L’équipe SD Worx-Protime à propos du Tour de France Femmes: “Le sport de haut niveau a une culture plus dure que celle du monde de l’entreprise”

© Photograph by Frederic Petry / Hans Lucas.
Alain Mouton Journaliste chez Trends  

En quelques années, l’équipe cycliste féminine de SD Worx a connu un succès inédit. Une réussite dont profite aussi l’entreprise de ressources humaines, qui bénéficie grâce à son sponsoring d’une notoriété accrue. Erwin Janssen, CEO de l’équipe cycliste, et Annelies Rottiers, responsable de la division PME de SD Worx, établissent des parallèles entre la gestion d’une équipe sportive de haut niveau et celle d’une entreprise : concilier les objectifs individuels avec l’intérêt collectif.

Le 26 juillet, le Tour de France Femmes démarrait. L’une des équipes les plus en vue sera SD Worx-Protime. Avec la championne du monde Lotte Kopecky, l’équipe vise une place sur le podium, voire la victoire finale.

L’attention médiatique ne cesse de croître. Le Tour de France Femmes a généré, en 2023 et 2024, 80 millions d’heures de visionnage. En quelques années, sa part d’audience chez les téléspectateurs de moins de 54 ans a progressé, pour atteindre 35 % chez les femmes et 59 % chez les hommes. En Flandre, l’édition 2023 a attiré en moyenne 406.000 téléspectateurs par étape, soit 100.000 de plus qu’en 2022. Il est vrai que l’audience avait été plus faible en 2024, mais cela s’expliquait par l’absence de Lotte Kopecky. À long terme, le Tour de France Femmes reste un moteur essentiel pour le développement du cyclisme féminin.

Une progression fulgurante

« J’ai démarré en 2010 avec une petite équipe cycliste destinée à former les jeunes Néerlandaises qui passaient chez les élites. Nous disposions d’un budget de 250.000 euros », raconte Erwin Janssen, CEO de Team SD Worx-Protime.

« L’équipe a progressivement évolué pour devenir Boels-Dolmans. C’est à ce moment que nous avons convaincu SD Worx de rejoindre cette aventure cycliste. Nous sommes désormais depuis neuf ans l’équipe numéro un au niveau mondial. »

Sortir de l’ombre des hommes

SD Worx s’est imposé comme un acteur et sponsor majeur du cyclisme féminin. Le budget de Team SD Worx-Protime est aujourd’hui estimé à 4 millions d’euros. Une trajectoire que Janssen n’aurait jamais imaginée lorsqu’il a élaboré, en 2012, un plan quinquennal pour atteindre le sommet. L’équipe a bénéficié de la vague d’attention croissante de la part des médias. « Cela nous aide énormément à attirer et à fidéliser des sponsors. Chaque année, nous mesurons avec SD Worx cette attention médiatique. Au cours des trois à quatre dernières années, les progrès ont été spectaculaires. »

Le fait que SD Worx ait pu recruter des stars mondiales comme Lotte Kopecky, Demi Vollering – bien qu’elle soit partie depuis – et Lorena Wiebes, a contribué à renforcer la notoriété de l’équipe et à rendre le cyclisme féminin visible dans les pays du Benelux. Mais il y a plus, souligne Janssen. « Le changement le plus marquant de ces cinq dernières années, c’est que les plus grandes et plus anciennes classiques du cyclisme masculin figurent désormais aussi au calendrier féminin : le Tour des Flandres, Liège-Bastogne-Liège et Paris-Roubaix. Le Tour de France Femmes dure maintenant une semaine. Cela rend ce sport bien plus intéressant. On observe également que l’audience augmente fortement lorsque les courses masculines et féminines ont lieu le même jour. Lors du Tour des Flandres, les femmes franchissent la ligne après les hommes, ce qui fait grimper l’audience. »

Le Tour de France Femmes ne se déroule pas en parallèle, mais commence le dernier week-end du Tour masculin. Janssen estime que c’est un bon choix : « Organiser les deux compétitions en même temps serait contre-productif, car le Tour masculin, en tant qu’événement de masse, éclipserait tout. »

Des préoccupations communes

Le succès de l’équipe SD Worx-Protime rejaillit également sur les sponsors. Les objectifs de visibilité et de notoriété sont atteints, confirme Annelies Rottiers, responsable de la division PME chez SD Worx : « Je travaille ici depuis dix-neuf ans. J’ai connu l’avant et l’après. SD Worx a toujours été un acteur fort dans les domaines des RH et des salaires, en Belgique comme en Europe. Mais la notoriété s’est renforcée. Cela contribue à notre image de marque et nous aide à attirer des talents. Cela dit, nos activités principales restent les RH et les salaires, pas le cyclisme. Quand des candidats postulent chez nous, on discute de l’emploi qu’ils souhaitent occuper et des compétences requises. Quelle valeur peuvent-ils apporter à l’entreprise ? »

« Les gens aiment naturellement s’identifier à une équipe gagnante », ajoute Erwin Janssen. « Il ne faut pas sous-estimer cet effet. »

« C’est aussi une démarche fondée sur des valeurs, car nous avons contribué à placer le cyclisme féminin sur la carte », explique encore Annelies Rottiers.

