pays. Aujourd’hui, plus de 80 % des consommateurs connaissent notre marque, ce qui est un fameux aboutissement. En Belgique, nous en sommes à 86 %. C’est très satisfaisant. Et nous continuons à apprendre à mieux connaître le marché, notamment via nos partenariats avec des entreprises européennes comme Leica.
Avez-vous besoin de la réputation des opérateurs locaux pour vendre vos produits via des ventes couplées ou préférez-vous les vendre seuls ?
Nous avons des partenariats avec les opérateurs. Mais ce n’est pas pour profiter du nom et de la réputation des opérateurs. C’est plutôt pour profiter de leur réseau de vente.
Etes-vous satisfait des performances de la Belgique ?
La Belgique n’est pas un gros marché stratégique comme l’Allemagne, mais c’est un marché intéressant et porteur pour nous. Cette année, Huawei est le troisième vendeur en Europe : avec 11 %, nous avons doublé notre part de marché en un an. Et la Belgique fait mieux, avec 18 % de parts de marché en moyenne.
Est-ce encore un désavantage d’être une marque chinoise quand on s’attaque au marché européen ? Les entreprises chinoises n’ont pas toujours la meilleure réputation au niveau de la qualité.
La marque a déjà vendu plus de 500.000 smartphones en Belgique en 2016, ce qui représente une augmentation de près de 40 % par rapport à 2015 (360.000 unités vendues). Comme au niveau mondial (9,3 % de parts de marché) et au niveau européen (11,7%), Huawei occupe en Belgique la troisième position sur la marché du smartphone, avec 18 % des ventes en volume sur les neuf premiers mois de 2016, d’après des chiffres transmis par la marque. Là encore, la progression est nette par rapport à 2015 (10 % de parts de marché sur les neuf premiers mois). Huawei est présente en Belgique en marque propre, via des offres couplées avec les principaux opérateurs du pays, ou en solo. Depuis quelques semaines, elle a également mis en place sa marque Honor, ciblant plus spécifiquement les millennials et les digital natives. Disponible en ligne et dans les Media Markt, cette marque, qui n’utilise pas la référence à Huawei, se focalise sur des appareils situés dans le moyen de gamme.
De mon point de vue, ce n’est pas un problème. Il y a 10 ans, quand nous allions à la rencontre des opérateurs, certains avaient effectivement des réserves au sujet des technologies chinoises. Mais au fur et à mesure, nous avons démontré notre leadership dans le business des réseaux télécoms. Maintenant, ils comprennent la qualité de nos produits. Je vous invite à aller voir en Chine, pour constater à quel point les Chinois sont engagés dans l’innovation. Vous changerez rapidement votre perception au sujet de la Chine.
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