L’embouteillage est aussi un peu de temps pour soi
Les Belges ne veulent pas renoncer à leur voiture salaire et ne sont manifestement pas disposés à payer une taxe routière. Trois experts expliquent pourquoi il serait pourtant préférable de s’y résoudre. Ils estiment également qu’instaurer davantage de télétravail n’est pas une solution.
Plus la personne interrogée est jeune, moins elle se tourne vers le gouvernement pour résoudre ses problèmes de mobilité. C’est ce que montre notre enquête auprès des Belges âgés de 25 à 65 ans à l’occasion des Trends Impact Awards. Les générations plus âgées veulent investir davantage dans les transports publics tandis que les plus jeunes se tournent davantage vers les employeurs.
Ceux-ci ne sont manifestement pas désireux de faire un effort supplémentaire. “Les employeurs ont certainement un rôle à jouer, mais légalement, le trajet domicile- travail est un trajet privé, déclare Goedele Sannen, senior advisor mobility and logistics pour l’organisation patronale Voka. Le choix de la manière dont le salarié effectue ce trajet lui appartient. En fait, un certain nombre d’entreprises prennent déjà des initiatives pour améliorer ou verdir la mobilité. L’enquête note également qu’une entreprise sur cinq ne travaille pas du tout sur sa politique de mobilité. Il y a des progrès à faire.”
En tant qu’organisation d’employeurs, nous sommes favorables à un système de tarification routière intelligente pour remplacer la taxation actuelle.” – GOEDELE SANNEN, VOKA
L’économiste des transports Stef Proost (KULeuven) estime également que nous ne devons pas rejeter la responsabilité sur le monde des affaires. “Il s’agit en définitive d’un problème de société. Les politiciens devraient oser prendre des mesures. Prenez notre système de voitures salaires ; de nombreux pays n’en ont pas, alors que nous en sommes les champions. Elles sont apparues comme une solution aux coûts salariaux élevés. A mon avis, il serait préférable de supprimer toutes les voitures salaires et d’utiliser les 4 milliards d’euros économisés par le gouvernement pour réduire les impôts sur les revenus.”
Qui doit payer?
Mais la réduction des charges pour l’Etat ne résoudrait pas le problème des embouteillages. Lors de nos échanges avec des experts en mobilité, arrive rapidement le sujet délicat des péages urbains ou d’une forme de tarification routière. Les systèmes de péages urbains réussis comme ceux mis en place à Londres, Stockholm ou Singapour, servent d’exemple. Seulement, dans notre pays, les Régions n’arrivent pas à se mettre d’accord sur la forme de cette tarification.
Cela est probablement dû aussi à l’opportunisme électoral. Grosso modo, deux Belges sur trois sont contre. “La charge fiscale est déjà assez lourde” est la réponse la plus fréquemment entendue. “Cette attitude négative n’est pas nouvelle mais je trouve surprenant qu’une personne sur quatre soit désormais prête à s’acquitter d’une taxe routière”, déclare Goedele Sannen.
L’ambition du péage routier est d’influencer notre comportement en matière de mobilité. Vous payez pour un trafic plus fluide.” – KRIS PEETERS, EXPERT EN MOBILITÉ
La question cruciale est de savoir qui doit payer pour cela. Si cela devait se faire, la plupart des répondants pensent que c’est leur employeur qui devrait payer les coûts supplémentaires. Un raisonnement étrange… Ceux qui ne payent rien pour leur voiture ne se sentent nullement incités à l’abandonner. Donc, ça ne marcherait pas…
Faut-il dès lors reléguer la tarification routière aux oubliettes? “Vous ne pouvez pas réduire la tarification routière à une simple taxe, déclare Kris Peeters, expert indépendant en mobilité. Fondamentalement, il s’agit d’une rétribution: en d’autres termes, vous obtenez quelque chose en retour. Et ce n’est pas jouer avec les mots. Je pense effectivement que c’est un élément essentiel dans la discussion. L’ambition du péage routier est d’influencer notre comportement en matière de mobilité: vous payez pour un trafic plus fluide. Si ces revenus étaient plus clairement répartis, beaucoup plus de personnes seraient en faveur de la tarification routière.”
Dans les projets pilotes et les études de ces dernières années, les avantages de la tarification routière n’ont jamais été tangibles. Cela explique aussi pourquoi ils ne se sont pas concrétisés, estime Kris Peeters. D’autres experts soulignent que les exemples étrangers montrent que le soutien ne vient qu’après. Selon Goedele Sannen, “ce n’est que lorsque les gens en ressentent les avantages que l’opinion publique change ; il faut donc surtout du courage politique pour introduire la tarification routière. En tant qu’organisation d’employeurs, nous sommes favorables à un système de tarification routière intelligente pour remplacer la taxation actuelle”.