Il existe par ailleurs une véritable synergie entre l’entreprise sponsor et l’équipe cycliste. Des préoccupations similaires émergent, estime Rottiers : « En langage cycliste, il ne s’agit pas seulement de pédaler plus fort, mais aussi de savoir où l’on veut aller en tant qu’entreprise, de valoriser chaque compétence des collaborateurs, de développer les talents et de motiver les équipes. Le cyclisme est un sport collectif, même si une seule personne monte sur le podium. Dans le monde de l’entreprise aussi, c’est l’intérêt de l’équipe qui prime. Un autre point commun réside dans la nécessité de réflexion et de retour d’expérience. On ne voit pas que les images de victoires, mais aussi celles des réunions d’équipe après une défaite. Cet aspect est souvent négligé, mais on peut apprendre cela d’une équipe sportive : il faut instaurer une culture du feed-back. »

Pas de seconde chance pour les sportifs

Janssen le confirme, tout en soulignant une différence de taille : « Le sport de haut niveau a une culture plus dure que celle du monde de l’entreprise », affirme-t-il.

«Dans une entreprise, la performance est également exigée, mais on peut se dire : cet objectif n’est pas atteint, on fera mieux le trimestre prochain. En sport de haut niveau, tout se joue en un jour ou en une semaine. Pas de seconde chance. Dans le monde des affaires, si un contrat avec un client ou un fournisseur n’aboutit pas immédiatement, on peut dire : réfléchis-y et rappelle-moi demain. En sport, la pression est exacerbée par la nécessité de rester concentré. »

Autre différence : la communication avec les médias. Alors qu’une entreprise peut prendre un peu de recul et du temps avant de s’exprimer après un revers, les sportifs se voient immédiatement tendre un micro sous le nez afin d’expliquer ce qui n’a pas fonctionné. « C’est une différence fondamentale », souligne Janssens. « Même dans le cyclisme féminin, la pression médiatique a énormément augmenté. Il y a cinq ans, on pouvait encore dire certaines choses sans que cela ne fasse immédiatement le tour des médias. Aujourd’hui, l’équipe fait quotidiennement les gros titres. Lotte Kopecky est un phénomène en Belgique et doit constamment réfléchir à ce qu’elle dit et à qui elle s’adresse. C’est énormément de pression. Ce n’est pas comparable avec le monde de l’entreprise. Même si une société cotée doit être plus prudente dans ses déclarations, en dehors de cela, la pression reste relativement limitée. »

Janssen identifie néanmoins des similitudes entre sport et entreprise, notamment la nécessité de composer une équipe équilibrée, mêlant profils expérimentés et jeunes talents à fort potentiel.

Rottiers ajoute : « En matière d’investissement, les entreprises adoptent souvent une perspective à long terme, mais il faut aussi conserver une attention constante pour les résultats à court terme, exactement comme dans le sport. »

Les budgets du cyclisme n’ont pas encore atteint leur plafond

Le cyclisme attire de plus en plus de sponsors disposant d’importants moyens financiers. Certains sont liés à des États, comme les Émirats arabes unis. D’autres sont de grandes multinationales comme Red Bull ou Lidl, qui injectent massivement des capitaux dans leurs équipes. Cette dynamique fait grimper en flèche les budgets du cyclisme masculin. Une tendance que l’on observe aussi dans les équipes féminines.
Les budgets des meilleures équipes féminines World Tour sont passés de 15 millions d’euros en 2021 à 57 millions en 2024. « Ces trois ou quatre dernières années, les budgets ont effectivement connu une forte hausse. Pendant longtemps, SD Worx-Protime figurait parmi les meilleures équipes. Nous ne sommes plus dans le top 3. Avec notre budget, nous sommes probablement à la quatrième place », indique le CEO Erwin Janssen. « Trouver les ressources nécessaires deviendra un défi majeur à l’avenir. SD Worx-Protime bénéficie toutefois d’un avantage : nous sommes la seule véritable équipe féminine au sommet mondial. Les autres sont affiliées à des équipes masculines. »
Cela a aussi un impact : les équipes masculines disposent de plus de moyens en matière d’infrastructures et d’encadrement scientifique, notamment pour l’alimentation, et cette expertise bénéficie également aux équipes féminines. Janssen conclut : « Nous devons donc redoubler d’efforts pour rester au sommet. Par ailleurs, le cyclisme féminin souffre, comme le cyclisme en général, d’un mauvais modèle économique. C’est l’un des rares sports où il n’existe ni primes ni droits TV, même lorsque vous participez à votre propre version de la Ligue des champions – ici, le Tour de France. Dans le football, les meilleures équipes reçoivent des millions en droits de diffusion. Dans le cyclisme, tout repose sur les sponsors. Naturellement, plus on gagne, plus on attire les sponsors. »

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