L’entreprise familiale, ce système complexe avec différentes entités

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L’engagement et l’émotion sont fort présents au sein des entreprises familiales, surtout lors d’un changement de génération. Une charte familiale est le moyen par excellence de concilier raison et émotion. Toon Bossuyt, CEO de BOSS paints, et Bart Claes, patron de Claes Retail Group, nous font part de leur expérience à ce sujet.

Environ 80 % des entreprises belges sont familiales. Si on pense souvent aux PME, on trouve une majorité d’entreprises familiales parmi les grandes structures de plus de 200 employés.

Les entreprises familiales possèdent leur propre dynamique. “Le grand problème réside dans le risque de confusion des rôles. Dans la première génération, il n’y a pas de problème parce que le fondateur porte toutes les casquettes : actionnaire, directeur et gestionnaire. Dès qu’il faut répartir ces casquettes entre plusieurs personnes, les problèmes commencent, explique en connaissance de cause Toon Bossuyt. Si j’achète demain un paquet d’actions Colruyt, cela ne me donne pas le droit d’aller réaménager le magasin.”

Une entreprise familiale est un système assez complexe avec différentes entités : l’entreprise, la famille et les autres personnes. Pour que tous ces acteurs travaillent ensemble de manière efficace, une charte familiale s’avère un outil précieux. Les actionnaires familiaux peuvent y définir les accords fondamentaux et les règles de base qui s’appliquent à l’entreprise familiale. “C’est un outil qui permet de maintenir l’église au milieu du village”, estime Toon Bossuyt.

Témoin de relais

Jean-Baptiste Claes a fondé la marque de mode JBC après sa carrière de cycliste. Dix ans plus tard, il demande à ses enfants Bart et Ann de rejoindre l’entreprise familiale. “Au début, la coopération entre les générations s’est déroulée sans heurts, mais des différences de vision et de dynamique sont apparues par la suite, raconte Bart Claes. En 1996, nous avons élargi notre conseil d’administration à trois administrateurs externes, qui ont très bien rempli leur rôle. Définir une vision et une stratégie avec deux générations différentes n’est pas toujours facile. Ce n’est qu’après 18 ans que notre père a accepté de céder la direction opérationnelle.”

Bart Claes aurait dû reprendre seul le flambeau mais il a tenu à s’associer avec sa sœur Ann. “J’ai alors fait comprendre à tout le monde que nous ferions les choses ensemble, en tant que co-CEO, raconte Bart Claes. Nous sommes très complémentaires. Ann s’occupe de tout ce qui concerne la collection, le design, l’approvisionnement et la tarification. Les ventes, le marketing, l’informatique, la logistique et les autres services de support relèvent de mon domaine. Il n’y a pas de subordination. En cas de désaccord, nous sommes obligés de trouver nous-mêmes une solution. Dans des cas exceptionnels, nous pouvons solliciter le conseil d’administration, mais cela n’a pratiquement jamais été nécessaire. Nous nous accordons mutuellement les réussites.”

Lorsqu’il évoque le précédent changement de génération, Bart est formel. “Ma sœur et moi sommes convaincus que 18 ans, c’était trop long. Nous avons l’intention de raccourcir la durée du passage de témoin, ajoute-t-il. C’est comme dans une course de relais, le coup de pouce pour passer le témoin doit venir de celui qui s’en va.” Aucun plan concret n’a encore été mis en place, mais déjà, deux représentants de la troisième génération sont déjà actifs au sein l’entreprise, et un troisième pourrait bientôt suivre.

“Il faut qu’on discute”

Chez le producteur flamand de peintures BOSS, Toon Bossuyt fait partie de la troisième génération à la barre de l’entreprise familiale. Sa nomination comme CEO en 2005 n’a pas été de tout repos.