Stef Proost souligne également qu’une sorte de taxe au kilomètre devient de plus en plus nécessaire à mesure que le parc automobile s’électrifie. “L’augmentation du nombre de voitures électriques et la baisse de la redevance pour les voitures à essence réduisent les recettes des droits d’accises. Tôt ou tard, le gouvernement doit récupérer ces revenus perdus. Une redevance au kilomètre est presque inévitable. Il me semble préférable de ne pas attendre trop longtemps avant de l’introduire car lorsque 30 à 40% du parc automobile sera électrique, une telle taxe rencontrera beaucoup plus de résistance.”
Problème de luxe d’une minorité
Le fait que la tarification routière soit restée un vague projet pendant une décennie est en partie un problème de communication. Nos politiciens ne se font pas expliquer, ou ne se donnent pas la peine de le faire. Mais il y a plus que cela. “Le débat sur la mobilité est trop facilement réduit aux embouteillages, précise Kris Peeters. Des aspects tels que l’impact sur le réchauffement climatique, sur notre santé et la qualité de l’air, ou sur l’utilisation de l’espace public, restent trop en arrière-plan.”
Les embouteillages sont essentiellement un problème de capacité, estime Stef Proost. “Ils se produisent parce que trop de voitures doivent se trouver au même endroit au même moment. Vous n’avez pas nécessairement besoin de réduire le nombre de voitures, tant que vous pouvez les répartir dans le temps. Il y a beaucoup de place pour l’amélioration dans ce domaine. Pourquoi tout le monde devrait-il être au bureau à neuf heures et demie? Je pense que c’est l’objectif principal de la tarification routière: répartir le trafic automobile dans le temps. Cet aspect n’est généralement pas suffisamment reconnu. Nous n’avons pas besoin d’un péage urbain fixe comme à Londres mais nous avons besoin d’un tarif différencié dans le temps comme ceux qui existent, par exemple, à Stockholm ou à Singapour. Par la variation des prix, la tarification routière agit alors comme un système de régulation.”
Je pense que c’est l’objectif le plus important de la tarification routière: répartir le trafic automobile dans le temps.” – STEF PROOST, KU LEUVEN
Télétravail
Parce qu’il y a aussi un groupe qui ne rechigne pas du tout à se retrouver dans les embouteillages. “Un quart des personnes interrogées dans le cadre de votre enquête sont presque toujours dans les embouteillages, explique Kris Peeters. Ce sont des gens qui l’ont choisi et qui n’ont aucun problème avec ça. Ils ont pris en compte le retard et considèrent également l’embouteillage comme un moment de détente. En même temps, vous remarquez que le groupe qui ne se trouve jamais ou presque jamais dans les embouteillages est en fait plus important. Nous débattons donc en réalité du problème de luxe d’une minorité d’utilisateurs de la mobilité.”
Pour remédier aux embouteillages, le travail à domicile ou le télétravail sont également souvent envisagés. Ceux qui se souviennent des autoroutes vides pendant les périodes de confinement conviendront sans doute de son effet sur la capacité routière. Pourtant, tout n’est pas si simple. “Je n’ai rien contre le télétravail, déclare Stef Proost. Mais si les files diminuent proportionnellement parce que moins de personnes se rendent au travail en voiture, vous avez plus de personnes qui utilisent leur véhicule à d’autres fins pendant les heures de pointe. Maintenant, les télétravailleurs sont aussi susceptibles d’effectuer leurs achats à un autre moment, ce qui change la donne.”
Stef Proost met ainsi en évidence l’une des lois fondamentales de la mobilité: la capacité vacante se remplit tôt ou tard. “En fin de compte, l’augmentation du travail à domicile entraîne un passage des voyages fonctionnels aux voyages récréatifs, convient Kris Peeters. Voir le télétravail comme une solution aux embouteillages, c’est tromper les gens. Elle n’a de sens qu’en combinaison avec la tarification routière.”
En outre, le travail à domicile renforce également cette autre loi sur la mobilité, selon laquelle les gens s’efforcent de préserver la durée du trajet. “Si les gens ne doivent se rendre au bureau que deux ou trois fois par semaine, ils vont vivre plus loin de leur lieu de travail, poursuit Kris Peeters. Il y a peut-être un impact positif sur les embouteillages mais vous générez plus de kilomètres en voiture. Et avec le réchauffement climatique, c’est un effet secondaire indésirable.”
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