La chute de Leen Bakker Belgique illustre le phénomène des “entreprises zombies” en Belgique. Incapables d’investir, plombées par leurs dettes et dépassées par de nouveaux acteurs, ces enseignes survivent artificiellement avant de s’effondrer.
Présente en Belgique depuis 1985, la chaîne néerlandaise d’ameublement et de décoration d’intérieur est en procédure de réorganisation judiciaire et a annoncé mercredi être contrainte de vendre ses 44 enseignes belges. L’enseigne a obtenu quatre mois de protection contre ses créanciers afin de chercher un repreneur. Les deux experts désignés par le tribunal ont jusqu’au 7 décembre pour trouver une solution pour les 44 points de vente du pays (14 en Wallonie et 30 en Flandre).
La vente de ces magasins, contrairement à une procédure classique, se fera sous la supervision directe de la justice. Mais les chances de s’en sortir apparaissent limitées.
Sa maison mère, le groupe Homefashion, qui appartient au fonds Gilde Equity Management, ne croit plus au redressement et a déjà mis en vente la chaîne sœur Kwantum (15 magasins en Belgique, encore considérés comme rentables). Lorsque Gilde Equity Management avait repris Leen Bakker, il y avait encore 57 magasins en Belgique. L’enseigne a donc déjà subi une lourde restructuration. Par ailleurs, en 2022, Kwantum et Leen Bakker avaient déjà été mises en vente, mais sans succès.
Pas une surprise totale
Pas de quoi réjouir les 309 salariés (soit 274 équivalents temps plein) de Leen Bakker. Ce n’est pas non plus une totale surprise, après plusieurs années de pertes chroniques. En 2024, l’enseigne belge a perdu 5,7 millions d’euros sur un chiffre d’affaires de 58,6 millions, soit dix euros de perte pour chaque centaine de ventes. L’endettement à court terme atteint 25 millions d’euros et les fonds propres sont négatifs de 5 millions. Deux magasins belges sur trois seraient également déficitaires, ce qui rend improbable toute reprise en bloc. D’autant plus que les acheteurs potentiels peuvent se limiter à faire une offre sur les magasins rentables, les dettes restant dans l’ancienne structure. Si certains points de vente sont repris, ils ne devraient pas conserver le nom Leen Bakker, tandis que les magasins déficitaires sans repreneur, et leurs employés laissés dans la structure actuelle, risquent fort de sombrer en faillite.
Théoriquement, Leen Bakker pourrait aussi racheter ses meilleurs magasins via une autre société, comme l’avait fait Wibra lors de la faillite de sa filiale belge. Mais les spécialistes jugent ce scénario improbable.
Une entreprise zombie
L’entreprise survit artificiellement depuis plusieurs années, en multipliant des plans de redressement restés sans effet. Elle ne possède pas son immobilier commercial (onze des bâtiments appartiennent à la société cotée Retail Estates), ce qui réduit encore son attractivité, et ses salariés, souvent anciens, voient leurs indemnités dépendre du peu que les liquidateurs pourront tirer des contrats de location.
Comme Casa, Blokker, Fun ou Bristol avant elle, Leen Bakker illustre une vague d’enseignes de l’aménagement et du non-alimentaire qui se maintiennent en activité malgré un retard d’investissement, mais finissent par s’effondrer dès que la pression du marché devient trop forte. Acculées par la concurrence féroce des plateformes de vente en ligne, d’Ikea ou encore d’Action, les enseignes traditionnelles de la décoration s’effritent. Seuls quelques acteurs plus dynamiques, comme le danois Jysk ou Exterioo, se positionnent pour occuper les espaces commerciaux laissés vacants par Leen Bakker.
Leen Bakker incarne ainsi la logique des “entreprises zombies”. Selon une étude réalisée par l’Université de Gand et la Banque nationale fin 2024, publiée dans la revue scientifique Management Science, la Belgique compterait environ 6.000 de ces entreprises qualifiées de « zombies ». Pas moins de 120.000 personnes travailleraient aujourd’hui dans le pays pour des sociétés structurellement non viables.
Le terme a été popularisé dans les années 1990 au Japon, après l’explosion de la bulle immobilière et financière, qui avait révélé la fragilité d’une multitude d’entreprises ne survivant que grâce à des injections constantes de capitaux. Une société est qualifiée de zombie lorsque son activité ne génère pas assez de profits pour couvrir ne serait-ce que les intérêts de sa dette.
La faute des banques ?
Ces entreprises existent encore, mais n’ont plus la capacité de se transformer ni de redevenir rentables. Les plus fragiles évoluent dans des secteurs en crise où peu d’investisseurs sont prêts à remettre des capitaux. L’étude pointe notamment le rôle des banques. Selon Klaas Mulier, professeur de finance à l’UGent et auteur de l’étude, elles continuent souvent de financer ces sociétés en espérant un retournement, qui survient rarement.
La Banque des règlements internationaux (BRI) avertit que cette zombification a des conséquences lourdes : ces entreprises accaparent des ressources financières et humaines, empêchant le développement de sociétés plus dynamiques et freinant ainsi le potentiel de croissance. Et lorsque la faillite finit par tomber, les pertes sont considérables : les actionnaires perdent presque tout, tandis que les détenteurs d’obligations ne récupèrent souvent qu’une fraction de la valeur initiale.
Ou, pour reprendre la célèbre formule de Warren Buffett : « C’est quand la mer se retire qu’on voit ceux qui se baignent nus. »