“Après une expérience externe, je suis entré dans l’entreprise familiale au milieu des années 1990. J’étais un jeune manager ambitieux. Au début, la coopération entre générations s’est bien déroulée. Les connaissances de la génération sortante se mariaient avec la créativité et l’énergie de la nouvelle. Mais cela n’empêchait pas certaines frictions. Je me souviens très bien d’un moment où j’avais demandé à mon oncle Jan, alors CEO, comment il voyait sa succession. Il ne m’a pas répondu. J’ai alors organisé dans son dos une réunion sur le sujet avec de jeunes managers, membres ou non de la famille. Bien sûr, mon oncle l’a appris et m’a dit un jour : ‘Toon, il faut qu’on discute’. Ce sont des paroles très sages.”

La charte familiale est un outil qui permet de maintenir l’église au milieu du village
Toon Bossuyt

Toon Bossuyt

CEO de BOSS paints

Même si Jan Bossuyt avait peut-être une vision différente de son successeur idéal, le changement de pouvoir était imminent. Mais avant cela, Toon Bossuyt a dû se soumettre une procédure de sélection assez poussée, comprenant un assessment et des entretiens avec toutes les parties prenantes. Finalement, le conseil consultatif a donné son accord, non sans avoir fourni à Toon Bossuyt une liste de points de travail.

Conseils avisés

La rédaction d’une charte familiale n’est pas si aisée, d’autant plus que chaque entreprise familiale a ses particularités. Toon Bossuyt et Bart Claes ont tous deux sollicité des conseillers et des entrepreneurs partageant les mêmes idées. “Je suis ami avec Wouter Torfs. Ce n’est pas une coïncidence, car nos entreprises familiales partagent de nombreuses valeurs et sont aussi actives dans le commerce de détail. La charte déjà existante dans la famille Torfs a forcément inspiré la nôtre”, affirme Toon Bossuyt.

Bart Claes s’est aussi inspiré d’autres entrepreneurs de structures familiales comme Frans Colruyt, Matthi Gijbels, James Bampfield, Wouter Torfs, Joost Callens et… Toon Bossuyt. “Nous avons mis en place un CEO Council, une sorte de groupe d’entraide pour les CEO d’entreprises familiales. Depuis 17 ans, nous nous réunissons deux fois par an pendant plusieurs jours, explique-t-il. Nous sommes tous des dirigeants d’entreprises familiales confrontés aux mêmes problèmes.”

Quel emploi et quelle rémunération ?

L’emploi et la rémunération des membres de la famille font partie des thèmes récurrents de presque toutes les chartes familiales. “Ce n’est pas parce qu’une personne est de la famille qu’elle peut monter à bord comme ça, souligne Bart Claes. Il faut d’abord qu’il y ait un poste vacant. Ensuite, le membre de la famille doit suivre la même procédure de candidature que n’importe quel autre employé. La rémunération doit aussi être conforme au marché. Le membre de la famille doit également suivre un processus d’intégration, apprendre à connaître toutes les sections de notre entreprise, y compris l’atelier et le département logistique, ainsi que les trois marques de notre groupe de vente au détail : JBC, Mayerline et CKS. Enfin, le CA et ses cinq administrateurs indépendants doivent approuver la nomination.”

Ce n’est pas parce qu’une personne est de la famille qu’elle peut monter à bord comme ça
Bart Claes

Bart Claes

CEO de Claes Retail Group

La vente d’actions est un autre sujet sensible dans toute entreprise familiale. “Dans notre charte familiale, un chapitre est consacré à la vente d’actions, détaille Toon Bossuyt. Ce cas de figure ne s’est produit qu’une seule fois dans le passé et il s’est avéré que les arrangements n’étaient pas très pratiques. La vente soulève certaines questions, telles que l’évaluation et les aspects fiscaux. Nous avons résolu ces problèmes d’une manière satisfaisante à l’époque, mais nous devons absolument mettre à jour ce chapitre. Une charte familiale n’est jamais définitive. Il faut toujours l’adapter à la réalité”, conclut Toon Bossuyt.

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